«Nous parlons le même langage et le même chant nous lie. Une cage est une cage, en France comme au Chili.» (Pablo Neruda, 1904-1973. Complainte) Une particularité pour ce Ramadhan 2007 en Belgique: son silence et sa discrétion. Il est arrivé ce 13 septembre sans bruit, sans couleurs, plutôt avec un ton qui prête au recueillement et au questionnement. Peut-il en être autrement lorsque les seules nouvelles du pays diffusées par les chaînes de télé et la presse européenne vous parlent de violence, d'attentats et de mort? Comment avoir le coeur à la fête (Ramadhan l'est à plus d'un titre) quand notre presse nationale nous rappelle que bien des enfants et familles vivent plus durement ce mois sacré, tant les prix des produits de base se sont envolés? Contrairement à une idée reçue, l'immigration n'est jamais loin de la respiration et des soubresauts du pays. Dans la capitale européenne Bruxelles, aucune manifestation culturelle ou autre n'est annoncée, du moins au 13e jour de jeûne. Les familles algériennes se contentent de visites et rencontres à domicile. Après le repas, les discussions tournent inlassablement autour des derniers événements et de l'actualité au pays. Jusqu'aux cafés publics, l'atmosphère n'est, franchement, pas aussi fiévreuse et joyeuse que les années précédentes. On ne décroche pas du pays Tenez, voici Moelenbeek, une commune bruxelloise à forte présence de populations immigrées. Ici, les Algériens côtoient les Marocains, les Turcs, les Tunisiens...Dans le café de Mokhtar, un Algérien de Chlef installé depuis quelques années à Bruxelles, on sert de temps à autre gracieusement une chorba. Elle est offerte à ceux qui n'ont pas la chance d'être en famille ou habitent loin de leur lieu de travail. Après la rupture du jeûne, jeux de cartes, loto, dominos...sans oublier de suivre du coin de l'oeil les programmes télé de Canal Algérie et autres chaînes arabes. Tard dans le soir, on se sépare avec dans les yeux des interrogations sur ce que sera demain au bled. Depuis les derniers attentats terroristes, les Algériens ne décrochent pas du pays. Ils sont inquiets. Les jours de marché sont aussi des moments propices pour échanger des nouvelles, surtout en provenance du pays. «Il paraît qu'Al Qaîda s'est installée sérieusement au pays»; «Mais que veulent ces criminels de plus que la loi sur la réconciliation nationale?»; «J'ai entendu dire que les Américains vont nous aider»...Autant d'interrogations et de déductions échangées devant les étals du marché aux fruits et légumes de la gare du Midi et ailleurs. Soudain, comme une inconnue, la voix de Habib nous interrompt: «Hé! les gars, il y a une soirée musicale ce samedi du côté de la ville de Mons, avec cheb Djelloul!» après informations, c'est l'association Femmes algériennes, affiliée à la Fédération de la communauté algérienne en Belgique (Fcab), appendice du FLN, qui a effectivement programmé cette soirée. Les uns s'indignent: «Comment peut-on faire la fête alors que le pays pleure!» Les autre, plus lucides: «Il ne faut pas laisser les terroristes vaincre la vie, continuons à vivre.» D'autres, encore philosophent: «Laissons la liberté à chacun d'agir en ce mois sacré comme il l'entend.» Dans le fond, pour ou contre, le pays ne laisse jamais indifférent. C'est fou ce que les Algériens hors de leur pays se comportent avec une tolérance inégalée et une compassion exemplaire. Dans le groupe que j'ai rencontré ce soir-là, il y a ceux qui jeûnent, vont à la mosquée le soir et ceux qui ne jeûnent pas mais, ô! élégance du geste, ne mangent pas devant les autres et...évitent les bars durant tout le mois de Ramadhan. Pourtant ils se réunissent, le soir venu, autour d'une partie de belote ou de dominos. «Chacun répondra de ses actes devant Dieu. Je n'ai aucune latitude de juger les gens», estime Hassan, un garçon pieu, membre de l'Exécutif des musulmans de Belgique (Conseil sous tutelle de l'Etat belge). Bab El Oued...toujours Dans la capitale belge, il y a un endroit de ralliement en temps normal, qui devient un passage obligé pour les Algériens. C'est la boulangerie Bab El Oued, située dans la commune bruxelloise de Saint-Josse, à 10 minutes du centre-ville. Depuis quelques Ramadhans déjà, cette petite boulangerie est réputée pour ses sucreries et friandises algéroises: kalbelouz, zlabia, pains traditionnels...Là, on se croirait au bled, tant la foule s'agglutine à quelques heures de la rupture du jeûne. On y vient parfois d'autres villes belges comme Charleroi, Mons, Courtrai... Selon les dires, le pâtissier viendrait, spécialement, chaque Ramadhan de la ville algérienne de Boufarik pour faire état de son art de faire le kalbelouz et la zlabia. Dans la boulangerie vous trouverez aussi du...Sélecto et de la Miranda, nectars des boissons algériennes. «Il ramène les boissons de France», explique cet habitué, le regard assoiffé. La boulangerie Bab El Oued est située, par hasard, entre deux boucheries islamiques. Du coup, nos concitoyens s'approvisionnent en viande hallal et en sucreries de Ramadhan. Vous imaginez le nombre de rencontres et de sujets de discussion? Pour certains, Ramadhan est la seule période où ils rencontrent le plus de compatriotes. La question qui revient, en plus de celles sur les événements du pays, a trait à la fête de l'Aïd. Les derniers Ramadhans, des associations ont souvent organisé des fêtes à l'intention des familles. Des cadeaux étaient distribués aux enfants, alors que les parents partageaient un thé à la menthe. Même les officiels du consulat et de l'ambassade y assistaient. Ce n'était pas grand-chose, mais on partageait la joie de la fin d'un mois de privation et de ferveur religieuse. On reproduisait à une échelle relative, l'ambiance du bled. Il y a comme un regain de l'amour du bled, de ses traditions et de ses images lorsqu'on vit en immigré. Mais cette année, que va-t-on faire le jour de l'Aïd? Se recueillir, se rappeler pour bannir le sentiment de l'exil et d'impuissance devant autant de déchirements. Parce que, pour un immigré, il y a toujours l'espoir d'un retour aux origines. Jusqu'au dernier souffle de la vie. En attendant l'Aïd, il paraît que le consulat va organiser quelque chose à l'occasion de l'inauguration de son nouveau siège, situé sur une belle avenue, près de la station de métro Porte de Namur. Mais l'Aïd, c'est encore loin. On jeûne à Bruxelles. Pour Dieu et pour le pays.