«Ne vous bercez pas d'illusion, et ne courez pas après un mirage. L'Amérique et Israël ne vous donneront rien. Ne courez pas après le mirage, croyant que c'est de l'eau. Les Américains ne vous donneront rien, les Israéliens ne vous donneront rien. Nous ne récupérerons notre patrie usurpée que par la fermeté et la résistance.» Ismaïl Haniyeh, Premier ministre palestinien Que se passe-t-il dans les deux «Etats palestiniens» qui prennent le peuple palestinien en otage? Est-il normal qu'en CisJordanie, les mannes du ciel s'ouvrent avec un flot de subventions, de déblocage de crédits comme récompense à un alignement -voire une reddition- sur les thèses occidentales visant à diaboliser les Palestiniens d'avoir mal voté en votant pour le Hamas. Notons au passage, que même la Cisjordanie avait voté massivement pour le Hamas, en janvier 2006. Ce qui devait arriver arriva. Le gouvernement d'Ismaïl Haniyeh et le Hamas eurent une ultime bataille qui tourna à l'avantage du Hamas. Ismaïl Haniyeh, Premier ministre du gouvernement palestinien, élu démocratiquement, a déclaré qu'une faction traître à l'intérieur du Fatah, claire allusion au groupe de Mohamad Dahlan, avait tramé un complot et amassé des armes pour faire échec à l'Accord de La Mecque et renverser le gouvernement d'unité nationale. Dans un discours d'ensemble qui a duré près de deux heures, Haniyeh a dit avoir prévenu le président de l'Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas qu'un coup d'Etat soutenu et armé par les USA était préparé par «une faction traîtresse». Il a précisé que la réelle dichotomie n'était pas entre le Fatah et le Hamas, mais plutôt entre le peuple palestinien, d'un côté, et l'occupation israélienne de la Palestine, l'oppression et la persécution continue du peuple palestinien, de l'autre. Prison à ciel ouvert Comme le résume magistralement Alain Gresh: Les Etats-Unis et l'Union européenne ont repris l'aide à l'Autorité palestinienne après l'éviction du Hamas, vainqueur des élections de janvier 2006. La question-clé reste, néanmoins la même que celle posée depuis l'enlisement du processus d'Oslo: Israël est-il prêt à se retirer de tous les territoires occupés en 1967 et à permettre la création d'un Etat palestinien indépendant? La complaisance de la «communauté internationale» à l'égard du gouvernement israélien depuis une dizaine d'années, laisse peu de place à l'optimisme. Il faut sauver le président Mahmoud Abbas! Unanime, la «communauté internationale» le proclame haut et fort. Et elle avance d'audacieuses propositions: débloquer l'aide à l'Autorité palestinienne; alléger les souffrances des populations civiles; ouvrir des négociations pour renforcer les «modérés» palestiniens. Même M.Ehud Olmert découvre, soudain, en M.Abbas, un «partenaire» pour la paix. Sourds durant des années aux rapports accablants sur la situation de la Cisjordanie et de Ghaza, publiés par des institutions aussi différentes que la Banque mondiale, Amnesty International ou l'Organisation mondiale de la santé, la Maison-Blanche et l'Union européenne se seraient-elles enfin sorties de leur profonde léthargie?(1) Ce réveil subit a été suscité par la victoire sans appel du Hamas à Ghaza. Pourtant, ni les Etats-Unis ni Israël n'avaient lésiné sur les moyens militaires donnés au Fatah pour l'emporter, autorisant, à plusieurs reprises, le passage d'armes destinées à la garde présidentielle comme à la sécurité préventive. Rien n'y a fit. La désertion de la plupart des responsables militaires du Fatah (MM.Mohammed Dahlan, Rachid Abou Shabak, Samir Masharawi), qui ont préféré se terrer en Cisjordanie ou en Egypte plutôt que d'être aux côtés de leurs troupes, n'est qu'un des éléments d'explication d'une cuisante déroute. L'incapacité du Fatah à se réformer, à abandonner son statut de parti-Etat d'un Etat qui n'existe pas pour celui de force politique «normale», en est un autre: népotisme, corruption, clanisme continuent de gangréner l'organisation fondée par Yasser Arafat. Mais la férocité injustifiable des affrontements entre le Hamas et le Fatah à Ghaza illustre aussi la dislocation de la société palestinienne, accélérée par quinze mois de boycottage international. Exécutions sommaires, vengeances, pillages, ont marqué les combats, chacun des deux camps accusant l'autre d'être à la solde de l'étranger.(1). Dans une conférence magistrale, Pierre Stambul, président de l'Ujfp a démonté la mécanique des accords d'Oslo et a décortiqué le long cheminement de l'exaspération du Hamas. Ecoutons-le: Les accords d'Oslo datent de 1993. S'ils sont rangés aux poubelles de l'histoire et si la perspective de la paix a tellement reculé, c'est, avant tout parce qu'il y a un consensus dans l'opinion israélienne et parmi les dirigeants de ce pays. Il est hors de question pour eux de revenir à l'idée «la paix contre les territoires». Il est hors de question de revenir à la frontière internationalement reconnue en évacuant les territoires occupés depuis 1967. Il est hors de question de faire partir les 450.000 Israéliens installés à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Il est hors de question de «concéder» aux Palestiniens autre chose que des bantoustans éclatés sans unité ni viabilité qu'on baptiserait Etat Palestinien. Tout ce qui reste des accords d'Oslo, c'est un gigantesque piège qui s'appelle L'Autorité palestinienne. Les Palestiniens n'ont pas d'Etat, mais ils ont deux gouvernements concurrents qui se combattent pour un pouvoir qui n'en est pas un: l'Autorité palestinienne, c'est un enchevêtrement de services de sécurité prolifiques et rivaux...Depuis 1967, plus de 600.000 Palestinien(ne)s ont été emprisonné(e)s. Il y a actuellement 11.000 prisonniers politiques. Parmi ces prisonniers, un grand nombre de députés, de maires, de ministres, de dirigeants politiques. Du Hamas, bien sûr, mais aussi du Fatah (le plus célèbre étant Marwan Barghouti) ou d'autres partis (toute la direction du Fplp kidnappée dans la prison de Jéricho).(2) «C'est délibérément que les Israéliens ont utilisé à Ghaza la «stratégie du chaos». Et hélas, ils ont réussi. Minuscule territoire surpeuplé (4000 habitants au km2), Ghaza est une prison à ciel ouvert. Toutes les infrastructures construites avec l'argent de la communauté internationale (port, aéroport) ont été détruites sans possibilité de reconstruction. La destruction des centrales électriques pose, en permanence, de graves problèmes, y compris pour l'approvisionnement en eau. Les derniers services qui fonctionnent (écoles, hôpitaux) manquent de tout. (..) Parmi les rares emplois, l'embauche dans une des innombrables «forces de sécurité» est souvent la seule possibilité. En 2 ans, plus de 700 Palestinien(ne)s ont été tué(e)s par l'armée israélienne. Ces exécutions extrajudiciaires où l'occupant se justifie au nom de la lutte «antiterroriste» ont majoritairement frappé des civils, des femmes, des enfants. La «communauté internationale» tout comme l'Union européenne, après avoir exigé des Palestiniens des élections libres et transparentes, les a punis pour avoir «mal» voté en donnant la majorité parlementaire au Hamas. Les Occidentaux ont sciemment pris le parti de l'occupant. Ils ont infligé une sanction collective au peuple palestinien en contribuant à son blocus....Les Occidentaux considèrent le Hamas comme une organisation terroriste. Jamais ce qualificatif n'a été appliqué à l'Etat d'Israël qui occupe, expulse, emprisonne, exécute sans jugement, colonise...Ce «deux poids, deux mesures» a considérablement contribué à la détérioration de la situation en Palestine. Les Occidentaux poussent le Fatah à «éliminer» le Hamas. Alors que la Palestine subit un blocus et un embargo, l'Occident a fourni des armes au Fatah. En pure perte. Non seulement, cela n'a pas empêché le Fatah d'être défait à Ghaza, mais sur le plan politique, ce dernier n'a strictement rien obtenu: ni libération de prisonniers, ni levée de barrage, ni relance du processus de paix. Etranglée, la Bande de Ghaza a vu son peuple résister de plus en plus difficilement. Comment s'étonner de voir le développement de bandes armées ou le retour au clanisme? C'est dans ce contexte que les Israéliens ont remporté une victoire majeure avec l'éclatement d'une guerre civile, longtemps retardée par la volonté de la grande majorité des Palestiniens, que leur peuple reste uni. Les Israéliens ont joué successivement un camp ou l'autre en poussant au conflit et en espérant que cette guerre civile éliminerait pour longtemps, toute pression pour en finir avec l'occupation.(2) Les dirigeants du Fatah sont souvent des membres de la bourgeoisie palestinienne. Ainsi l'ancien Premier ministre, Ahmed Qorei, est un industriel du béton et il est soupçonné d'en avoir vendu aux Israéliens pour la construction du mur...Le fait que l'Autorité détienne le peu d'argent qui circule en Palestine et qu'elle soit chargée de le distribuer, a fortement contribué aux nombreux phénomènes de corruption...Le Fatah a aussi été déconsidéré par des personnages comme Mohamed Dahlan qui a ajouté à la corruption, le fait d'être un véritable chef de milice pratiquant la torture ou l'assassinat contre ses opposants. En s'appuyant sur Dahlan, en cédant face à l'occupant, le Fatah a précipité sa défaite à Ghaza. Tout ceci ne fait pas de la direction du Fatah, des «traîtres» à éliminer....Marwan Barghouti incarne une ligne politique unitaire qui est prête à de vraies négociations, pas à des simulacres. C'est bien pour cela qu'il n'est pas libéré et même qu'il est souvent déplacé dans une prison du désert pour être éloigné des «territoires». Des personnalités comme Leila Shahid, Hind Khoury ou Elias Sanbar partagent les valeurs universelles du mouvement de soutien au peuple palestinien. Le Hamas est issu du mouvement des «Frères musulmans». Ce n'est pas un parti nationaliste ou un mouvement de Libération nationale. Il appartient à un ensemble de mouvements politiques du monde arabe dont le succès vient de l'impasse historique des mouvements nationalistes et de la corruption généralisée des dirigeants arabes, souvent liés à l'impérialisme américain. Le Hamas est apparu dans les années 80 et le journaliste franco-israélien, Charles Enderlin a expliqué comment les services secrets israéliens ont favorisé son expansion, ravis de l'apparition d'un mouvement capable d'affaiblir l'OLP.(...) La direction du Hamas incarne une ligne politique «de dignité» face à l'occupation et le refus de concessions qui ont toujours été à sens unique. Sur cette question, elle est majoritaire dans l'opinion.(2) Des chocolats explosifs Pendant que les «grands» campent sur leur position, les enfants palestiniens meurent de ne pas avoir vécu d'enfance, meurent de faim, meurent de misère physique et morale sous l'oeil indifférent des grands stratèges et des puissants de ce monde. Quelle est la faute d'un enfant palestinien qui n'est pas né du bon côté de la frontière? Il n'y a rien à attendre d'un Etat théocratique qui incite des enfants à dessiner des messages sur des bombes destinées à d'autres enfants. Cela se passait, il y a un an, dans l'enfer du Liban pilonné de façon démente en vain pendant plus de quarante jours avec la bénédiction de la majorité des pays occidentaux qui «s'étaient assuré de la durée de ces opérations» auprès des Israéliens au point de bloquer toutes les résolutions appelant au cessez-le-feu. Faisant le bilan des exactions israéliennes, qu'il a qualifié d'holocauste à petit feu, José Steinsleger écrit: La «solution finale» exécutée par Israël à Ghaza et en Cisjordanie consiste à asphyxier physiquement, psychiquement et socialement, près de 4 millions de Palestiniens qui, en janvier 2006, ont voté démocratiquement, mais ont choisi «mal». La méthode d'extermination choisie s'avère similaire à celle des nazis contre le ghetto de Varsovie (1941-1943), quand 60.000 personnes moururent d'inanition et de maladies. Mais à la différence de la poignée de juifs héroïques qui, dans le ghetto polonais résistèrent jusqu'à la fin, des milliers de Palestiniens traqués par Israël, mènent, depuis 40 ans, la bataille contre le «nettoyage ethnique» de leur peuple. Dans les attaques israéliennes contre la bande de Ghaza meurent une moyenne de huit Palestiniens par jour. La majorité des victimes sont des enfants qui sont blessés, paralysés, mutilés ou emprisonnés. En février 1989, le quotidien jordanien Ad Dustour, d'Amman, reproduisait les déclarations du député travailliste anglais, Robert Stoot, qui avait visité un hôpital de Naplouse (Cisjordanie) pour entendre les témoignages de mineurs brûlés par l'explosion de chocolats que leur avaient offerts des soldats israéliens. De 1967 à 2005, les forces d'occupation israéliennes ont arrêté plus de 650.000 Palestiniens (20% de la population totale de Ghaza et de Cisjordanie). A fin 2005, 8800 prisonniers étaient répartis dans 28 prisons et centres de détention. Du 28 septembre 2000 au 30 juin 2006, les autorités palestiniennes ont enregistré la mort de 4248 personnes assassinées, dont 786 enfants. Le chiffre des blessés s'élève à plus de 23.000 (14.200 en Cisjordanie, où habitent 2.300.000 personnes, quasiment le double de la population de Ghaza). Depuis le début de la seconde Intifadha (2000), le gouvernement israélien a torturé les enfants durant les interrogatoires. Selon le département des statistiques et le ministère palestinien en charge des prisonniers et des libérés, à la date de novembre 2005, près de 4000 mineurs avaient été détenus, parmi lesquels 294 garçons et 3 filles demeurent en prison: 19 sont dans la zone d'Al Qods, 6 à Ghaza, 272 en Cisjordanie (80 dans la prison de Naplouse, 65 dans celle de Ramallah et 28 dans celle d'Al Khalil). Seulement, en 2003, 6540 ont été détenus, dont 245 jugés par des cours militaires. La majeure partie pour avoir lancé des pierres et des cocktails Molotov contre l'armée la mieux équipée du monde. En janvier 2004, le lieutenant-colonel Eytan Ronel a rendu ses insignes au chef d'état-major, Moshe Yaalon en protestation contre la conduite des troupes dans les territoires occupés et 5 recrues ont été condamnées par un tribunal militaire pour objection de conscience contre l'occupation. Durant la première Intifadha, Israël a emprisonné jusqu'à 2% de tous les enfants palestiniens entre 9 et 17 ans, et dans le premier semestre de 2004, il a assassiné plus de 80 garçons et filles. En novembre 2006, le massacre de civils palestiniens à Beït Hanoun (nord de la bande de Ghaza) a fait 18 morts civils, dont 6 enfants. «Erreur technique», a déclaré le Premier ministre, Ehud Olmert. Un rapport de l'organisation Defence for Children International observe que les enfants palestiniens sont enfermés dans des cellules «pour une infinité d'heures» et, dans certains cas, ne disposent que de 45 minutes, tous les deux jours, pour des exercices à l'air libre. Un autre aspect de l'holocauste palestinien concerne la démolition des logements, centrée dans la localité de Rafah, à la frontière avec l'Egypte, où ont été détruites 15 472 maisons, soit 6 sur 10. Le docteur Eyad El Sharraj, directeur des services psychiatriques à Ghaza, assure qu'Israël est en train de créer «une nouvelle génération de Palestiniens plus insensible que les précédentes face à l'occupation militaire. De la même manière, se créée une génération d'occupants israéliens qui voient ma ville comme le Far West». «A Ghaza, ajoute-t-il, nous avons produit une génération d'enfants qui ne sont pas capables de sourire. Ce sont les futures bombes humaines...». (3) A n'en point douter, les Palestiniens vivent leur enfer sur Terre. Nous, qui avons connu cela, devons, malgré la complication des situations, militer pour le droit des enfants qui, comme tous les enfants, ont tous les droits, notamment celui d'avoir une enfance. En attendant qu'Israël revienne à la légalité internationale et dans l'immédiat, l'aide à la Palestine doit être massive et non discriminée. Nous devons exiger de la communauté internationale qu'elle cesse de jeter de l'huile sur le feu en faisant semblant de jouer un camp contre l'autre. Nous devons exiger qu'elle sanctionne l'occupant et pas la victime. 1.Alain Gresh: Au-delà des affrontements entre le Hamas et le Fatah: Comment le monde a enterré la Palestine Le Monde Diplomatique, Juillet 2007 2.Pierre Stambul: Gaza-Fatah-Hamas ou comment l'occupant a déclenché la guerre civile Intervention Débat «Collectif Justice et Paix en Palestine», Aubagne, 30/06/2007. 3.José Steinsleger: Palestine: un holocauste à petit feu. Article original publié le 4/06/2007 La Jornada: http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=3204&lg=fr Samedi 07/07/2007.