Albert Camus est forgé par la misère: «Comment voulez-vous qu'un type pareil défende le colonialisme?» Comment réussir, aujourd'hui, à rectifier le tir commis par Albert Camus qui, entre la justice et sa mère, a choisi sa mère? La force de frappe de cette fameuse phrase, prononcée par Camus en 1957 à Stockholm, en recevant le prix Nobel, est telle que la douleur qu'elle a créée est restée vivace dans la mémoire des Algériens. Cinquante ans après que cette phrase eut été prononcée, quarante sept ans après le décès de Camus, l'écrivain et journaliste français, Jean Daniel, tente de justifier les propos du Nobel de littérature. Camus a toujours été contre la violence. Il est évident, de ce fait, entre une justice qui se fait à coup de bombes qui tueront sa mère, qu'il choisisse sa mère. Il faut aussi se rappeler ce que Camus disait: «je suis contre le terrorisme armé qui attaque le train dans lequel se trouve ma mère», estime le directeur de rédaction du magazine français Le Nouvel Observateur, avant hier, lors d'une conférence animée à la Bibliothèque nationale. Jean Daniel, qui est venu faire la promotion de son dernier livre Avec Camus: comment résister à l'air du temps, n'est pas à un point près d'ignorer le contexte historique dans lequel Camus a fait son choix. Rappelons que, lors de l'attribution du prix Nobel à l'auteur de L'Etranger, l'Algérie était en pleine guerre pour le recouvrement de son indépendance. La lutte était sanglante. Les Algériens n'appliquaient que l'adage selon lequel «ce qui est arraché par la force n'est repris que par la force». Loin sont les temps où, dans la série de reportages faits en Kabylie, Camus dénonçait la misère qui frappait, de plein fouet la population kabyle. «Albert Camus est forgé par la misère. Sa mère, veuve de guerre, travaillait durement pour subvenir à ses besoins. Il a de ce fait, vécu une enfance malheureuse, faite de privations et de besoins. Il ne changeait pas de vêtements, parce qu'il n'en avait pas. Comment voulez vous qu'un type pareil défende le colonialisme? D'autant plus que, quand il part en Kabylie, il découvre des gens plus pauvres que lui. Il faut lire les débuts d'Albert Camus dans le journalisme pour comprendre ses positions» fait remarquer Jean Daniel. Celui-ci n'a pas omis de revenir sur le lien qui lie Camus à l'Algérie. «Pour lui (Albert Camus, Ndlr), ce n'est pas la date d'arrivée dans un pays qui détermine l'appartenance à une patrie». Toutefois, à considérer le revirement fait par Camus, on se demande si ce n'était pas le concept de l'identité chez cet écrivain qui était en pleine gestation. Par ailleurs, faisant le parallèle entre Albert Camus et Assia Djebar, qui est membre de l'Académie française, M.Daniel a estimé que «ces deux écrivains se ressemblent, dans le fait que les personnages des romans de Djebbar ne sont pas français et que, ceux de Camus ne sont pas musulmans, à une seule, exception, où le seul personnage de Camus, a brillé par sa disparition». Jean Daniel, de son vrai nom Jean Daniel Bensaïd, est né à Blida le 21 juillet 1920. Elève au collège colonial de sa ville natale, il devient dès l'âge de quinze ans, un lecteur assidu de l'hebdomadaire Vendredi. Les reportages qu'il a réalisés sur la guerre d'Algérie, et dans lesquels il dénonce la torture, l'ont vite porté au zénith. Favorable à la cause algérienne, il défend les négociations avec le FLN. Cela ne va pas sans entraîner la rupture avec Albert Camus. Cela ne va pas également empêcher Jean Daniel de lui consacrer un livre dans lequel il invite le lecteur à découvrir les plus belles oeuvres du XXe siècle français. Mais pourquoi revenir aujourd'hui à la lecture de l'oeuvre de Camus? «Si Camus resurgit, c'est en fonction de l'actualité qui lui est propre, mais surtout parce qu'il est porteur, en ce temps de difficultés à vivre avec le présent et de crainte pour l'avenir, d'un message, d'un héritage dont nous devons faire précéder notre testament».