C'est un peu le fin mot de l'accord trouvé hier à un nouveau «traité» européen qui remplace la défunte Constitution européenne mort-née. L'Union européenne ne sera ni une fédération d'Etats, ni un Etat homogène qui se donne les moyens de sa politique comme ceux de parler d'une seule voix. Ce ne sera donc pas l'institution supra-nationale esquissée par la Constitution de 2005 bloquée par les «non» retentissants de la France et des Pays Bas. Exit donc de l'accord les termes de «loi fondamentale» de même que les symboles que représentent le drapeau, l'hymne ou la devise (tous les membres de l'Union ne sont pas assujettis à l'euro par exemple) qui pourraient assimiler l'UE à un Etat. Il n'y aura pas non plus un ministre européen des Affaires étrangères, mais un Haut représentant. C'est la même chose? Voir! Certes, le drapeau européen, l'hymne, la devise ou le chef de la diplomatie, tout cela existe en fait, et continuera à exister, mais il ne faut pas trop le dire pour ne pas offusquer le nationalisme des uns et des autres. Cette Union européenne, c'est un peu une auberge espagnole ou chacun est sûr de trouver ce qu'il a lui même apporté, c'est surtout Tartuffe quelque part revisité. En un mot comme en mille, le nouvel accord européen fait la part belle aux Etats, puisque sur la majorité qualifiée, sur l'application de telles ou telles décisions des dérogations ont été accordées à des pays comme la Grande-Bretagne, la Pologne ou encore l'Irlande qui font de cette Union européenne, une Union à la carte. Tout bancal soit-il, l'accord sur le nouveau traité européen a, néanmoins, fait des heureux, à leur tête Angela Merkel, la chancelière allemande, présidente en exercice de l'UE, toute fière d'avoir pu dépasser, sans trop de dommages, cette étape cruciale à quelques jours du terme de son mandat qui prend fin le 30 juin prochain. En réalité, c'est une prouesse pour Mme Merkel qui, par son labeur, a remis sur les rails une Union européenne en panne depuis les contre-coups français et néerlandais de 2005. Elle a été puissamment aidée par l'ambitieux nouveau président français, Nicolas Sarkozy, qui a marqué de son poids les difficiles négociations de Mme Merkel avec le président polonais, Lech Kaczinsky, qui tenait à sauvegarder les droits de son pays. Très diplomate et ferme à la fois, M.Sarkozy, tout en sauvant les meubles, a, selon les observateurs, contribué à trouver un terrain d'entente qui a permis de qualifier le nouveau traité européen. Commentant l'heureux dénouement de 36 heures de négociations ardues, le président français à indiqué que cette issue est une «très bonne nouvelle pour l'Europe et très bonne nouvelle pour la France» soulignant: «Nous ne sommes pas passés loin de la rupture, mais la France n'a jamais renoncé. Il n'y a pas de gagnants, il n'y a pas de perdants et l'Europe s'est remise en marche». C'est sans doute surtout cela, l'Europe, il fallait y croire. Mais cela reste, cependant, une Europe vue à l'aune de sa propre heure laquelle a peur de qualifier les choses comme de ne pas donner son nom à son chef de la diplomatie même si, dans les faits, tel est le cas. Si effectivement, les Européens ont énormément progressé ces dernières années dans la mise en place d'un ensemble homogène et représentatif de l'idée «européenne», il n'en reste pas moins que beaucoup d'Etats à l'instar de la Grande-Bretagne et même de la France (cf; le non à la Constitution européenne de 2005) ne sont pas prêts à franchir le Rubicon d'un véritable Etat fédéral européen avec son Parlement, son gouvernement et ses diverses institutions et symboles de pouvoir. L'Union européenne ce n'est toujours pas les Etats-Unis d'Amérique -ni même la Russie- mais c'est un géant économique, commercial et financier, loin devant même les Etats-Unis, qui restera cependant, jusqu'à des jours meilleurs, un nain politique incapable de dépasser les particularismes nationaux. C'est l'une des raisons qui ont fait que l'Union européenne n'a pu avoir de rôle dans la guerre en Irak, déclenchée par les Etats-Unis, sur lesquels elle n'avait pas eu de prise, d'autant plus que deux de ses plus importants membres, -la Grande-Bretagne et la France- ont pris fait et cause pour les Américains pour le premier, contre la décision de Washington, pour le second. Londres a suivi sans réserves la Maison-Blanche, sous-traitant quasiment pour les Etats-Unis, quand Paris tentait encore de sauver ce qui pouvait l'être d'un consensus européen et international introuvable alors que l'ONU était disqualifiée par l'hégémonisme américain. L'Union européenne n'a pas, non plus, de prise sur le dossier israélo-palestinien laissé au bon vouloir des Etats-Unis, principal allié et protecteur de l'une des parties belligérantes, Israël. Le conflit israélo-palestinien n'est pas seulement une affaire économique ou humanitaire où l'Union européenne pouvait intervenir -ce que l'UE a fait à chaque fois que de besoin- mais surtout un dossier politique où, sans doute, les Européens auraient dû avoir leur mot à dire. Ce qui n'a jamais été le cas. Jusqu'à l'affaire du Kosovo, prise en charge par les Nations unies, dont l'UE est partie prenante -cette région fait partie de sa sphère géographique et politique- mais court-circuitée par les Etats-Unis et la Russie devenus la clé de la solution du problème kosovar quand l'UE risque de voir son rôle limité à l'après-«indépendance» kosovare avec tous les risques que cela pourra impliquer. Le nouveau traité européen, réalisé hier à Bruxelles, est, en fin de compte, un traité au rabais, un contrat de dupes qui s'il satisfait, dans l'immédiat, les Etats, ne donne pas l'impression qu'à la longue, les peuples européens y trouveront leur compte.