Ces enfants cachent bien leur âme meurtrie par un destin qu'ils n'ont pas choisi. Les enfants travaillent beaucoup, pour des salaires de misère, et sont embauchés au noir pour faire fructifier les revenus d'employeurs sans vergogne, puisque parfois, ils sont soutien de famille ou simplement pour fuir l'oisiveté et le vice. Néophytes dans leurs activités quotidiennes, risquant parfois pour leur vie, ces «petits grands hommes» travaillent partout, laborieux à plus d'un titre, pour refiler des sachets, des cigarettes, du pain et de la galette sur les trottoirs. Ils investissent aussi le secteur de la récupération, où ils sont employés par des chefs d'entreprise, activant dans le domaine de la récupération du plastique, des cartons et des métaux appelés communément déchets ferreux. Ces petits hommes sillonnent, à longueur de journée, les rues, les décharges publiques; dans les stations de bus, rien ne leur échappe pour gagner ce maigre subside pour ce croûton de misère qu'ils se doivent de débrouiller vaille que vaille. C'est leur spleen, leur monde à eux, ce négoce pratiqué par certains qui ont quitté les bancs de l'école, et pour d'autres, avec la débrouille dans le sang, c'est surtout pour aider un père ou une mère n'arrivant pas à joindre les deux bouts. Et avec leur corps d'enfant, ils ont tout de même un esprit d'adulte. L'esprit mûr Conscients de leur statut d'enfant, ces êtres considèrent que la maturité, c'est-à-dire assumer sa responsabilité, n'a pas d'âge. C'est ce qu'a déclaré Ramzi, ce petit garçon de 12 ans au regard triste, de ne pouvoir jouir des bienfaits de l'école, qui, en temps normal, aurait pu lui assurer un avenir meilleur. «Je suis orphelin de père. J'ai perdu mon papa à l'âge de 5 ans. Ma mère, en dépit des petits boulots qu'elle déniche par-ci par-là, a du mal à arrondir les fins de mois.» Effectivement, la mère de Ramzi, autrefois femme au foyer, au vivant de son époux, se retrouve à la merci d'une vie sociale qui ne pardonne pas. Avec trois enfants à charge, la veuve devra se débrouiller comme elle peut. Conscient de cette situation de précarité sociale dans laquelle vivent Ramzi et sa famille, le petit homme opte pour une concession de taille: quitter l'école à l'âge de 11 ans afin de permettre à ses deux soeurs, Asma et Imène, âgées respectivement de 14 et 17 ans, de pouvoir continuer leurs études. L'une au CEM et l'autre au lycée. Ramzi estime que leur statut de femme leur ouvre droit à plus de droits que lui. Une logique très convaincante de sa part. Il ne voudrait pas les voir mener le même sort que sa mère qui n'a jamais été à l'école. Il dira: «Avec un diplôme, la vie leur épargnera des embûches. Avec un diplôme, on est sûr d'avoir un travail.» Quant à lui, Ramzi dit être homme, la dureté de la vie doit être supportée par les hommes, surtout de nos jours. «Je sais que je suis jeune, un enfant, et je suis le seul homme de la maison qui n'a qu'un seul choix, assumer une responsabilité, même si c'est au détriment de mon avenir.» Dure est pour Ramzi cette vie. Mais pour certains enfants, gagner sa journée c'est voler de ses propres ailes en retroussant ses manches et compter sur soi pour «s'autogérer». Ils ne sont pas aux quatre coins de la ville pour s'enrichir sans cause, ils travaillent très dur pour décharger, parfois, des sacs de ciment et des caisses de légumes qui pèsent beaucoup plus que leur corps. Mais peu importe. Gaufrettes, chaussettes, mouchoirs en papier et autres, sont parfois cédés par des enfants, certains pas plus haut que trois pommes, pour ne pas rater l'occasion de rentrer chez eux avec la satisfaction d'avoir ramené, pour une mère alitée ou un père handicapé, un frère ou une soeur envieuse, ce petit quelque chose pour leur faire plaisir. Une satisfaction qu'ils procurent à leurs proches au détriment d'une envie qu'ils inhibent. Enfance oubliée, âme meurtrie, ces petits êtres que l'on appelle aussi «enfants» ont complètement oublié de vivre leur enfance qu'ils ont perdue volontairement au beau milieu d'un âge pris dans le tourbillon des soucis d'une vie qui ne les a pas épargnés. Pis encore, ces enfants, cachent si bien leur âme meurtrie par un destin qu'ils n'ont pas choisi. D'ailleurs, ce n'est pas avec gaieté de coeur qu'ils trimbalent des cartons pleins de produits destinés à la commercialisation sur les places publiques de la ville d'Annaba, et de jouer au chat et à la souris avec les services de l'ordre, mais vendre ce qu'ils peuvent vendre est vital. Mais rien écouler, c'est ce sentiment de frustration qui pèsera tout au long de la journée. Quoi qu'il en soit, dans ce monde cruel parfois, les enfants travaillent pour fuir les vicissitudes malsaines d'un quotidien anxieux et aussi simple que cela pour fuir l'alcool, les psychotropes ou autres vices...Rien que pour rendre le sourire à leurs parents, les enfants ne s'empêchent pas de gérer leur propre vécu pour, au moins, rapporter ce qu'ils peuvent rapporter, alors que d'autres, plus chanceux, vont arriver à se faire des situations au péril de leur vie, sur des chantiers ou ailleurs. L'enfant est, certes, laborieux, il se débrouille, et si une prise en charge réelle existait pour cette frange de la société, on n'entendra plus...«tlata baâchra, tlata baâchra». Pour une protection maximum L'enfant, dit-on, c'est l'innocence, préserver l'enfant d'aujourd'hui, c'est investir dans l'homme de demain. Cet espoir du pays doit bénéficier d'une manière privilégiée de mesures salutaires et d'une protection absolue et générale de santé, de sécurité et d'éducation tendant au développement harmonieux de ses facultés intellectuelles et morales. Pour cela, le rôle de la famille et sa responsabilité en matière d'éducation sont essentiels, voire fondamentaux, sans omettre d'ajouter que la société, dans son ensemble, a le devoir de prendre un soin particulier de ces êtres fragiles que sont les enfants. Sinon, comment peut-on protéger l'enfant contre toutes les dérives que véhicule une société en pleine mutation des conflits familiaux, les violences et les maltraitances que subissent les enfants, les abandons dont ils sont victimes? S'ajoutent à cela la pauvreté, la précarité et la déperdition scolaire. Tous ces facteurs rendent l'enfant un être vulnérable, otage de l'incompréhension des adultes et constituent, en conséquence, un grave problème que la société aura du mal à gérer. Ces situations vécues par les enfants engendrent une grande souffrance physique et morale. L'Organisation mondiale de la santé définit les maltraitances de l'enfant et s'étend à toutes les formes de mauvais traitements physiques ou affectifs, en l'occurrence, les sévices sexuels, négligences, exploitation commerciale ou autre. Entraînant un préjudice pour la santé de l'enfant, sa survie, son développement ou sa dignité, dans le contexte d'une relation de responsabilité ou de confiance en soi-même. D'ailleurs, plusieurs études ont démontré que les châtiments corporels infligés aux enfants sont dangereux et c'est un facteur important dans le développement du comportement violent. Et c'est ce qui explique la violence de nos enfants, car les châtiments infligés à l'école aux enfants sont plus que traumatisants. Ils vont même jusqu'à laisser des traces sur le corps de l'enfant, d'où ces séquelles qui le marqueront à vie. Autres lieux, autres châtiments. A la maison, l'enfant, à la moindre faute, est l'objet de punition, ce qui aggrave encore la situation avec des conséquences négatives. D'où protéger l'enfant, en somme, c'est instaurer un dialogue permanent avec lui pour éviter la rupture et le repli sur soi. Et c'est, en définitive, lui donner les capacités requises pour qu'il devienne un homme tout simplement, en temps réel, loin de tout ressentiment de culpabilité, de haine et de mépris. Comprendre l'enfant, c'est lui permettre de vivre son enfance, ne pas lui voler ses éclats de rire...En sauvegardant l'innocence d'un enfant, c'est le comprendre et c'est aussi bannir à jamais les conflits de génération.