L'Expression: Vous avez été reçu par le ministre de l'Energie, Mohamed Arkab, en vue d'un projet autour de la transformation du lithium. De quoi s'agit-il exactement? Karim Zaghib: On a eu des discussions sur les minéraux critiques et les métaux rares. Et un focus sur les trois minerais, le lithium (Li), le fer (Fe) et le phosphate (P), notamment pour ce qui est de leur transformation en Algérie. Ils forment la cathode fer phosphate lithié, qui est importante et cruciale pour l'utilisation d'une batterie au lithium. Il faut savoir que c'est une technologie qui est déjà utilisée par les grandes firmes internationales, telles que Tesla, Ford, GM, Mercedes et tous les géants chinois présents dans ce secteur. Vous avez formulé, il y a quelques années, une offre de service comprenant la mise sur pied d'un projet de batteries au lithium pour faire profiter l'Algérie de votre expertise pionnière en Chine avec Tesla et en Grande-Bretagne aussi... Aujourd'hui, je suis là pour aider l'Algérie, mon pays. Je suis bien accueilli et je constate qu'il y a, actuellement, une grande volonté, que ce soit de la part du président de la République ou du côté du ministre de l'Energie, pour s'orienter vers la filière batterie et voiture électrique en Algérie. Il faut relever, dans ce sens, cette grande décision prise par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, d'aller vers cette filière des minéraux rares, des matériaux critiques, des matériaux de cathode et des composantes et de la confier, exclusivement, à la compagnie nationale étatique, la Sonarem et ses filiales. À mon avis, c'est une très bonne décision. Donc, Sonarem et ses filiales vont prendre en charge ce projet stratégique, assistées par Karim Zaghib et sa petite équipe afin de faire aboutir la stratégie du gouvernement pour la transformation du lithium et la fabrication des batteries et composants ici en Algérie. Est-ce à dire qu'il y aura une SPA ou une société mixte ou d'investissements pour faire avancer ce projet? Non, il n'y aura pas de société ou d'investissements. C'est la Sonarem qui prendra en charge totalement le projet. Déjà, on part gagnant sur ce volet, parce qu'on ne va pas perdre de temps, puisque cette société publique, porteuse de projets, est déjà établie sur le terrain qu'elle maîtrise et qu'elle connaît bien. Elle dispose de bases de données sur les minéraux et leur emplacement en Algérie. Il faut prendre en considération que les batteries et les matériaux de batterie comme le lithium, le phosphate constituent des questions de sécurité nationale, d'où l'importance de la prise en charge de ce volet par une société publique qui soit porteuse de ce projet. Pour ma part, ma petite équipe et moi, tous des Algériens, sommes là pour orienter et guider cette compagnie nationale dans l'élaboration d'un plan stratégique et une feuille de route ensemble. Nous sommes là pour accélérer la cadence des travaux et aboutir à des résultats concrets et palpables. Donc, la priorité aujourd'hui, c'est de commencer la transformation des minéraux critiques. C'est très important. Nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, ni pour agrandir notre cercle de connaissances. Aujourd'hui, l'Algérie affiche au grand jour sa volonté d'entrer dans cette sphère très serrée. Il faut voir les complications géopolitiques internationales autour des métaux rares et les terres critiques entre les Russes et les Américains, entre les Américains et les Canadiens. L'Algérie dispose, aujourd'hui, d'un écosystème exceptionnel. Tout d'abord, elle dispose d'un sous-sol riche et diversifié en minéraux critiques, de métaux rares, il y a les coûts très abordables de l'énergie pour la transformation, il y a une main-d'oeuvre également, jeune et très qualifiée... Il faut prendre en considération la position géostratégique dont dispose le pays, en étant la porte d'entrée de l'Afrique. Elle constitue, ce faisant, une grande opportunité pour le marché Sud-Sud. Elle est également à proximité de l'Europe pour le marché Nord. Elle est également à six heures d'avion de l'Amérique du Nord, côté ouest. Elle a également un accès facile à l'Asie. Cela sans compter l'étendue de ses côtes maritimes (+1 200 km) avec tout l'arsenal logistique et portuaire avec une mer profonde pour l'exploitation. Donc, l'Algérie dispose d'atouts considérables et est capable, à travers sa compagnie nationale Sonarem et d'autres, d'oeuvrer à faire aboutir pareils projets et créer une chaîne d'approvisionnement indépendante de la chaîne d'approvisionnement asiatique, notamment avec la Chine, la Corée et le Japon. Peut-on espérer voir émerger en Algérie, dans l'immédiat ou dans le court terme, une industrie de la batterie lithium et de transformation de ces minerais critiques? L'opportunité est dans deux années. C'est l'échéance fixée. Donc, consigne est donnée pour faire accélérer la cadence du travail et de la transition énergétique rapidement. Nous devons préparer l'électrification globale. Nous n'avons pas d'autre choix. Nous disposons des matériaux critiques et des compétences et nous avons une volonté politique de fer. Donc, nous devons retrousser les manches et accélérer la cadence. Cela dit, nous avons encore du travail à accomplir en termes de cartographie des terres et des minéraux dans le pays afin d'évaluer le potentiel exact du pays... Oui, absolument. Mais nous disposons de données suffisantes concernant le lithium et d'autres minéraux rares. Il faut préciser que le lithium n'est pas difficile à trouver et est presque partout dans les roches, dans les marrais salins, dans les mers... Nous disposons aussi de fer et de phosphate dont les gisements sont déjà cartographiés... Et comme je l'ai déjà signalé, nous avons établi un focus sur certains minéraux. Donc, on ne va pas transformer tous les matériaux et minerais d'un seul coup. C'est un focus sur une seule cathode. Votre rôle consiste à superviser, à orienter le travail? Je suis là pour aider et guider les efforts. Je mets en oeuvre quarante années d'expérience et d'expertise et une trentaine d'années dans le fer et le phosphate. Avec mon équipe, nous sommes les pionniers dans le monde. Il était question d'un plan stratégique que vous avez proposé pour le stockage de l'énergie à l'époque... En effet, le fer phosphate comprennent deux applications importantes. La première, c'est pour le stockage d'énergie, notamment à cause du bas coût du fer de phosphate, qui ne coûte pas cher. Et aussi, pour l'industrie automobile, à savoir les voitures, les véhicules et autres camions, la batterie lithium ion a une durée de vie de plus de vingt années et plus de 15000 cycles. Dans une voiture, on peut disposer de 15000 cycles, 7 millions de kilomètres et une durée de vie de plus de 15 années. Tout cela est consigné dans des publications et des recherches déjà disponibles. Un dernier mot? Je pense que c'est le bon moment pour que l'Algérie accélère sa transition énergétique et l'électrification de son transport.