Ils n'aiment pas les cérémonials et les promesses jamais tenues. Ils aiment dire tout haut ce qui se pense tout bas. Il suffit de les écouter. On parle d'eux de temps en temps. On les voit tous les jours. On croit encore en faire partie. Nos collègues démographes soulignent même qu'ils sont la majorité du monde arabe: 75% du peuple. Pourtant, certains ne savent pas comment les définir, les décrire, les comprendre. Nous avons la chance d'être en permanence en contact avec eux. Ils refusent la démagogie du porte-parole, des représentants qualifiés des institutions, astreints par le protocole et l'obligation de réserve, à des discours de langue de bois ou d'apologie. Ils n'aiment pas les cérémonials et les promesses jamais tenues. Ils aiment dire tout haut ce qui se pense tout bas. Il suffit de les écouter ou de lire le journal, et non point la télé, pour s'interroger sur l'utilité des forums, symposiums, colloques, sommets, conférences, rencontres, commissions, plates-formes, à leur sujet. Qui sont-ils? Les jeunes, l'avenir de la Nation. Ils savent que les questions centrales sont celles de la compétence et de la démocratie. Pourtant, ils constatent avec amertume que, dans le monde arabe, rares sont les régimes démocratiques ou au moins compétents. Pourtant, tout le monde le sait, les potentialités existent, notamment au sein de la jeunesse. Ces derniers considèrent que leurs droits sont plutôt bafoués. Démocratiser nos sociétés Des adultes, en particulier certains de ceux qui exercent les pouvoirs, car il n'y a pas un seul pouvoir, mais des pouvoirs multiples, considèrent que les jeunes sont souvent immatures, et les accusent, en privé, d'incivisme, d'irresponsabilité, de manque de patriotisme, de groupes sociaux oublieux de leurs devoirs. Les effets sont mis en avant sans chercher les causes profondes. Qui éduque et sensibilise les jeunes aujourd'hui? Personne ou presque. Au contraire, les discours restent politiciens, démagogiques et paternalistes. Pour les jeunes, le mensonge domine. Ils ne croient plus les discours des «élites». Situation aggravée par ceux qui dénigrent les valeurs communes et les symboles unificateurs. Le fossé se creuse et la confiance est quasiment nulle. Les jeunes sont dans un oued et les gouvernants dans un autre oued. Démocratiser nos sociétés et éduquer notre jeunesse; il n'y a pas d'autre moyen pour redonner confiance et de relever les défis. Ce n'est point, disent les jeunes, de l'utopie ou de la naïveté. C'est le point central du vivre-ensemble; face aux menaces et aux risques de notre temps, on ne peut pas mobiliser le peuple et en particulier sa jeunesse s'ils restent étrangers à la désignation des responsables, au choix des programmes, à l'apprentissage civilisé du vivre-ensemble. Certes, le fait d'assister à un certain nombre de dérives, comme le laxisme, la permissivité, voire l'anarchie, dans des différentes formes d'expériences démocratiques, oblige à rechercher une voie qui satisfasse et l'autonomie personnelle et la perspective qui défend la nécessité impérieuse de l'autorité de l'Etat. Il n'est pas impossible d'allier les deux. Pour accéder à un progrès quelconque, la raison et le libre arbitre des citoyens doivent s'exercer de façon responsable et légale. Etre libre tout en respectant les lois qui fondent la société est l'acte premier pour tout peuple, ce que Ibn Khaldoun nomme «le consensus libre» et c'est ce que Rousseau appelle, dans Le Contrat social, «l'acte par lequel un peuple est un peuple». Ce chemin de la responsabilité démocratique, les jeunes veulent légitimement le retrouver, en faire l'expérience. Sinon, ils auront le droit de se demander s'ils existent. La fuite des cerveaux et celle des harragas, au niveau de toute la rive Sud, vont se multiplier, si la société tout entière n'est pas respectée au sens politique du terme. La possibilité de faire l'histoire, d'être un peuple responsable, c'est-à-dire capable de décider, de résister au nom de la liberté, d'avoir ses raisons et d'avoir raison, de donner réalité à un projet de société choisi après débat, est la vraie indépendance. Cela aussi les jeunes le savent. Ni l'autoritarisme, ni les sentiments partisans, encore moins l'irrationnel ne peuvent faire face aux défis complexes de nos sociétés. Il y a lieu de fonder les modes de relation et les méthodes de travail sur la logique participative, rationnelle et des objectifs raisonnables. Le refus de la démocratie à l'occidentale peut parfois se comprendre, car elle apparaît comme à deux vitesses, au service des détenteurs des capitaux et apparaît comme une foire, malgré les avantages, relatifs de l'Etat de droit. Ainsi, pour certains, dans le monde arabe, s'enfermer dans les «avantages» étroits du despotisme dit éclairé, de l'autoritarisme comme garde-fou et la défense d'intérêts de la raison d'Etat, ce n'est pas toujours par refus de la démocratie, en tant que telle, mais c'est parfois par souci de choisir le moindre mal pour tenter de préserver l'unité nationale et la survie de la Nation, compte tenu disent-ils, des particularités socio-historiques. Cela peut être compréhensible pour certaines périodes transitoires et d'exception. Mais les jeunes ont le droit de critiquer un éternel renvoi de la possibilité démocratique sous des prétextes infinis. Revendiquer une vraie transition, la démocratie, (qui pourrait raisonnablement s'y opposer ouvertement?) et en même temps être critique et débattre face à ses éventuelles limites est déjà un acte démocratique. Le débat réel et la confiance en leur génération, voilà ce que la jeunesse souhaite et non point une utopique démocratie. Ils affirment, à juste titre, ne pas demander la lune. Dialoguer avec la jeunesse est la clé, au sein du monde arabe, pas seulement avec les partenaires étrangers, pour que les uns et les autres comprennent quelle politique veulent les jeunes. S'ouvrir, démocratiser, coopérer ne signifie pas qu'ils soient aveugles devant les rapports de force et la concurrence naturelle au sein de la société et entre les peuples et les nations. Bien au contraire, ils n'ignorent pas qu'un pouvoir légitime résiste plus aisément aux pressions extérieures. La plupart d'entre eux savent que la défense de la patrie et de l'intérêt national est majeure. Il est nécessaire de maintenir les consciences en éveil. Cela passe par un travail qui donne la priorité à la bonne gouvernance, révolutionne les méthodes et redonne espoir aux jeunes. Par exemple, ils auraient voulu voir, candidats à toutes les élections locales dans le monde arabe, des personnalités nationales compétentes, de tous les âges, en vue de bâtir le pays à partir de la base, au lieu d'être marginalisées. Des pratiques politiciennes médiocres Dans notre pays, un seul cas, méritoire, en 50 ans, a été enregistré il y a quelques années, celui du Pr Abdelhamid Aberkane, ancien ministre à la mairie d'El Khroub. Les jeunes constatent que le niveau local, sauf exception, est toujours livré à des personnes sans réelle qualification et à des pratiques politiciennes médiocres. Aucune rupture n'est visible à leurs yeux. Ce sont les bases mêmes de la vie sociale, le lieu du séjour et les capacités de développement qui sont atteintes par les excès du modèle des marionnettes, des arrivistes et des prédateurs. Le problème ne réside pas seulement dans les faibles prérogatives des élus locaux arabes, mais surtout et avant tout il s'agit pour eux de compétence et d'intégrité, paramètres que les jeunes considèrent comme prioritaires. Les attributs et les missions des élus locaux, malgré toutes les insuffisances, tels qu'ils existent, peuvent suffire à oeuvrer si les capacités des acteurs sont de niveau. L'être social et le moral des jeunes sont affectés par cette situation. A l'intérieur du pays profond, la mal-vie a atteint des proportions inimaginables. Même les universités, censées être l'espace privilégié du débat, subissent un désert de sens et une déliquescence alarmante, faute, en particulier, de la valorisation de l'acte d'enseigner. L'éthique, la déontologie et l'échelle des valeurs restant le parent pauvre. Pourtant, ils continuent à aimer leur pays, même s'ils recherchent le «visa». Ils ne renient pas, ils se sentent abandonnés. Il ne s'agit pas d'oublier les «acquis», ou de nier les efforts matériels réalisés ou en cours, parfois gigantesques, d'accuser, de culpabiliser l'autre et de mystifier la jeunesse. Des jeunes cherchent parfois la facilité, sont obnubilés par des modèles importés et surtout ne s'organisent pas suffisamment. Pourtant, chaque génération doit assumer ses responsabilités. Cependant, l'échec politique est patent à ce niveau et reconnu par tous. La conjoncture internationale, les menaces externes et les incertitudes internes au monde arabe devraient permettre de tirer la sonnette d'alarme. Les peuples de la Terre, pas seulement les Arabes, sans aucune exception, affrontent aujourd'hui trois défis. D'abord, les problèmes de l'évolution d'un monde où la mondialisation multiplie les chances de se développer, mais généralise en même temps le chômage, problème numéro un pour la jeunesse, les inégalités et la difficulté de se donner du sens. Cette désorientation suscite l'insécurité économique et la perte du lien social et remet en cause l'autonomie de l'individu, la souveraineté des Etats et le sens de l'humanité. Elle favorise la tentative d'hégémonie des puissances financières étrangères et d'une superpuissance qui agit au nom de la loi du plus fort. Tous les problèmes aujourd'hui se posent en même temps: politique, économique et culturel. Il y a lieu de travailler à simplifier une situation complexe et à éduquer le jeune citoyen, car il est le meilleur rempart face aux nouvelles menaces et incertitudes. D'autant qu'un pays comme l'Algérie a une culture de la dignité, de l'amour de la patrie et dispose de potentialités réelles qu'il est urgent de faire renaître, sans passéisme ni populisme. Poser les vraies questions, c'est déjà, nous le savons tous, fournir la moitié de la réponse. Le fort taux d'abstention aux élections législatives et locales dans tous les pays arabes est un signe fort que certains refusent de retenir. Qui peut réussir sans s'appuyer sur sa population, en particulier les jeunes? Réponse: personne. Le débat qui doit avoir lieu, et qui aura lieu un jour, c'est celui qui oppose ceux qui cherchent à imposer le dessein d'une société soumise et d'un monde unipolaire et ceux qui cherchent à responsabiliser le citoyen et à concevoir le monde comme naturellement pluriel et multipolaire, respectant la diversité des peuples, les générations nouvelles et leur exigence de liberté et d'équilibre. Entre ceux qui défendent la primauté du droit et ceux qui lui préfèrent la loi du plus fort. Entre ceux qui aspirent à un universel de solidarité et ceux qui défendent des intérêts étroits, ce qui fait le jeu de la mondialisation uniformisante. Entre ceux qui refusent le droit à la différence et ceux qui recherchent la cohérence entre l'unité et la pluralité. Entre les partisans d'une société juste, ouverte, accueillante et positive et ceux enfermés dans le mépris des gens. Enfin, entre ceux qui ont le courage de regarder leurs propres limites et les bouleversements et complexités de leur époque et acceptent le travail d'équipe, la décentralisation et les avis motivés et, partant, engagent leurs administrés dans l'apprentissage démocratique et ceux qui, au contraire, choisissent la fuite en avant et l'infantilisation de leur peuple. La jeunesse arabe existe, elle est tributaire de cette problématique. Demain a déjà commencé, si on sait lui faire confiance. Bien plus, si elle reprend confiance en elle. www.mustapha-cherif.com