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Silhouettes de guerre en temps de paix
SAHARA OCCIDENTAL
Publié dans L'Expression le 08 - 03 - 2007

Loin de Médine, loin du Vatican, une guerre, d'un autre genre, a clochardisé tout un peuple et l'a poussé à vivre dans des campements, dans un désert caillouteux et brûlant.
Face aux crépitements d'un petit feu tiède qui s'excusait, affablement, pour sa présence, Chayaâ, au teint brun, une Sahraouie par excellence, déploie tous ses attraits et nargue la lueur présente d'un coup d'éclat et de beauté irrésistible. Elle est emmitouflée dans un tissu sahraoui orange qui, de temps à autre, glisse, laissant éclater un charme ensorcelant. Tous les anges qui dansent, plaisamment, autour d'elle s'inclinent, comme pour obéir aux ordres de cette Vénus. Le khôl de ses yeux noirs, d'une brillance étincelante, est vite chassé par un raz-de-marée chaud. Le mot de la guerre met en charpie l'âme de ce jeune séraphin condamné à vivre dans le ciel de «ni guerre ni paix», dans les camps des réfugiés sahraouis.
Elle se voile la face à l'aide de son étoffe et essuie ses pleurs. Et, une ire rougeâtre succède, subito presto, à l'éclat éblouissant de ses yeux. «Demain je te montrerai ce que c'est la guerre», lance-t-elle à notre adresse, la mort dans l'âme. «Pour cette nuit, contentons-nous de commémorer l'anniversaire de notre République». Elle brandit un miroir. Elle grince les dents. Et se maquille derechef, mais l'enchantement ne la quitte nullement.
A Tifariti, territoire libéré du western Sahara, à quelque 30km seulement du muro de la verguenza (le mur de la honte), l'archéologie de la guerre se fait connaître délibérément. Il a fallu patrouiller, pendant dix heures, des surfaces immenses, un Sahara au sens propre du terme, pour voir surgir subitement Tifariti. A quelque 50 km de cette région-symbole, apparaît la capitale spirituelle de Smara, fief du cheikh Ma El Aïnin, occupée, contre toute logique, par l'armée marocaine. Ma El Aïnin est un guérillero sahraoui de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ce grand héros est mort en 1910, à la suite de la défaite essuyée face aux troupes françaises en 1909. Il est le fils de Muhammad Fâdil, fondateur de la confrérie musulmane Faddiliya. Il devient, à la fois, chef religieux et le Che Guevara sahraoui qui poussa les nomades de la région à se soulever contre les puissances coloniales, la France et l'Espagne. Il est aujourd'hui un symbole et une fierté.
A l'aube de la journée du 27 février, date de la proclamation de la République sahraouie, Chayaâ se réveille toute belle à son état sauvage comme étant maquillée, secouée par le cauchemar de la guerre. «Debout! je vous ai promis de vous montrer quelque chose qui ressemble à la guerre». Nous sommes restés surpris! Nous n'avons rien compris! Mais nous irons quand même, sans faire marche-arrière, motivés par une forte envie de découvrir, un désir le vent en poupe. Le monde était encore figé, comme hypnotisé par une douce tranquillité mariée à l'immensité incalculable du désert. «Nous devons atteindre l'oued, j'ai quelque chose à vous montrer», nous suggère Chayaâ, désormais, notre guide. Derrière les petites collines rocheuses de Tifariti, le soleil ne s'éternise pas. Une lueur savoureuse flirte finement avec le dos des pierres géantes et annonce l'arrivée d'une nouvelle journée. Une fois à l'oued, nous nous excusons d'abord auprès des militaires, surpris par notre randonnée matinale.
La guerre dans toute sa cruauté
Chayaâ presse le pas, tandis que nous écoutions soigneusement les conseils d'un militaire sahraoui, pris par une sorte d'ivresse de ni sommeil ni réveil. «Vous ne devez pas aller plus loin sinon vous risquez de mettre le pied sur une mine», nous a-t-il averti. Notre guide, d'un sourire ravissant, acquiesce et échange, en arabe hassani, quelques propos avec son compatriote. Et de s'adonner, à nouveau, à une marche à petites foulées.
Nous marchons encore au fond de la vallée, ornée par d'impressionnants rochers et d'arbres-parapluie.
Nous découvrons enfin, à l'abri des regards, les restants d'un blindé détruit. Chayaâ s'arrête. Elle s'accroupit et nous regarde droit dans les yeux. Au fond de son regard, une colère bouillonnait, puis une mélancolie gravissime jaillissait. «Vous vouliez voir la guerre? La voici.» Près du chariot, elle tire une botte en caoutchouc, légèrement enfoncée dans le sable, et fait découvrir des ossements qu'elle arrose instantanément de ses pleurs. La guerre dans toute sa cruauté! Elle s'enveloppe de nouveau dans son tissu orange, ramasse un pan et essuie ses larmes. «Pauvre Sahraoui!», laissa-t-elle entendre à mi-voix chaude, coupée d'un sanglot. Le ton ressemble à celui qu'on utilise pour annoncer les grandes catastrophes. Elle enterre de nouveau les restes humains et, au pied du blindé, Chayaâ nous montre un rasoir abîmé, complètement rouillé. «C'est un garçon qui ne dépasse pas la trentaine», précise-t-elle. Vous savez pourquoi? Et de nous répondre «car, exceptés les jeunes, je ne pense pas que les militaires sahraouis ont le temps de penser à leur barbe pendant la guerre». Une seconde précision: «A force de vieillir, la barbe des hommes sahraouis se vide petit à petit. Notre peau est faite ainsi». Nous sommes restés cloués au sol, ébahis, muets et embarrassés. Le silence des lieux aggrave, à fortes doses de mélancolie, notre désorientation. Chayaâ est profondément blessée par le souvenir de la guerre.
Elle ne parle plus. Elle nous fait signe de marcher encore. Puis, elle rompt le silence. «Ce que le militaire vous a dit est vrai. Plusieurs sahraouis ont été soufflés, presque souvent, par des mines antipersonnel. D'autres meurent dans l'anonymat en plein désert, près du mur de la honte.» C'est une vérité que nous avons pu confirmer, par la suite, auprès du chef par intérim et commandant des forces de la Minurso (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental), Kurt Mosgaard. «Une fillette de huit ans est morte, il y a quelques semaines, soufflée par une mine antipersonnel», regrette encore Chayaâ, le visage buriné par les pleurs.
Au coeur de la vallée, à quelque 500 mètres du campement, le froid de la matinée tente encore de pénétrer nos jointures. Le soleil se fait désirer. Nous marchons encore sur les traces de la guerre, en faisant attention aux pierres pointues comme des épées et aux épines des arbres qui menacent sans relâche notre peau.
Par moments, notre guide brandit un engin lancé à partir d'un bombardier, sinon des carcasses de mines et/ou de chariots détruits.
Nous avons l'impression d'avoir mis le pas sur un véritable champ de bataille. Et dire que la guerre remonte à au moins dixsept ans! «Ce ne sont, en fait, que les séquelles visibles de la guerre. Vous voulez le pire?». Y a-t-il encore des choses plus horribles? Que cache encore cette fille qui, visiblement, ne peut avoir plus de 27 ans? «Pressons le pas». Pas bien loin de nos premières découvertes, Chayaâ pointe l'index vers des maisonnettes en ruine, tombées sous l'effet des bombardements marocains. Chayaâ est sensiblement moins tourmentée. «A quelques mètres de ces ruines, vous trouverez la carcasse d'un avion marocain abattu par les militaires sahraouis».
Postés sur les chemins, dans des recoins de la vallée, des militaires sahraouis, veillant sur la République et payés à la tasse de thé, assurent la vigilance et nous pourchassent incessamment du regard. «Les militaires peuvent vous montrer une autre image de la guerre. Je vais vous faire connaître une autre, mais en route, car nous ne pouvons pas aller plus loin», regrette encore Chayaâ. Noble et radieuse femme! La nuit saharienne, aux mystères abyssaux, s'offre complètement au jour qui pique son nez au Levant.
Dans un sentiment ponctué de crainte, Chayaâ se précipite. Elle se met face à l'horizon, la nuit s'abat gentiment sur le campement, et décide de rentrer. Enfouie dans son beau tissu orange, conforté par une jaquette havane, perle de couleur, de parfum, de beauté, offertes au vent du désert et à la sérénité de la vallée, Chayaâ se met à égrener, ses dernières confessions de guerre. En marchant, elle nous interroge: «Avez-vous déjà vu des fantômes au Sahara?». Non! «A cet endroit, des Sahraouis ont vu des fantômes circuler la nuit, manoeuvrer et crier. Pensez-vous que cela est vrai?». Nous sommes immédiatement piqués par une sorte de meurtrissure et d'angoisse.
Les fantômes du Sahara
Nous nous sommes rappelé de l'incident qui arriva à Carlos, un Espagnol qui, deux jours auparavant, a quitté les toilettes du camp, les jambes à son cou. Au moment d'une coupure de courant, alors qu'il se trouvait à l'intérieur, Carlos affirme avoir entendu des chuchotements, des claquements et des portes qui s'ouvrent et se ferment aussitôt. «Je pense que ce sont nos martyrs qui reviennent. Ce ne sont pas des fantômes». Cette silhouette, dessinée par l'ombre d'une belle lueur, chagrinée par les réminiscences de la guerre et le retour des martyrs, s'éloigne peu à peu et reprend le chemin du camping. La guerre est finie, mais la paix est encore loin, là-bas derrière l'horizon! Près du camp, la route s'arrête.
Chayaâ aussi. Devant une khaïma, une photographe passionnée, une élue de la mairie de Vitry, s'amuse à zoomer, à encadrer et à collectionner des surfaces insaisissables. Envôutant, grandiose, illimité, le désert ressemble quelque peu à l'infini.
Quand on veut connaître le désert, c'est souvent par les oasis que l'on commence. Chez les Sahraouis, le désert commence à l'intérieur d'une généreuse khaïma. La bonté du coeur remplace toute la splendeur et la bénédiction d'une oasis. Et voilà que le jour arrive. Les toiles se vident peu à peu, mais personne n'a jamais regretté de s'être levé aux premières lueurs de l'aube. Les 4x4 commencent à faire entendre leur vrombissement.
Chayaâ nous invite à siroter un thé, d'autres admirateurs préfèrent contempler encore le disque d'or du soleil qui pointe à l'horizon. Tout orgueilleux, il lâche définitivement l'aube, séduit par l'ultime sourire de Chayaâ.


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