Un collectif de binationaux, parmi lesquels Chems-Eddine Hafiz, Fadila Khattabi et Djillali Annane, «ose» interpeller la conscience collective française sur la place de cette catégorie particulière de Français. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, ces Franco-Algériens dénoncent la normalisation de «l'idée que certains Français devraient sans cesse prouver leur appartenance, alors que d'autres en seraient les dépositaires naturels». Cette tendance à «positionner» les binationaux, d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée, est ostensible dans les médias de l'Hexagone «Condamnez-vous...?» interroge systématiquement les présentateurs de chaînes de radios ou de télévision. Ces Algériens, en même temps français, vivent ce calvaire au quotidien et disent constater que «des voix s'élèvent pour faire de l'identité une forteresse, un rempart dressé contre ceux qui, comme nous, refusent d'abdiquer leur dimension plurielle». Le propos est juste. Et Chems-Eddine Hafiz, Fadila Khattabi et Djillali Annane notent dans leur tribune que «ces voix ne sont pas seulement celles de l'extrême droite; elles s'infiltrent insidieusement dans le discours public, normalisant l'idée que certains Français devraient sans cesse prouver leur appartenance, alors que d'autres en seraient les dépositaires naturels». Cette extrême droitisation de la scène politique provoque un «climat en France (qui) attise cette suspicion», constatent-ils encore. Ils en sont arrivés à déduire que «notre présence dérange, que nos noms, nos visages, nos traditions sont perçus comme des fissures dans l'unité du pays». Ce sentiment désagréable est nourri par «les polémiques autour de l'immigration, de la laïcité, de l'identité nationale», affirme le Collectif de binationaux. Ces intellectuels, qui subissent cette pression et que personne n'écoute, vont jusqu'à noter que la pensée de Jean-Marie Le Pen «s'invite dans les couloirs du pouvoir, dans les colonnes des journaux, sur les plateaux de télévision, dans la bouche de ceux qui prétendent incarner l'esprit républicain, tout en distillant le poison du doute à notre égard». Cette tribune résume on ne peut mieux le climat empoisonné par la rhétorique de l'extrême droite. Celle-ci empêche la formidable richesse qu'apportent les binationaux à l'Algérie comme à la France. «Nous (...) avons grandi entre plusieurs langues, plusieurs histoires, plusieurs horizons», lit-on dans la tribune, comme pour confirmer l'extraordinaire chance qu'ont la France et l'Algérie. Mais cette position doublement enrichissante est paradoxalement vécue comme un fardeau lourd à porter. Les binationaux ressentent «avec une acuité particulière la violence de cette époque qui, à défaut de nous comprendre, tente de nous contraindre à choisir», disent-ils. Et cette double culture est visiblement très mal vue par l'extrême droite française qui leur demande clairement de «renoncer à une part de nous-mêmes». La douleur est profonde: «Comme si notre existence, façonnée par le dialogue entre nos identités, devait se soumettre à l'injonction du soupçon, à l'exigence d'une loyauté exclusive, à la remise en cause incessante de notre attachement à la France». À bien lire la tribune du Collectif de binationaux, ces derniers sont les principales victimes de l'acharnement de l'extrême droite. Les attaques dont ils font l'objet de la part de certains médias a visiblement provoqué une fracture dans leur identité qui est naturellement plurielle et dont une France raciste ne veut pas. «Nous ne sommes pas faits de moitiés, de morceaux que l'on pourrait soustraire ou additionner», disent-ils comme pour exprimer leur désarroi à vivre dans une société qui est la leur, mais sans l'être vraiment. «Nous sommes entiers, indissociables de ces héritages multiples qui nourrissent notre regard sur le monde. Nous n'accepterons pas d'être réduits à des pièces détachables de nations concurrentes, ni d'être relégués à la périphérie de la République sous prétexte que nous en incarnons la diversité», répondent-ils résolument à ceux qui ont cette phrase à chaque fois qu'ils tendent le micro: «Pourquoi vous ne condamnez pas....?» La Tribune cite Montesquieu qui, «dans sa sagesse, refusait de privilégier un attachement au détriment d'un autre: il savait qu'aimer sa patrie ne signifiait pas exclure le reste du monde, mais bien comprendre que l'humanité est un tout», disent ces binationaux qui demeurent combatifs malgré les attaques lâches de l'extrême droite française.