La richesse de l'Algérie est sa jeunesse mais il est établi, aujourd'hui, que cette richesse est sur la voie de son autodestruction. L'organisation par l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, en collaboration avec le groupe européen Pompidou, de la conférence internationale sur le rôle de la recherche scientifique dans l'élaboration de politique en matière de lutte contre la drogue, a été une expérience enrichissante à plus d'un titre pour l'ensemble des participants, aussi bien nationaux qu'étrangers. C'est d'abord l'expression d'une volonté politique pour la prise en charge sérieuse d'un fléau social qui a pris une ampleur terrible qui menace le corps social dans toutes ses dimensions. Longtemps classée dans la catégorie des phénomènes sociologiques invisibles, la consommation de la drogue, véritable tabou en Algérie, s'est implantée dans le quotidien des Algériens au grand jour. Les réseaux de propagation agissent à visage découvert. Les dealers pullulent, aussi bien, dans les quartiers populaires et les cités dortoirs que dans les villages des contrées enclavées. Désormais, la drogue n'épargne personne. Toutes les couches de la société sont exposées au phénomène ravageur. Les écoles et les universités ne sont pas en reste. Les jeunes y trouvent un refuge à leur mal vie. Au désespoir. C'est un monde où tout devient possible et rares sont ceux qui reviennent indemnes de leur voyage dans cet univers qui ronge l'individu dans ce qu'il a de plus précieux: la santé. La richesse de l'Algérie est sa jeunesse, mais il est établi, aujourd'hui, que cette richesse est sur la voie de son auto-destruction. Au regard des chiffres livrés par les différents services de sécurités et des douanes, le phénomène a atteint un seuil dangereux. A titre d'exemple, les saisies opérées dans le seul port d'Alger par les services des Douanes, en 2006, en matière de psychotropes, sont de l'ordre de 2040 comprimés et de 97,45kg de cannabis. Ce taux marque des fluctuations dans les autres zones de saisie sur le territoire national. Au cours des dix dernières années, la Gendarmerie nationale a traité quelque 10.750 affaires de trafic de stupéfiants ayant abouti à l'arrestation de plus de 19.000 personnes et à la saisie de 21.087kg de résine de cannabis, ainsi que 520.000 comprimés de psychotropes. Et ce n'est là qu'un petit échantillon insignifiant. Les chiffres, au niveau national, ne représentent en fait que 10 à 12% des quantités de drogue qui circulent dans notre pays. Les statistiques, établies au courant de la décennie écoulée, font ressortir une tendance évolutive des quantités de drogue annuellement saisies. De la lecture attentive de ces statistiques officielles disponibles, il apparaît que l'année 1992 marque un tournant décisif dans la nature et la tendance du trafic de drogue, du fait de la saisie de près de 7 tonnes de résine de cannabis. Cela coïncide avec la montée en puissance du phénomène du terrorisme en Algérie. Ce qui représente une piste d'étude à explorer pour expliquer l'explosion du phénomène du trafic de drogue en Algérie qui n'est plus au stade de pays transitaire mais bel et bien une place forte de consommation. Il n'y a qu'à faire un tour dans la rue. Les jeunes se défoncent à tout âge. Certains pratiquent la toxicomanie pour commettre des délits et les délits sont commis pour acheter leur dose. Un véritable engrenage mortel qui prend en otage aussi bien le consommateur que le citoyen ordinaire menacés dans leur vie de tous les jours. Certains coins de rue sont devenus de véritables coupe-gorge que les citoyens évitent de fréquenter. Les vols de portables et de sacs à main ont atteint un seuil intolérable. Le Pr Ridouh (Hôpital Frantz Fanon de Blida), un des participants aux travaux de la conférence et spécialiste de la toxicomanie et des maladies mentales, a fait des révélations renversantes au sujet des toxicomanes algériens d'où émergent une catégorie de «polytoxicomanes» qui abusent d'un mélange de drogues entre alcool, cannabis et psychotropes. «Un cocktail explosif qui peut pousser un jeune de 16 ans et parfois moins à commettre un crime pour voler un portable. Ces individus, précise-t-il, agissent sans se rendre compte de leurs méfaits». Cette catégorie de délinquants est dangereuse car, le Pr Ridouh a tenu à le souligner: «Ce sont autant de criminels potentiels et acteurs de la petite délinquance qui versent facilement dans la grande criminalité». D'après cet éminent spécialiste qui côtoie, depuis des années, le milieu de la toxicomanie dans les établissements de soins, «ce genre de toxicomanes peuvent tuer froidement. Ce sont des assassins potentiels». C'est ce qui explique, peut-être le développement fulgurant de la criminalité dans la société algérienne que certains imputent facilement, sans preuve aucune, aux effets du terrorisme. La recherche scientifique, préconisée par les experts qui ont participé à la Conférence internationale d'Alger, est une voie qui permet d'établir un diagnostic réel de la situation. Ce qui permet d'éviter de se perdre en conjectures dans la lutte contre la toxicomanie qui passe, avant tout, par le renseignement et le démantèlement des réseaux agissants qui profitent de complicités au sein de l'administration. Les réseaux des narcotrafiquants font intervenir aussi bien des acteurs dans les différents corps des services de sécurité et de l'administration. L'exemple du Maroc, pays pourvoyeur de cannabis en Algérie, est là pour montrer que ces réseaux ne peuvent prospérer qu'à l'abri de protecteurs bien placés dans les rouages des institutions étatiques. L'interpénétration des réseaux des deux pays est une réalité. Les révélations faites par l'un des barons de la drogue en Algérie, aujourd'hui entre les mains des services de sécurité, Ahmed Zendjabil, sont éloquentes à ce sujet. L'autre menace pointe son nez de l'autre côté de la Méditerranée. Il s'agit de l'introduction sur le marché d'un produit terrible, le Subutumex, qui circule actuellement dans les circuits des toxicomanes. Accessible aux petites bourses, il est un moyen rapide de destruction massive. Une autre catégorie de consommateurs qui croît dans les milieux aisés, a introduit de nouvelles habitudes festives avec l'usage de drogues dures, héroïne et cocaïne, qui pénètrent en Algérie par divers canaux comme le confirment certaines saisies opérées par les services de sécurité dans les colis postaux provenant d'Europe par fret maritime ou aérien. D'autres quantités proviennent des pays subsahariens à travers des réseaux ayant des relais dans la capitale et dans d'autres grands centres urbains du pays. L'immigration clandestine pourrait être la voie empruntée par les réseaux de trafic qui ne manquent pas d'ingéniosité pour passer l'écueil des frontières qui s'avèrent souvent comme de véritables passoires. Le commerce de la drogue brasse des milliards de dinars et de dollars. La tentation d'un enrichissement rapide et facile est grande et nombreux sont ceux qui y succombent sans se soucier des dégâts occasionnés à la société. L'application de la loi dans toute sa rigueur est l'unique voie de dissuasion qui peut contraindre les intervenants dans le circuit du commerce de la drogue à baisser les bras. L'Etat s'est investi dans la lutte contre le terrorisme et rien ne peut l'empêcher de faire autant face à cette nouvelle race de terroristes qui tuent l'espoir de l'Algérie, sa jeunesse.