Le chômage, phénomène du siècle, n'épargne pas les jeunes de la région de la Basse Kabylie. En dépit du développement assez appréciable du tissu industriel, notamment dans le secteur de l'agroalimentaire, la situation n'en finit pas de s'aggraver. Aujourd'hui, le taux de chômage dans la wilaya de Béjaïa dépasse la moyenne nationale. Ni les formules étatiques encourageant l'investissement de jeunes, encore moins les emplois créés par l'investissement privé, n'ont pu atténuer ce taux qui va crescendo. Comme il faut bien gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille, le jeune et le père de famille deviennent des proies faciles qui acceptent tout, l'essentiel étant de gagner sa vie dignement et éviter l'humiliation dans une société de plus en plus dure. La recours au travail au noir, saisonnier donc précaire, prend forme un peu partout dans le monde du travail. Le travail au noir se répand ces dernières années très rapidement, devenant une pratique tendant à se généraliser un peu partout. Des patrons véreux en usent sans retenue au point que les ouvriers concernés osent à peine vous répondre à la question concernant leur statut au sein de l'entreprise. Ils sont comme ça des centaines à se taire et des dizaines à oser démissionner d'un emploi lorsque, après une longue attente, ils n'obtiennent pas la fameuse «déclaration à l'assurance», pourtant promise à l'embauche. Si certains jeunes acceptent de travailler au noir tout juste pour avoir une petite expérience, des pères de famille y sont contraints. Ils n'ont pas d'autre choix que de se plier aux exigences du patron. A défaut, c'est la rue et l'humiliation. Alors ils se réfugient dans les cafés, les restaurants, les chantiers du bâtiment, dans les transports publics, les boulangeries pour s'éclipser dès qu'un contrôle est annoncé. Au niveau de l'inspection du travail, ces cas se chiffrent par milliers. Avec le peu de moyens dont dispose cet organisme, il est très difficile de lutter contre ce fléau. Profitant de cette lacune, les employeurs, généralement privés, abusent de cette pratique qui relève de la violation de la législation qui stipule clairement qu'un employé doit être déclaré, bénéficier de moyens de protection, etc. Dans la réalité, rien de tout cela n'est possible. Le travailleur au noir est doublement victime car ne bénéficiant ni de la couverture sociale ni d'une retraite que tout un chacun mérite après de longues années de labeur. Il arrive même que certains s'abstiennent de se soigner que lorsque l'urgence l'exige. Privé des remboursements médicaux «je ne me soigne et me repose que lorsque je n'en peux plus», déclare ce père de famille qui est à sa 15e année de travail en tant que journalier. Sa situation s'est davantage aggravée depuis que la loi impose aux employeurs le versement des allocations familles. «J'ai sept enfants à nourrir. Tous les gens chez qui j'ai travaillé refusent de m'assurer», s'indigne-t-il. Quant à la retraite, il est sûr qu'il n'en aura pas, mais il garde l'espoir que ses propres enfants lui seront reconnaissants. Karim est fraîchement diplômé. La trentaine à peine, il a déjà occupé trois emplois différents sans pour autant avoir ce qu'il cherchait. «A chaque fin de mois lorsque je reçois mon salaire, généralement en liquide, je demande l'établissement d'une fiche de paie qui m'est directement refusée», souligne-t-il. Les patrons refusent, en effet, de délivrer ce genre de document de peur d'être poursuivis par l'employé. Les congés n'existent pas pour cette catégorie de travailleurs. Zahir a vécu cette mésaventure l'été passé. Il a travaillé pendant 14 mois sans relâche chez un employeur qui, par-dessus le marché, est un parent. Arrivé l'été, il demande un congé que son patron accepte mais sans solde. Un autre cas de violation de la loi sur le travail. Dans la restauration, le volume horaire n'est jamais respecté. Encore plus en été, les serveurs doublent parfois leur journée sans pour autant avoir la contrepartie pécuniaire. Il y a quelques mois, un ouvrier dans un chantier de construction a fait une chute mortelle du haut d'un échafaudage. Les moyens de sécurité et de protection font gravement défaut sur les chantiers, quant à la tenue de travail, n'en parlons pas. Il n'est pas étonnant de confondre un promeneur et un ouvrier de chantier tant les normes sécuritaires ne sont pas respectées. Le droit syndical est inexistant. Le travailleur est livré à lui-même. Toute tentative de constituer un collectif syndical est réprimée par l'employeur. L'Ugta et les autres syndicats autonomes ignorent bizarrement la situation des travailleurs au noir. Les inspections du travail, déjà amoindries sur le plan des moyens humains et matériels, ne peuvent, à elles seules, combattre ce fléau. C'est pourquoi, les organismes syndicaux doivent s'intéresser à cette frange de travailleurs. Faut-il que des accidents se multiplient pour que l'on daigne se pencher sur toutes ces violations à la réglementation régissant les relations de travail? Comment expliquer qu'un employé du secteur public bénéficie de presque tous les avantages et que celui du privé est livré à lui-même? Le problème est non seulement posé aux pouvoirs publics mais aussi aux travailleurs en général. La solidarité dans le monde du travail, c'est ça aussi. Le travail au noir est une pratique réelle. Elle tend à se généraliser dangereusement pour devenir une pratique impunie. C'est tout le risque qu'on ne souhaite à aucun travailleur.