Deux tendances: certains veulent faire endosser totalement la responsabilité à la France et d'autres n'hésitent pas à accepter les défaillances internes. Sujet de polémique et question si sensible, l'écriture de l'histoire est à nouveau au centre des controverses. L'ouverture, jeudi, à Biskra, du Colloque national sur la résistance d'Ahmed Bey, le dernier des beys de Constantine, a été l'occasion de relancer le débat sur l'écriture de l'histoire, un sujet qui fâche. Deux tendances: coller totalement la responsabilité sur le dos de la France et/ou admettre, en second lieu, les défaillances locales. La transcription de l'histoire est souvent otage à la fois d'une «crainte de vérité et/ou par intérêt», commente d'emblée le docteur Mohamed El Arbi Zebiri, visiblement acquis aux thèses liées à la responsabilisation de la France. Selon lui, la période coloniale qui avait été marquée par la résistance de Ahmed Bey, à titre indicatif, avait été écrite, «d'une manière imposée», suivant l'approche adoptée par l'occupant. L'universitaire Sadek Selam développe, quant à lui, une autre lecture. «Les archives sont accessibles en France par voie de dérogation, c'est-à-dire qu'il est nécessaire de formuler une demande et la soumettre à l'étude. Un bon chercheur est celui qui use de tous les moyens», a estimé l'enseignant. Et d'ajouter qu'«il n'est plus utile d'aller vers la responsabilisation totale de l'occupant». Sur sa lancée, Sadek Selam a tenté de justifier son approche qui n'a pas fait le bonheur des partisans de la première tendance. Au temps de la 3e République française, à titre d'exemple, «il a été interdit de transcrire l'histoire de la période ottomane, mais nous, les Algériens, nous avons hérité de cette décision après l'indépendance». Universitaires, chercheurs et politiques, à l'instar de Ahmed Taleb El Ibrahimi et Mouloud Hamrouche, étaient présents aux débats qui ont pris les allures d'une véritable guéguerre froide entre partisans de deux tendances antagonistes. Mohamed El Arbi Zebiri revient à la charge. Il tente encore une nouvelle carte, celle de l'éternel et classique justificatif lié à la mise sous scellés, par certains pays, des archives de l'histoire algérienne. Le modérateur cite la France comme à l'accoutumée, mais aussi la Grande-Bretagne qui, d'après lui, sert de coffre blindé inaccessible aux chercheurs sur l'histoire algérienne. Un troisième joker: «Plusieurs contradictions sont à relever dans les manuscrits écrits par les Français», dira encore Mohamed El Arbi Zebiri. Le docteur Hassan Mesdak est venu, lui aussi, redonner l'âme à la thèse développée par le président de la séance, Mohamed El Arbi Zebiri. Le chercheur Hassan Mesdak fait comprendre aux présents qu'il avait tenté une demande d'accès aux archives du ministère français des Affaires étrangères, mais un «refus inexpliqué» a été réservé à sa demande. A l'entendre, l'archive qu'il a voulu retirer concerne les dernières correspondances d'Ahmed Bey. L'objectif, selon le chercheur, étant d'enquêter sur les conditions de «mort et de repentance» du dernier des beys du Constantinois. Le témoignage de Hassan Mesdak vient ainsi conforter, dans leur avis, les partisans acharnés de la responsabilité française. Laquelle responsabilité est à l'origine, dit-on, du retard et des défaillances ayant accompagné la transcription de l'histoire algérienne. La mise sous scellés des archives algériennes en Hexagone répond également à la logique de camoufler les dépassements tragiques de la politique d'occupation pratiquée par la France en Algérie. Crimes de guerre par-ci, tortures et appauvrissement par-là, la France est sérieusement confrontée à son histoire avec l'Algérie. D'où la demande de repentance et les excuses officielles réclamées depuis toujours par l'Algérie. Mais qu'a-t-on fait aussi de notre histoire depuis l'indépendance? Il est aussi temps de se remettre en cause, car la recherche en Algérie est réduite à sa plus simple expression. Ni laboratoire spécialisé, encore moins un budget de recherche du même calibre que la responsabilité qui s'impose aux chercheurs. Les diplômés de l'Histoire, pour ne citer que ceux-là, se bousculent désespérément, au bout de leur cursus, pour un poste d'emploi dans l'enseignement. Quant à ceux ayant opté pour l'aventure post-graduation, ceux-là sont confrontés sempiternellement au manque flagrant des moyens de recherche. N'est-il pas temps de situer les responsabilités? Le deuxième colloque national sur la résistance d'Ahmed Bey dans les Aurès vient relancer le débat et remettre sur la table une question taboue. Mais le stade du simple débat d'histoire est à dépasser.