La langue du roman est la prose poétique, très chère à notre écrivaine pour exprimer ses émotions. La Baie aux jeunes filles est le premier roman de Fatiha Nesrine, sorti en 2005, chez Thala Editions(1). Nous l'avons rencontrée récemment au Salon national du livre d'Alger qui s'est tenu à la Bibliothèque nationale d'El Hamma. Elle dédicaçait, jeudi dernier, ce roman où prose et poésie se côtoient en toute harmonie. Elève à l'Ecole normale d'institutrices de Constantine puis à l'Ecole normale supérieure d'Alger, Fatiha Nesrine est titulaire d'une licence de lettres françaises et d'un DEA de linguistique, obtenus à l'Université d'Alger. Professeur-formateur d'enseignants dans les instituts technologiques de l'Education, coauteur de manuels scolaires à l'Institut pédagogique national puis chercheur à l'Institut national de recherche en éducation, elle est actuellement à la retraite; aussi décida-t-elle de se lancer dans l'écriture, chose dont elle rêvait depuis toujours. «Je gribouillais quand j'étais jeune. Je n'ai jamais eu le temps de me faire plaisir en m'adonnant à l'écriture. Cela restait un rêve». A propos de l'histoire de ce roman, l'auteur nous dira que cela raconte la vie d'une petite fille interdite d'école par son père mais dont la mère va l'inscrire en cachette, menant une vie clandestine. «L'histoire se passe pendant les années de guerre mais elle reste vraie dans la mesure où elle montre les goulots d'étranglement d'une société en pleine guerre d'indépendance. C'est le fil conducteur. Je voulais faire le parallèle entre la guerre de Libération à l'extérieur et les difficultés à vivre des femmes à l'intérieur des maisons». L'histoire de ce roman ne s'arrête pas là, «ce qui est intéressant, nous dit Fatiha Nesrine, est peut-être la création de l'univers poétique, à l'image de Hmed le fou qui fait pousser des amandiers sous la rocaille et qu'on rencontre dans le roman. C'est aussi, Fatima, sa soeur, qui vit dans un monde imaginaire en racontant des histoires de géants, avec lesquels elle communique puisqu'elle a une âme d'enfant.» A propos du titre, l'auteur confie que cet endroit est le seul espace de liberté des femmes. «C'est une plage, qui était autrefois, réservée aux femmes et interdite aux hommes. Elle se trouve à Collo. Cette baie va jouer un rôle déterminant dans le destin de cette fille qui est aussi la narratrice de ce roman.» Fatiha Nesrine nous dira que, dans ce roman, sa démarche a consisté à poser le problème du savoir et de son enjeu. Ce savoir est symbolisé dans ce roman par l'école et commence par elle. «Lorsqu'on a la possibilité de comprendre ce qui se passe autour de nous, les moyens d'analyser la nature des problèmes que l'on rencontre, l'on peut vaincre la peur, les interdits, les tabous qu'on inculque aux hommes. Ces derniers viennent, souvent, du fait que les gens n'ont pas les moyens de comprendre, c'est-à-dire les instruments du savoir pour combattre l'ignorance et surtout la peur que l'on inculque. Ce qui est central dans la compréhension du monde», souligne l'auteur. Et de renchérir: «Dès le moment que l'on refuse de subir, l'on ne veut pas plus être aliéné. On cherche à comprendre. On réfléchit, on analyse et on fait la part des choses.» Autre axe important développé dans ce roman, est cette perception d'un autre monde dont d'autres femmes font l'expérience. «Parce qu'elles perçoivent la poésie et la grandeur de la nature, leur imaginaire s'enrichit justement parce qu'elles sont enfermées et elles doivent imaginer, deviner, ressentir, sans compter le fait qu'elles sont créatrices parce qu'elles transmettent les contes et elles inventent des chansons.» Aussi, ce roman est marqué par un décloisonnement des genres, décliné en narration, contes, chansons, poèmes. «C'est une manière pour moi de me libérer des genres. Ce roman est écrit à plusieurs personnes. Sa langue est la prose poétique. C'est le meilleur moyen d'exprimer ses sentiments. Ce qui est une manière d'exister en tant qu'individu.» Evoquant son rapport à l'écriture, Fatiha Nesrine dira que, jeune, elle a commencé à s'adonner à la poésie. Selon elle, beaucoup de femmes rencontrées disent avoir des manuscrits mais ne savent pas à qui s'adresser. «Ceci est le problème des écrivains. Pour les femmes c'est un pas difficile à franchir.» Aujourd'hui, confie-t-elle, le roman qu'elle prépare sera écrit dans un registre tout à fait différent. «Il est très ancré dans le présent et les dernières années de l'Algérie, autour de la vie des jeunes. Cela n'a rien à voir avec la poésie.»