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Plaidoyer pour la paix en Irak
Publié dans L'Expression le 30 - 11 - 2006

«Celui qui, vivant, ne vient pas à bout de la vie, a besoin d'une main pour écarter un peu le désespoir que lui cause son destin (...) mais de l'autre main, il peut écrire ce qu'il voit sous les décombres». (F. Kafka:Journal: 19/10/1921).
Le monde connaît depuis quelques mois une incertitude qui frise la psychose. A des degrés divers, les hommes retiennent leur souffle. Apparemment, l'invasion de l'Irak est inéluctable. Les différentes autorisations formelles du Conseil de sécurité, dans le sens naturellement du diktat américain, n'arrêtent en rien les «préparatifs» pour la suite du génocide du peuple irakien.(1) Ce même Conseil de sécurité véritable faire-valoir vient d'autoriser, le 29 novembre, la «coalition» à «pacifier» encore pendant un an en Irak avec les résultats que l'on sait.
Sous le titre «Faut-il craindre une invasion islamique déjà au début des années quatre vingt», l'écrivain Josef Giebel écrivait: «Si les nations industrielles de l'hémisphère Nord sont renvoyées à un âge préindustriel à cause d'une guerre atomique, tout peut être changé demain. Des marchands arabes vendront alors peut-être, à nouveau, les «incroyants» comme esclaves. Un grand nombre d'Africains riches auraient assurément la satisfaction de se faire servir par des cuisiniers, des chauffeurs et des esclaves blancs... Les pays arabes sont habités par des gens qui ont une autre race, une autre religion, une autre culture et une autre conception de vie. Beaucoup de ces hommes rêvent d'un grand empire arabe. La volonté d'expansion est aussi bien ancrée dans la nation que dans la religion des peuples arabes. Un tel désir d'expansion et d'assujettissement soutenu par l'énergie et le «fanatisme» n'habite aucune autre religion que l'Islam. C'est ce qui pourrait se produire si une Arabie unie attaquait l'Europe.Un mot d'ordre tel «Allah le veut», peut reléguer à l'arrière-plan toute sorte de logique. La révolution islamique en Iran a montré quel pouvoir les chefs religieux et la religion peuvent exercer sur les hommes...L'invasion de l'Islam arrêtée en 732 par Charles Martel à Tours et à Poitiers dans le centre de la France, peut de nouveau recommencer».(2).
Giebel fait référence, d'une part, au rêve prophétique du pape Pie X qui a «vu» le pape s'enfuir du Vatican en piétinant le cadavre de ses prêtres, et aux prophéties de Nostradamus qui a prévu une invasion musulmane en Europe. Il mobilise les quatrains de Nostradamus pour la bonne cause. Ainsi, on peut lire dans le livre de Nostradamus dans le quatrain V,55: «Dans une région de l'heureuse Arabie est né un homme puissant qui professe l'Islam. Il torturera l'Espagne et conquerra à nouveau Grenade; plus encore, il ira au-delà des mers et avancera contre le peuple de Ligure (Italie)». Plus loin, dans le quatrain V,25: «Le prince arabe traversera les eaux et anéantira le gouvernement de l'Eglise». Enfin, dans le quatrain X,86: «Le roi de l'Europe viendra comme un griffon et il sera accompagné des peuples d'aquilon (le Nord), il guidera une grande troupe composée de Rouges et de Blancs et marchera contre le roi de Babylone (Irak)».
Samuel Huntington qui fait partie des idéologues du Pentagone, pour sa part, avait «prédit», lui aussi, l'affrontement inévitable de l'Islam et de l'Occident chrétien. Depuis, tout ce qui se passe est, d'une façon ou d'une autre, rattaché à cette prophétie. Chaque fois qu'un attentat est commis, qu'une kamikaze dans la fleur de l'âge, se fait exploser, qu'une grand-mère ayant 40 petits-enfants se fait exploser par désespoir et par amour pour son peuple, la réponse est toute trouvée, c'est l'Islam, religion de guerre, qui est en cause. Personne ne pense, naturellement, aux prémisses de ces actes.(3). En tout cas, ces actes héroïques sont beaucoup plus significatifs -souvenons-nous comment les combattants du Hezbollah ont tenu en échec l'invasion israélienne au Liban- que les armées d'opérette des pays arabes surtout dressées à mater leurs peuples, avec un armement qui ne sert qu'à l'intérieur et qui permet de donner du travail aux industries d'armement américaines, françaises russes, chinoises ou allemandes.
Forte d'une supériorité militaire inégalée dans l'histoire contemporaine, l'Administration américaine tente de redessiner la carte du Monde et de redéfinir, à son avantage, les règles du comportement international. François Schlosser décrit la naissance de «l'hyperpuissance» américaine. L'annonce d'une nouvelle doctrine du Pentagone qui réhabilite l'arme atomique et viole tous les accords explicites ou tacites n'est pas une surprise.(4)
Ce qui est nouveau, ce n'est pas que l'Amérique soit la seule superpuissance subsistante depuis la fin de la guerre froide. Le budget du Pentagone a connu ses premiers rebonds sous le deuxième mandat de Bill Clinton. Les dépenses militaires américaines représentent, désormais, 40% des sommes consacrées à l'armement dans le monde. Le budget de la défense est supérieur aux budgets militaires cumulés des quinze plus grands dépensiers du monde, Chine, Japon, Russie et Europe compris. L'augmentation prévue de 150 milliards pour la guerre en Irak portera le budget à 600 milliards de dollars.
Pour les Etats-Unis, un Etat-voyou (rogue state) est un Etat qui soutient le terrorisme international, constitue des stocks d'armes de destruction massive. C'est aussi un Etat répressif, c'est enfin un Etat qui a de «l'animosité» contre les Etats-Unis. Si on fait le compte des Etats entrant dans cette catégorie, nous trouvons pratiquement les PVD, au premier rang desquels les 22 pays arabes peuvent être qualifiés de répressifs contre leurs peuples. C'est le cas de Cuba, de l'Iran, de la Corée du Nord, et naturellement de l'Irak. Khadafi ayant mis un genou à terre pour garder toujours le pouvoir
Pour l'histoire, jusqu'à la fin de la guerre avec l'Iran, l'Irak était protégé des Américains. Souvenons-nous comment les Etats-Unis ont passé l'éponge sur les 37 morts de l'USS Stark, bombardé par «erreur» par l'aviation irakienne. Saddam Hussein était pour les Etats-Unis, «our kinf of guy», un type comme nous les aimons...Si Saddam Hussein est diabolisé c'est qu'il a franchi, écrit Noam Chomsky, la ligne et s'est montré désobéissant. L'Amérique de George Bush décide souverainement du Bien et du Mal et fait le tri entre les «barbares» et les «civilisés». Pour faire face aux désordres de la planète, Washington a imposé une nouvelle répartition des tâches, presque sans à-coups et sans que l'on s'aperçoive de son étrangeté: «Nous combattons, l'ONU nourrit, l'Europe reconstruit» dit-on. Bien qu'elle ait varié d'un président à l'autre, la doctrine américaine est, quel que soit le devenir des sociétés, que les Etats-Unis conservent la responsabilité de «protéger le monde».
Le passage à une majorité républicaine ne changera fondamentalement rien en Irak. Les trois options de la commission de James Baker, chargée de conseiller le président sur une sortie de crise, ne prévoient pas de départ des armées US, mais un redéploiement après une évaluation de la situation; c'est le but des entretiens de Amman entre le président Bush et le Premier ministre irakien, Al Maliki, Contre qui? Contre Saddam Hussein? Il était leur meilleur allié. Faut-il rappeler que le programme biologique a été réalisé avec l'aide des firmes allemandes, les Kurdes gazés avec des produits chimiques européens, les avions étaient des Mirage et enfin l'attaque de l'Iran en 1980 a été faite avec un armement américain. Saddam Hussein risque d'être pendu -c'est semble-t-il dans la tradition irakienne depuis Hammourabi, il y a 3750 ans. Contre des Talibans qu'ils ont créés avec leur lieutenant (la Grande Bretagne), de toutes pièces à la fin des années quatre-vingt-dix.
De Kennedy avec «la conspiration monolithique impitoyable», on passe à «l'empire du mal» cher à Ronald Reagan, et «la croisade du bien contre le mal» de G.W.Bush. A l'époque, une étude du «Stratégic Command» recommandait que les Etats-Unis exploitent leur potentiel nucléaire pour projeter d'eux-mêmes une image irrationnelle et «vindicative» au cas où leurs intérêts vitaux seraient menacés..Il faut que certains éléments du gouvernement fédéral puissent apparaître comme potentiellement fous, impossible à contrôler. Ce comportement peut contribuer à créer ou à renforcer les craintes et les appréhensions dans l'esprit des adversaires. Ce rapport nous rappelle «la théorie du fou» de Richard Nixon: les ennemis des Etats-Unis doivent comprendre qu'ils ont en face d'eux des cinglés au comportement imprévisible disposant d'une énorme capacité de destruction. La peur les conduira, ainsi, à se plier aux volontés américaines. Ce concept semble avoir été élaboré en Israël dans les années cinquante (du siècle dernier), par le gouvernement travailliste, dont les dirigeants «prêchaient en faveur d'actes de folie», comme l'a écrit l'ancien Premier ministre Moshe Sharett, dans son Journal intime.(5).
L'avènement de l'Administration Bush se caractérise par un sentiment d'omnipotence, d'arrogance et de prendre pour quantité négligeable toutes les institutions mises laborieusement en place depuis plus de 50 ans pour «civiliser le monde et promouvoir les droits de l'Homme». Richard Perle, conseiller du Pentagone, a parfaitement résumé la philosophie de cette attitude en disant: «Les Etats-Unis ont un droit fondamental à se défendre comme ils l'entendent. Si un traité nous empêche d'exercer ce droit, alors il faut passer outre.» L'Amérique a rejeté la convention sur les armes biologiques, refusé de ratifier le traité d'interdiction totale des essais nucléaires et elle ne reconnaît pas la création d'une Cour pénale internationale qui prétendrait juger un citoyen américain, quel que soit le crime qui pourrait lui être reproché. Il en est de même des 450 prisonniers de Guantanamo qui n'ont qu'un seul droit sauf celui de se taire
Pourquoi cette tentation d'empire? A tort ou à raison, les Etats-Unis essaient d'étouffer la Russie par Otan interposée, le dernier sommet de Riga, hier, confirme le basculement inéluctable des «pays» satellites de l'ancienne Union Soviétique dans l'orbite américaine. C'est le cas des Etats Baltes. La nouvelle administration américaine a fait sa propre évaluation du rapport de force russo-américain. Pourtant, Vladimir Poutine s'est montré comme l'un des alliés les plus empressés de l'Amérique dans la lutte contre le terrorisme. D'autant qu'on le laisse normaliser la Tchéchénie. Mais la Russie accepte difficilement que l'Otan soit à sa frontière.
La guerre en Irak n'est pas juste. Les vrais arguments sont l'appropriation d'une façon durable des réserves pétrolières du Moyen-Orient. Car il ne faut pas se faire d'illusions, après la «normalisation» de l'Irak, ce sera le tour des autres pays de la région. A commencer par l'Iran; il ne faut pas sous-estimer les bruits de bottes concernant une invasion de l'Iran, surtout qu'Israël pousse à la roue et on lui prête de faire une partie du travail en s'occupant du programme nucléaire iranien, comme elle l'a fait, souvenons-nous, quand elle a bombardé en toute impunité le réacteur Osirak et que ses avions ont été ravitaillés en vol au retour.
Le peuple irakien ne s'arrête pas de souffrir depuis plus d'un quart de siècle après la période de Saddam qui a tout de même construit l'Etat irakien moderne et dont il ne reste plus rien. Les guerres successives ont décimé la fine fleur irakienne. Penser au million d'enfants irakiens morts des suites de l'embargo inhumain. Une étude a montré que plus de 650.000 Irakiens ont perdu la vie des suites de l'invasion de 2003. Les 200 morts de jeudi dernier à Sadr City, c'est le comble de l'horreur, les journaux télévisés français ont évacué l'information en moins d'une minute, par contre, l'attaque d'une dame par un chien a demandé quatre minutes.
C'est dire si l'appréciation quant à la dignité humaine est à géométrie variable. Nous ne comprendrons rien à la politique américaine qui semble erratique, si nous ne prenons pas en compte trois paramètres importants qui transcendent les clivages Républicains- Démocrates. La sécurité énergétique américaine est une constante de tous les présidents, tout sera fait pour que les compagnies américaines s'installent d'une façon ou d'une autre, là où il y a du pétrole. On dit souvent, suivez les routes du pétrole vous y verrez «curieusement» l'installation de bases américaines. Ceci est d'autant plus vrai que le taux de dépendance pétrolière dépasse les 60%.
Le deuxième paramètre est le complexe militaro-industriel qui rafle tous les contrats du Pentagone. Les armes nouvelles doivent être expérimentées...L'Irak et d'autres terrains constituent d'excellents terrains d'autant que l'on constate la privatisation de plus en plus importante de la violence. Des sociétés privées font la guerre pour le compte des multinationales. Les puits sont bien protégés, on n'entend plus parler d'embrasement de puits, et pour cause. La troisième raison est la sécurité obsessionnelle d'Israël dont les Wasp font le véritable cheval de bataille, notamment avec le Cufi et l'Aipac lobby d'influence «think thanks» des néo-conservateurs pro-israéliens qui ont un poids démesuré du fait que Bush, un «born again», croit en la victoire finale du bien contre le mal. Enfin, l'Irak n'est pas le Vietnam. La guerre d'Irak est une guerre du pétrole et aussi une guerre pour l'hégémonie d'Israël au Moyen-Orient. Les Américains ne lâcheront pas. La seule certitude est que le peuple irakien ne se laisse pas faire, il donne au quotidien des exemples de courage; et les divisions entre Chiites, Sunnites et Kurdes sont peut-être entretenues par des attentats qui ne sont pas le fait des Irakiens mais de ceux à qui le crime profite.
Comme, d'ailleurs, les dirigeants des pays arabes regardent ailleurs, croyant chacun sauver son trône dynastique ou républicain, ou applaudissent à cette mise à mort d'un des leur. Leur tour viendra inéluctablement. Le remodelage se fera par cette volonté hégémonique armée du droit du plus fort. Le sursaut qui pourrait gripper la machine ne pourrait venir que des peuples arabes. On en est encore loin.


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