Ighil Ahriz révèle avoir obtenu des témoignages capitaux classés «secret défense». Louisette Ighil Ahriz mérite un monument. Recroquevillée, boîteuse, cachée derrière ses grandes lunettes, elle a mené pourtant un combat de titan contre la machine infernale du silence. Elle a eu le culot de témoigner, à visage découvert, sur les colonnes du journal Le Monde. Depuis, les langues se sont déliées. Ses anciens tortionnaires sont sortis de leurs caches pour la démentir. Ils n'ont fait que confirmer ses témoignages. On a vu ensuite des anciens militaires parler de leur passé sur la chaîne Histoire. On a vu certains pleurer parce que la conscience les taraudait depuis quarante ans. Il y a eu ensuite des livres publiés et beaucoup de témoignages sur la torture subie par les Algériens pendant la guerre de Libération. Clauarec a pris récemment attache avec Ighil Ahriz pour lui communiquer des témoignages capitaux, classés jusqu'ici dans la catégorie «secret défense». Le colonel Schmidt -le tortionnaire qui a eu à affronter Louisette dans un procès à Paris- a demandé à ce dernier «de se la boucler parce que la guerre d'Algérie continue». Ces propos sont rapportés par Me Benbraham qui a tenu hier une conférence sur le thème «La torture coloniale: crime d'Etat», au forum d'El Moudjahid. Des témoins étaient assis au premier rang. On sentait leur douleur à travers les bribes de phrases qu'ils lançaient de temps à autre pour appuyer le propos de l'oratrice. Cette dernière a tenté de démontrer que la torture en Algérie a été «institutionnalisée» pour arriver à la conclusion de «crimes d'Etat» qui sont imprescriptibles vis-à-vis de la loi et que les plaignants ont le droit de recourir à la justice pour demander réparation. Elle s'appuie sur le traité de Rome de 1998 pour étayer sa thèse. Par une longue plaidoirie, elle a énuméré les déclarations des tortionnaires et leurs commanditaires pendant et après la guerre pour convaincre les journalistes présents dans la salle. Puis elle a montré des photos insoutenables sur des actes de torture. Ces photos ont été fournies par Duquesnes, un ancien journaliste, victime de tortures, qui les a rassemblées chez les anciens tortionnaires eux-mêmes. On voit, par exemple, un homme nu soulevé qu'on fait asseoir sur une bouteille en acier; une autre photo d'une femme subissant le viol devant un attroupement d'hommes hilares; une autre complètement nue avec des chaînes au cou et aux pieds, maintenue entre deux militaires; des têtes d'hommes posées sur le sol; un militaire tenant par les cheveux deux têtes d'hommes coupées et le sang ruisselant...des scènes et des scènes horribles qui remontent aux temps médiévaux. «Ce sont là, les bienfaits du colonialisme», crie une voix dans la salle. Puis on voit une baignoire. Louisette, assise au bout, pose pour le photographe. Cette baignoire a son histoire. Les parents de Louisette ont été torturés dans cette bassine qu'elle a pu retrouver pour se l'approprier et y planter une fleur pour chaque victime. On voit les rosiers fleurir sur la photo. Feu Mahfoud Kaddache disait: «La France sera jugée devant le tribunal de l'Histoire». Mais la dame du barreau dit qu'il y a une justice ici-bas. «Nous avons les moyens juridiques pour y parvenir». Elle n'épargne pas le père du nouveau président français qui fut légionnaire en Algérie pendant la guerre. Le travail de mémoire a commencé. C'est peut-être le meilleur jugement. Lorsqu'on voit des anciens tortionnaires verser des larmes, on doit se dire que l'homme a une conscience enfouie quelque part qui finira par avoir le dernier mot.