«Il faut que tout change pour que tout redevienne comme avant.» Talleyrand Il y a quinze jours, le FMI se voyait doté d'un nouveau directeur général. Mais qu'est-ce que le Fonds monétaire international? Il a vu le jour en juillet 1944, à une conférence des Nations unies qui s'est tenue à Bretton Woods. Le FMI compte aujourd'hui 185 pays. Avec 2716 employés environ. Le total des quotes-parts: 317 milliards de dollars US (au 31 juillet 2006). 461.000 dollars, nets d'impôt c'est le salaire annuel du directeur général du FMI, payé naturellement par les contributeurs dont notamment les pays du Sud, pour certains, victimes d'ajustements structurels. Le FMI reçoit ses ressources de ses pays membres, essentiellement par le biais du paiement de leurs quotes-parts. 25% des parts sont dévolus aux Etats-Unis, 26% aux principaux pays européens. On voit qu'une entente entre les deux blocs détermine le choix du candidat au poste de directeur général. Les termes ´´ajustement structurel´´ et ´´programmes d'ajustement structurel´´ sont utilisés par le FMI et la Banque mondiale pour décrire une méthode de réorganisation de l'économie selon les canons du capitalisme le plus sauvage. Autrement dit, pour recevoir un subside ou un prêt quelconque du FMI ou de la Banque mondiale, un pays doit refaçonner son économie sur le modèle défini par ces institutions. En général, cela signifie une privatisation et une dénationalisation à grande échelle du commerce et de l'industrie et un abandon de la politique de cohésion sociale: telle que l'école, les services de santé, l'accès. L'ajustement structurel s'est développé en même temps que la version courante de capitalisme que nous vivons, appelée aussi ´´néolibéralisme´´. L'idée fondamentale du néolibéralisme est que tout ce qui peut rapporter un bénéfice doit faire partie du secteur privé. Cela signifie également que tout obstacle à l'accumulation de profits doit être levé. L'obligation de désarmement tarifaire rend les industries locales non compétitives, ce qui a pour conséquence, la disparition progressive de l'outil de production au profit d'une «bazarisation» de l'économie telle que la connaissent des pays comme l'Algérie qui ont connu les griffes caudines de Camdessus.... Arrangements «amicaux» «L'ajustement structurel, écrit Fletcher Bill, s'apparente davantage aux relations qu'on peut avoir avec un usurier requin». Des pays sous-développés, souvent d'anciennes colonies, du sud du globe, c'est-à-dire d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, et qui dépendent de l'aide étrangère, cherchent souvent assistance auprès des IFI. On les informe que pour recevoir cette aide, ils doivent abandonner leur souveraineté. Plutôt que de se fonder sur les besoins de la population du pays, l'économie est réorganisée pour l'usage et le service des institutions financières internationales et des société multinationales. Le service de la dette, l'une des innombrables conditions obligatoires du programme d'ajustement structurel, a dépassé le montant des dépenses pour les besoins sociaux les plus urgents. En conséquence, les pays en développement souffrent d'une vulnérabilité accrue de la mortalité infantile et maternelle, d'une élévation du taux de maladies infectieuses, de la faillite de leurs industries locales, d'un accroissement de l'analphabétisme, d'une dépendance croissante des importations de nourriture, de services sociaux dévastés et de l'élargissement du fossé entre riches et pauvres. Les programmes d'ajustement structurel, ainsi que d'autres politiques néolibérales, enrichissent quelques-uns tandis que l'appauvrissement du plus grand nombre s'accroît dans des dimensions sans précédent.(1) «Il faut ensuite, écrit l'éditorialiste du Monde, qu'on soit bien patient, à Bangkok, Buenos Aires, Dakar ou Kuala Lumpur, pour supporter ce genre de méthode. La règle selon laquelle la direction du Fonds revient à un Européen -de la même façon que la présidence de la Banque mondiale échoit à un Américain- est, en effet, d'un autre âge. Ces petits arrangements entre amis ignorent la révolution copernicienne de l'économie mondiale, avec l'émergence de la Chine, du Brésil ou de l'Inde, comme grandes puissances économiques et principaux moteurs de la croissance mondiale. Tous pays dont les réserves de changes colossales financent les vieux pays industrialisés. (..) Le risque est d'autant plus grand que le FMI ressemble aujourd'hui à une coquille vide. Les pays émergents remboursent leurs dettes, ce qui ôte au Fonds ses moyens financiers; ils connaissent une croissance forte, ce qui réduit les missions de sauvetage à effectuer. Le grand déséquilibre concerne le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine, deux pays qui n'ont que faire des conseils de bonne gouvernance économique du Fonds»(2). Qui est en fait, Dominique Strauss-Kahn? Ecoutons le portrait sans complaisance de l'écrivain et journaliste René Naba: «Avant l'heure, Dominique Strauss-Kahn, le nouveau directeur général du Fonds monétaire international, se prononce en faveur d'une attaque contre l'Iran et regrette que les Américains se soient trompés de cible préférant attaquer l'Irak au lieu de l'Iran. Ancien ministre des Finances et de l'Economie, Dominique Strauss-Kahn, paraît plus proche des néo-conservateurs américains que les ténors de la droite française. C'est d'ailleurs là son point de convergence avec son nouveau parrain international le plus à droite des présidents français, Nicolas Sarkozy, l'artisan de la mutation postgaulliste de la droite française et de son ralliement aux thèses atlantistes».(3) La revue Le Meilleur des Mondes a organisé à l'occasion de la dernière campagne présidentielle française (mai 2007) une interview croisée entre Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur à l'époque, et Dominique Strauss-Kahn, candidat à la candidature socialiste. Voici les principaux passages de l'interview de M.Dominique Strauss-Kahn, député de la circonscription populeuse de Sarcelles, mais résident du quartier chic de Neuilly: Iran: «On mesure que les Américains se sont trompés de cible: la menace ne venait pas de l'Irak, mais de son voisin perse». «La politique qui est aujourd'hui conduite en Iran sous la houlette d'Ahmadinejad comporte de nombreuses expressions du totalitarisme qui, en tant que telles, doivent être combattues. À ce propos, c'est pour moi une grave erreur d'avoir prétendu, comme l'ont fait Jacques Chirac et son ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, que l'Iran jouait "un rôle stabilisateur" dans la région. Cela entraîne une confusion sur la nature réelle de ce qu'est le régime iranien actuel. Cela revient à envoyer un message erroné à un pays qui use largement de sa capacité de nuisance, on le voit au Liban via le Hezbollah, en Irak ou avec le chantage nucléaire qu'il cherche à exercer.» «On mesure que les Américains se sont trompés de cible: la menace ne venait pas de l'Irak, mais de son voisin perse».(3) Pour René Naba, Dominique Strauss-Kahn se trouve, sur ce point, sur la même longueur d'onde que Bernard Kouchner, passé de «Médecins sans frontières» à «Va-t-en guerre sans frontières». M.Strauss-Kahn ne déplore pas le bellicisme américain, juste l'erreur de ciblage de l'Irak plutôt que de l'Iran. «Le Hezbollah n'est pas seulement une organisation terroriste (..) Mais c'est aussi une organisation terroriste dont on attend le désarmement par le Liban (..). M.Strauss-Kahn considère, en outre, que le petit Liban est "l'agresseur" d'Israël. "La fameuse politique arabe de la France. C'est une supercherie que le Quai d'Orsay réussit à vendre depuis des décennies à l'ensemble de la classe politique! Elle nous permet de croire que nous sommes ainsi à l'abri de toute menace terroriste (...) cela me paraît tout à fait absurde". Il est absolument malsain, écrit René Naba et absolument contre-productif pour la cohésion nationale de laisser se développer des contrevérités au sein de l'opinion française. DSK est l'émule en la matière de Philippe Val, directeur du journal satirique Charlie Hebdo, qui considérait que la politique arabe de la France est à l'origine de l'antisémitisme français. Enfin, le bouquet final intervient à propos d'Israël: ´´Je considère que tout juif de la diaspora, et donc de France, doit, partout où il peut, apporter son aide à Israël. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est important que les juifs prennent des responsabilités politiques. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, à travers l'ensemble de mes actions, j'essaie d'apporter ma modeste pierre à la construction d'Israël». Déclaration sur Europe 1, en 1991, reprise par le magazine La vie en France, le 11 avril 2002 sous le titre Trop Proche-Orient. Il n'aurait pas été mauvais, conclut René Naba, que Dominique Strauss-Kahn apporte aussi chaque jour sa modeste pierre à la construction de la France et à l'éveil politique de ses concitoyens, pas uniquement de ses coreligionnaires.(3) Elu d'avance Thierry Meyssan est encore plus critique. Il écrit: «Avec chauvinisme, la presse française se félicite que des Français se trouvent aujourd'hui à la tête de quatre grandes organisations internationales. Des Prix Nobel d'économie aussi divers que le néo-keynésien Joseph Stiglitz ou le libertarien Milton Friedman ont accusé le FMI d'être le grand organisateur des déséquilibres Nord-Sud. DSK a été élevé au Maroc, puis à Monaco. Il reçoit une éducation juive -plus séfarade qu'ashkénaze-, à laquelle il accorde plus d'importance au plan culturel que religieux. En 1987, il se démarque de François Mitterrand, il conduit une délégation du Parti socialiste en Israël et se rend à la mairie de Jérusalem qu'il considère comme capitale de l'Etat hébreu. En 1991, il participe à un voyage de solidarité en Israël, organisé par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) en pleine Guerre du Golfe». «En 1994, usant de sa qualité d'ancien ministre de l'Industrie, il crée le Cercle de l'industrie.(..) Son cabinet d'avocat lui assure des revenus de plus de 2.000.000F par an. Il donne des cours à l'université, à Stanford et Casablanca, A l'époque, le prévôt de Stanford - c'est-à-dire la personne qui négocie l'engagement de Dominique Strauss-Kahn - n'est autre que Condoleezza Rice. (..) Lorsque s'ouvre la compétition au Parti socialiste pour désigner le candidat à l'élection présidentielle de 2007, Dominique Strauss-Kahn apparaît à la fois comme le candidat le mieux placé face à son rival déclaré, l'ancien Premier ministre, Laurent Fabius. Pourtant, contre toute attente, c'est un outsider, Ségolène Royal, qui est désigné. C'est qu'à Washington on a un autre projet: placer Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Pour cela, il convient d'installer face à lui un concurrent peu crédible. En échange de son retrait silencieux, DSK sera largement récompensé par la direction générale du FMI. Peu après son accession à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy présente la candidature de DSK à Washington, et Condoleezza Rice lui apporte son soutien. Tout en participant à la création de l'European Council on Foreign Relations (E-CFR), il sillonne le monde, officiellement pour convaincre les Etats du Sud de soutenir également sa candidature. En réalité, leur vote importe peu».(4) Il n'est pas étonnant dans ces conditions que le Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (Cadtm) dénonce une mascarade électorale. La candidature du Tchèque Josef Tosovsky, qui n'était même pas soutenu par son propre pays, ne fait pas illusion: le vote était acquis d'avance pour le candidat désigné par l'Union européenne. Le Cadtm tient d'abord à rappeler que le FMI est une institution qui, depuis plus de 60 ans, exige avec la plus grande brutalité que les dirigeants des pays dits «en développement» appliquent des mesures économiques servant l'intérêt des riches créanciers et des très grandes entreprises. Dans ce but, durant les dernières décennies, le FMI a apporté un soutien essentiel à de nombreux régimes dictatoriaux et corrompus....Voilà pourquoi de nombreux pays refusent désormais la tutelle du FMI, ses remèdes frelatés ne trompant plus les peuples du tiers-monde qui connaissent trop bien les souffrances qu'ils impliquent et se sont saignés aux quatre veines pour rembourser une dette immorale et largement odieuse.(5) «Nous nous demandons souvent ce que nous faisons au sein du FMI. La Russie est-elle vraiment un membre à part entière de cette organisation? Avons-nous réellement voix au chapitre où sommes-nous contraints de faire partie du décor? a déclaré le directeur exécutif du FMI pour la Russie, Alexeï Mojine. (..) Le monde a radicalement changé. Aucun des grands pays aux marchés en développement n'a plus besoin des crédits octroyés par le Fonds. Ainsi, les réserves internationales (réserves de changes) de la Russie s'élèvent à 420 milliards de dollars. Ce montant est supérieur au capital total du FMI. Ces réserves sont également très élevées en Inde, au Brésil, au Mexique, en Corée et dans d'autres pays aux marchés en plein essor, sans parler de la Chine dont les réserves de changes approchent les 1500 milliards de dollars. Il est tout à fait évident que le FMI ne pourra pas survivre s'il reste une organisation purement occidentale. Il ne pourra survivre qu'en tant que structure internationale. Mais, à cet effet, il doit subir une transformation radicale».(6) On ne peut qu'être d'accord sur la nécessité d'un réajustement structurel du FMI, comme l'affirme Frédéric Lemaître, quand il écrit: «Comment, en 2007, légitimer un conseil d'administration où, en raison de quotes-parts établies, il y a plus d'un demi-siècle, la Belgique pèse davantage que l'Inde, et les Pays-Bas près de deux fois plus que le Brésil? Le FMI est incapable de s'adapter aux évolutions d'un monde qu'il a lui-même en partie façonné. Mais, à vrai dire, le directeur général n'est qu'un symbole. Moins que sa nationalité, c'est la composition du conseil qui importe. Pour que la Chine et les autres pays émergents aient plus de pouvoir, il faut que l'Europe en ait moins. Au-delà, c'est toute la gouvernance des institutions internationales qui est à repenser.».(7) Il est permis de douter que «l'intronisé» à ce poste ait la volonté de contribuer à la mise en place d'une institution à visage humain. 1.Fletcher Bill Jr Grain de sable 317-26 mars 2002 2.DSK au FMI. Editorial du Monde 30.09.07 3.René Naba. Dominique Strauss-Kahn dans le texte: http://renenaba.blog.fr/ 30.09.2007 4.Thierry Meyssan. D.S.K l'homme de Condoleezza Rice au FMI, Réseau Voltaire 7.10.2007 5.Infos article URL: http://www.cadtm.org. 6.A.Denissov, Dominique Strauss-Kahn parviendra-t-il à sauver le FMI? «Vremia Novosteï» 2.10.2007. 7.Frédéric Lemaître. le FMI dans la tourmente. Le Monde du 09.09.07