Début février, le nouveau président américain a annoncé le gel de toute aide en faveur de l'Afrique du Sud, considérant qu'une de ses lois récentes est discriminatoire à l'égard de sa minorité blanche. Le même décret va jusqu'à proposer d'accueillir des opprimés de la «minorité ethnique akrikaner», descendants des premiers colons européens, qui représentent une bonne part des quelque 7% de Sud-Africains blancs. Depuis plusieurs jours, les réseaux sociaux s'enflamment, beaucoup de Sud-Africains de toutes les couleurs de peau s'indignant que l'on puisse assigner aux Blancs un statut de victime dans un pays aussi inégalitaire, encore fortement marqué par les injustices de l'apartheid. En ville, le sujet est omniprésent. Moins les sanctions, qui semblent encore abstraites pour beaucoup, que la perception biaisée du président américain, selon laquelle les Blancs sont persécutés dans le pays alors qu'ils sont aux manettes d'une bonne partie de l'économie et propriétaires de 72% des terres agricoles selon des chiffres officiels de 2017. L'apartheid a progressivement pris fin au début des années 1990 après la libération de son ennemi numéro un, Nelson Mandela, élu en 1994 premier président noir de la toute nouvelle démocratie. Mais les inégalités créées par des décennies de ségrégation raciale restent palpables et visibles en termes de géographie spatiale comme d'inégalités sociales. «On a été plutôt conciliants si l'on regarde notre passé», affirme Lwandle Yende. En tout cas, «l'apartheid 2.0, ça n'existe pas en Afrique du Sud». Les caricaturistes sud-africains s'en donnent à coeur joie, concentrant leurs piques contre le milliardaire Elon Musk, originaire de Pretoria, soupçonné de souffler dans l'oreille du président américain des horreurs sur son pays d'origine. «Trump ne sait rien» sur l'Afrique du Sud. «C'est Elon Musk qui le pousse dans ses retranchements», estime Lulusuku Mahlangu. Le plus connu de ces dessinateurs de presse, Zapiro, n'y va pas par quatre chemins et croque le duo Trump-Musk en uniformes nazis. Suggérer que les Blancs, ici, subissent de la discrimination «a des connotations racistes. C'est mal informé et limite bancal», dit Reabetswe Mosue, étudiant de 22 ans, affirmant que si Nelson Mandela «nous a offert la liberté», la richesse est restée aux mains de la minorité blanche. Le gouvernement sud-africain a tenté de rassurer le week-end dernier, réfutant un décret américain qui «manque d'exactitude factuelle» et ignore la marque «douloureuse» de l'apartheid et de la colonisation sur le pays. Il a jugé particulièrement «ironique» que Washington offre refuge aux «plus privilégiés» de ses concitoyens. Mais «qui veut quitter ce beau pays?», interroge M. Yande, affirmant que tous ses amis blancs trouvent la proposition d'asile américaine ubuesque. Si certains veulent partir, qu'ils partent «chercher l'air frais qu'ils recherchent ailleurs», dit mi-amusée, mi-amère l'enseignante Hannah Maja, 28 ans. Clayton Ndlovu, étudiant en cinéma de 22 ans, n'est pas du tout d'accord. Si l'histoire raciale est douloureuse, elle lie les Sud-Africains de manière irrémédiable: «On a besoin des Afrikaners, même si parfois on ne s'entend pas. Ils font partie de nous, on les accepte comme des citoyens à part entière.»