Il présente un Islam dénué des archaïsmes, un Islam mouvant, débarrassé des stéréotypes, de l'immobilisme, des singeries, de la soumission aveugle... Le profil est en rupture avec les clichés classiques de personnages enturbannés, emmitouflés dans un linge blanc, sandales et toque blanche couvrant le chef. Il représente plutôt la génération yé yé; col relevé, cheveux gominés, gestes et mouvements d'un John Travolta ou Elvis Presley. Soheib Bencheikh est la star de l'Islam «moderne». C'est un peu le ‘‘Che'' des jeunes de banlieue. Il leur présente un Islam dénué des archaïsmes, un Islam mouvant, débarrassé des stéréotypes, de l'immobilisme, des singeries, de la soumission aveugle à des traditions désuètes. Il tapote sur son crâne en disant: «Le changement s'opère là». Il est aussi, par le verbe, révolté ou révolutionnaire, intellectuel engagé ou prédicateur averti. Il ne sait plus; il laisse aux autres le soin d'y apposer l'étiquette qui leur convient. Sur les plateaux de télévision, quand les Français -de souche- daignent bien y mettre un peu d'exotisme, il saute sur l'occasion, s'exprime avec brio, s'éclate. La diction, la mise en scène, la gestuelle parfaites esquissent les contours d'une personnalité cathodique accomplie. Il peut être autant le Sarkozy versant sud; avec les mêmes extraits choisis, les phrases qui font mouche, les mots qui touchent les sensibilités. Sarko? Voilà enfin quelqu'un avec qui il souhaiterait croiser le fer, l'affronter par exemple sur un plateau de télévision pour lui expliquer le sens de «l'émigration choisie». Ce sera une occasion de gommer des esprits, l'épisode fâcheux d'un Tarik Ramadan-qu'il ne fréquente pas nécessairement- qui s'est dérobé sur le thème de la «lapidation». Le mufti de Marseille a ses certitudes. Il croit que les Arabo-musulmans ont connu la France avant les Hongrois. L'allusion aux origines est faite. Pourquoi ne pas se présenter, dans ce cas, aux élections présidentielles et dire aux Sarkos de tout bois ce qu'on a envie de dire? «Oui, je suis candidat», répond-il sans hésitation, mais «candidat accompagnateur». Ce ne serait pas un candidat à la Coluche pour amuser la galerie? Non, autre chose. Bencheikh prêche la morale. Il s'insère dans la catégorie abbé Pierre en punk. Il s'adresse aux foules marginalisées des banlieues, des ghettos de la République, ces no man's land qui ne sont ni français ni arabes. Il est le prédicateur soporifique qui leur administre sa potion pour les réveiller ensuite, lavés, purifiés du péché, prêts à recommencer une autre vie, à accepter leur condition, à s'assumer entièrement dans un climat de reniement et de mépris. Il leur prodigue donc les remèdes de l'esprit, par la parole et des actions. Il fait sienne la théorie de Malek Bennabi qui situe l'ijtihad dans l'époque post-almohadienne. «Oui, il y a des individualités mais l'Islam a besoin d'un grand départ», relève-t-il. «Lorsque la production du livre dans le monde musulman est de seulement 1% de la production mondiale, vous comprenez ce que je veux dire». En somme, son monde est en panne ou en hibernation depuis les Almohades. Les individualités ne changent pas le cours des choses; il faut un mouvement d'ensemble. Bencheikh n'hésite pas à briser les tabous. Ce sens aigu de révolte ou de liberté de pensée le rend infréquentable. De ce côté-ci, les Algériens l'ignorent. Ils n'ont pas besoin d'un trouble-fête. Ils préfèrent la sérénité d'un Cfcm docile. Il lorgne donc du côté de son propre environnement, c'est-à-dire là où il est né, où il a vécu, dans l'Hexagone où les compétences finissent toujours par l'emporter sur les préjugés.