Ce n'est pas sans raison que Le Monde, malgré certains petits désagréments, a suivi à la lettre la politique officielle du général tout en soutenant son retour. La censure était justifiée et admise par l'usage. La presse française a, encore une fois, connu certains déboires avec son alignement sur Nicolas Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle. Même un journal comme Le Monde a suivi le mouvement et a soutenu à fond le locataire actuel de l'Elysée. Seul Le Canard enchaîné et quelques petits titres ont résisté à cette dangereuse foucade. Dernièrement, le directeur de la rédaction de Paris-Match a été limogé après la publication de photographies singulières de Cecilia Sarkozy. Le Journal du Dimanche a, à la suite de pressions de Lagardère, un de ses financiers principaux, censuré un article donnant une information vérifiée comme quoi Mme Sarkozy n'avait pas voté au second tour. Ainsi, en France, c'est l'ère de la presse et du parti du président uniques. Jamais, le quotidien français, Le Monde, n'a connu autant d'attaques que ces derniers mois, surtout après la publication du livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen intitulé tout simplement, La face cachée du Monde. Certes, ce n'est pas la première fois que ce quotidien de référence subit une campagne d'une telle intensité. La haine se conjugue avec les lieux diserts du règlement de comptes. Déjà, du temps de son fondateur, Hubert Beuve-Méry, considéré, à tort ou à raison, comme un espace mythique légitimant une genèse paradoxale, des journalistes s'étaient attaqués à cette citadelle bâtie par De Gaulle pour servir de vitrine à sa politique. Ce n'est pas sans raison que Le Monde, malgré certains petits désagréments, a suivi à la lettre la politique officielle du général tout en soutenant son retour. La censure était paradoxalement justifiée et admise par l'usage peu amène de cette expression-massue «raison d'Etat» qui faisait du journaliste un simple fonctionnaire. C'est peut-être cette situation originelle qui engendre les crises successives connues par le quotidien parisien du soir. Le départ de Beuve-Méry de la direction du journal allait provoquer de sérieuses crises de succession. Certes, Jacques Fauvet, ancien rédacteur, prend le relais, mais contesté, d'autant plus que les événements de mai 68 avaient provoqué de grandes secousses et d'énormes césures dans la société française et dans la relation qu'entretenaient les journalistes avec le pouvoir. Mai 68 a contribué, en quelque sorte, à libérer le journalisme trop accroché aux basques du discours politique dominant, exception faite de deux ou trois journaux. Reportages-trucages D'anciens journalistes, marginalisés par leur direction et d'autres confrères se mettent à tirer à boulets rouges sur ce journal en usant souvent d'arguments peu sérieux, cherchant dans le passé de Jean-Marie Colombani et de Edwy Plenel, directeur de la rédaction démissionnaire et de leurs parents, des arguments pouvant accréditer l'idée d'un manque de nationalisme ou, plus grave, de trahison et tentant de rendre responsables de la grave situation économique actuelle la direction du journal. Certes, ces pamphlets réussissent à mettre à nu le fonctionnement de ce quotidien qui s'est toujours présenté comme un journal de référence. Faux scoops, manipulation et mise en scène de l'information, marginalisation de l'enquête, non-vérification des sources et bien d'autres maux constituent les espaces communs du journal Le Monde, mais également de tous les autres médias français et européens. Le lynchage en règle des dirigeants du Monde pose fondamentalement le problème de l'éthique journalistique. Cette polémique, usant à profusion de lieux communs, de stéréotypes et de clichés, met en relief l'absence d'un débat sérieux et d'une certaine éthique intellectuelle. Tous les coups bas sont permis dans ce pugilat en manque d'arguments licites qui a donné à voir l'extrême pauvreté d'une presse qui n'arrête pas de donner des leçons aux autres, alors qu'elle manque manifestement de pudeur. Ainsi, se pose tout simplement la question de la fonction du journalisme et de la place de la subjectivité dans l'écriture journalistique. Ces derniers temps, les grands médias «occidentaux» ont vécu des situations pénibles mettant parfois dangereusement en péril leur existence. La crédibilité s'est sérieusement émoussée depuis longtemps. Le New York Times a perdu gravement en estime avec l'affaire des journalistes plagiaires. En France, combien d'affaires ont été tues? Des journalistes qui envoyaient leurs «reportages» supposés sur des pays étrangers à partir du bistrot du coin ou le présentateur-vedette de TF1, Patrick Poivre d'Arvor qui fait une interview-montage avec Fidel Castro sont toujours en place. Comme d'ailleurs, ce rédacteur en chef de cette même chaîne qui, en 1993, ajoutait, cela mettait de l'ambiance, des salves et des coups d'armes automatiques à un envoi effectué à partir de l'hôtel El Djazaïr qui n'en nécessitait pas. Ce journalisme de caniveau, imposé par une certaine conjoncture et marqué par le compagnonnage trop suspect avec les espaces de la finance, est l'expression d'une crise larvée révélant les dangereuses dérives d'une presse trop subjective, évitant dangereusement d'apporter une information complète et mettant en scène ce qu'on appelle désormais, l'information-spectacle au service des intérêts de la boîte dirigeant réellement le journal. Cette dimension spectaculaire contribue à appauvrir le journal en faisant le plus souvent l'économie de la vérification des sources, d'autant plus que chaque média cherche à donner la nouvelle avant ses concurrents. Aussi, comprend-on la déclaration de Serge Dassault, sénateur UMP et propriétaire de la Socpresse (plus de 70 titres de la presse quotidienne régionale, en plus du Figaro et de L'Express) qui appelaient les «journaux à diffuser des idées saines», c'est-à-dire les siennes, celles du groupe politique auquel il appartenait. Cette affirmation a suscité de nombreuses réactions contre la concentration de la presse aux mains d'une seule personne comme c'est le cas, d'ailleurs, en Italie ou en Angleterre par exemple. Le groupe de la presse régionale et les grandes chaînes de télévision ont, d'ailleurs, pris fait et cause pour le candidat UMP et s'attaquant aux autres personnalités postulantes à la présidence. Comme d'ailleurs, à l'occasion des législatives favorisant le parti de droite. Mais il se trouve que la question de l'écriture journalistique reste aujourd'hui prisonnière des bailleurs de fonds dirigeant les journaux et orientant forcément les différentes lignes éditoriales. Les règlements de compte, ont pignon sur colonnes et sur rédactions souvent trop instrumentalisées et marquées par des jeux malsains et des trafics infinis mettant en cause la crédibilité et la sincérité de nombreux journalistes qui se feraient facilement acheter moyennant monnaies sonnantes et trébuchantes. Le quotidien Le Monde qui connaît une difficile crise financière (chute des ressources publicitaires et baisse des ventes), ne s'attendait peut-être pas à cette levée de boucliers qui allait l'assommer à tel point que six livres-brûlots sur ce journal ont été publiés en l'espace de 18 mois. C'est trop. Cette fois-ci, Le Monde perd sa dimension mythique pour retrouver les chemins escarpés empruntés par tous les autres médias français. Longtemps craint et fonctionnant comme une véritable institution à la fois faiseuse et déstabilisatrice de rois, le journal, vitrine de la France, est qualifié par de nombreux auteurs et d'anciens journalistes du quotidien d'«anti-français» et d'entreprise «mafieuse» usant régulièrement de chantage et de trafic d'influence. De nombreux correspondants de presse en place dans des pays africains, arabes, auraient été soudoyés par les dirigeants en place qui paieraient cher pour voir un journal français ou européen célébrer leur règne. Le Monde, grand journal de référence et de pouvoir, était courtisé par tous les gouvernements du «Tiers-Monde» qui auraient aimé qu'il aborde en termes élogieux leur gestion. Ainsi, l'Algérie a connu successivement des correspondants du Monde qui cherchaient parfois à courtiser le président du temps de Boumediene et d'autres, plus ou moins agressifs. C'est vrai que Le Monde, à l'époque, arrivait à écouler entre 20.000 et 30.000 exemplaires dans le pays. Durant cette période, les journaux distribués à Alger attaquaient très rarement les gouvernants en place. Il y allait de l'avenir de la distribution de leur organe de presse dans un pays où on lisait beaucoup, notamment la presse française. Malgré cela, la censure, trop indélicate, veillait au grain. Il faut attendre les années 80, une fois l'importation des journaux étrangers arrêtée, pour voir les critiques contre le «pouvoir» algérien et la «junte militaire» occuper de larges espaces de la presse française qui, souvent, en traitant des questions algérienne, arabe et africaine, faisait fi des règles déontologiques minimales en se libérant de toute prudence et de toute vérification de l'information. Les généralisations trop abusives, les jugements trop hâtifs, l'absence de sources fiables et le parti pris marquaient les lieux médiatiques. Des journalistes du Monde, trop naïfs et trop peu au fait de la situation complexe de l'Algérie, se jouent de manière extraordinaire des règles élémentaires du journalisme en usant de «sources» trop anonymes ou de généralisations parfois prêtant au rire («l'homme de la rue»). Pourrait-elle peut-être le définir? On écrivait sur l'Algérie comme on allait en guerre sans prendre la précaution d'interroger l'information et les sources. L'Algérie était confortablement divisée en deux grands ensembles qui seraient constitués d'«éradicateurs» et de «réconciliateurs». Ce regard trop manichéen, ne correspondant nullement à la complexité de la société algérienne, traversait tous les médias français. On se souvient du procès opposant Saïd Sadi à l'envoyé spécial du Monde, Jean-Pierre Tuquoi, qui affirmait que le leader du RCD était l'homme des généraux. A la question du tribunal sur la source de l'information, le journaliste répondit simplement: un général avec lequel j'avais mangé. Décidément, le correspondant du Monde devenait ainsi, si on suivait sa logique, le journaliste du général. Tout est bon pour ne pas déranger les «évidences» toutes faites et les différentes constructions idéologiques. Le Monde avait choisi son camp et sa manière définitive de couvrir l'actualité algérienne. Ainsi, disparaissent fatalement les discours de la direction sur l'impartialité et la vérification des sources et de l'information contenus dans un de ses documents décrivant «sa» ligne de conduite professionnelle et éditoriale. L'absence de culture et de sérieux, comme l'affirmait l'ancien directeur général adjoint de RFI, Alain Ménargues, démis de ses fonctions à la suite d'une déclaration dénonçant Ariel Sharon, des journalistes français les pousse à des positions de «justiciers» peu fiables (recherche de l'information qui choque et qui frappe, même si elle est fausse ou non vérifiée), ils sont, d'ailleurs, facilement manipulables. La rapidité avec laquelle est traitée l'information sur l'Afrique et les pays arabes indique le peu de sérieux et le manque flagrant de professionnalisme caractérisant une partie des journalistes trop marqués par cette course effrénée au scoop et aux révélations trop peu fiables. Le discours partial, les nombreuses envolées lyriques et la mise en accusation de l'Autre, traité de tous les maux, sans aucune possibilité de réagir, caractérisent des journaux comme Le Monde, Libération et bien d'autres qui ne se lassent pas de donner des leçons aux journalistes africains et maghrébins alors que l'autocensure et la censure font des ravages dans leurs propres rédactions. Chose paradoxale, mais normale dans les travées du journalisme européen. Même le médiateur du Monde, Robert Solé, a été censuré par sa direction. Tambours et trompettes Ces pratiques journalistiques ne sont nullement nouvelles, elles remontent à des temps anciens. Ce n'est pas du tout la paire Colombani-Plenel. Ni le nouveau couple à la tête du quotidien du soir Le Monde qui a inventé cette nouvelle «écriture journalistique», trop piégée par les discours ambiants et l'empire de la pensée unique sévissant aujourd'hui dans la grande partie des territoires médiatiques et culturels, à tel point que nous avons affaire à la même information autrement reformulée dans tous les médias. Même la hiérarchisation de l'information obéit à la même logique. Mais il faut tout de même savoir que depuis longtemps, les journalistes étrangers et notamment français, surtout Le Monde, étaient reçus en Algérie par les gouvernants avec tambours et trompettes, participant du mépris porté pour la presse algérienne souvent marquée par une indigence criante et un compagnonnage suspect avec les dirigeants décrédibilisant le métier. Avec la presse privée appelée trop abusivement «indépendante», les choses n'ont pas énormément changé. Déjà du temps de Boumediène, les journalistes étrangers (surtout Paul Balta et Lotfi el Kholi) avaient leurs entrées un peu partout. C'est le cas, encore aujourd'hui, pour certains. D'autres, jusqu'à maintenant, n'hésitaient/n'hésitent pas à accepter des cadeaux trop coûteux. On parle d'un hebdomadaire paraissant à Paris qui a reçu de sérieuses facilités, lui permettant ainsi de changer de position. Cette réalité, encouragée par un certain déficit démocratique des institutions et du fonctionnement autocratique des appareils de l'Etat, ne peut qu'engendrer ce type d'attitudes poussant les dirigeants à chercher par tous les moyens la présence des médias étrangers se transformant en instruments de légitimation, quêtant une sorte de reconnaissance de l'étranger. Avec la domination de l'argent dans les espaces médiatiques et le contrôle de l'information par de grands trusts, est-il possible de parler du journalisme d'auteur ou d'indépendance des médias? N'assiste-t-on pas aujourd'hui à la disparition du journalisme tout court qui laisse place au discours propagandiste et publicitaire?