Dépassé l'hôpital d'Azazga de dizaines de mètres seulement, la forêt de Yakouren déploie son vaste manteau vert pour recouvrir de grands espaces. Comme un aimant, elle attire, en cette période de canicule, beaucoup d'estivants, histoire de se rafraîchir et se payer, à moindre prix, de petits moments d'évasion et de bonheur. Comme quoi, il n'y a pas que les eaux salées de la mer qui savent si bien adoucir les journées suffocantes de l'été. “On ne peut pas passer par un tel lieu et ne pas descendre savourer la beauté du paysage”, lâche, admiratif, Larbi, un automobiliste algérois qui passe pour la première fois par la forêt de Yakouren. Sur conseil de son ami Abdenour, un Algérois de Paris et connaisseur des lieux, qu'il a accompagné à Adekar, il a emprunté la route de Yakouren, histoire de découvrir la réputée et mythique forêt. Une halte au branchement de Tifrit à mi-chemin entre Yakouren et la célèbre “Fontaine fraîche” suffit à notre visiteur d'un jour pour qu'il soit à jamais envoûté par le charme de la région. “C'est vraiment magnifique ! J'ai visité Oran, Bordj Bou-Arréridj, le Sahara… J'ai rarement rencontré un tel endroit. Ici, la nature est douce. Demain, je reviendrai avec ma famille”, promet-t-il. “C'est une très belle forêt qu'on ne voit pas partout, même en Europe. J'étais un peu partout en Algérie mais cette place est unique. C'est vraiment un grand plaisir de la revoir. Un tel site peut développer toute l'Algérie”, a renchéri son ami Abdenour. En congé au bled, Boussad, un émigré habitant Monte-la-Jolie pas très loin de Paris, a tenu à venir se ressourcer à la “Fontaine fraîche”, accompagné de Chérif, un parent, et de ses deux filles. “L'endroit est très beau et génial. Il t'attire comme aimant. Du temps où j'étais à Chihani-Bachir, début des années 1980, on venait ici à pied”, dit-il. “Dédaigné” par les dieux de la modernisation, le paysage est resté presque à l'état sauvage. Une route, prise en tenaille par une inextricable nasse d'arbres, éventre en profondeur le gros corps de l'immensité noire. De longilignes chênes zen et chênes-lièges s'élèvent droit dans les cieux pour inhaler de l'air pur et frais qu'ils répandent, prodigieusement, tout autour d'eux, au grand bonheur des passagers. Sur un rebord de la route, juste à côté du branchement, un monument est érigé à la mémoire des artisans de l'indépendance du pays. Les singes macaques, la grande attraction Chassés par la faim des profondeurs de la forêt, les singes macaques viennent, forts de leurs généreuses facéties et mimiques, à la rencontre de la générosité des hommes. Les enfants avec leurs belles frimousses les gavent de sucreries (gâteaux, et gaufrettes). Nullement apeurés, ils mangent à même leurs petites mains. Emouvante fusion de deux innocences ! Mais ils se sont habitués aux hommes qui, adoucis par tant de beauté, ne leur font pas de mal. Au contraire, ils les gâtent beaucoup. Certains, munis d'appareils photo ou de caméras vidéo, immortalisent ces simples et incommensurables moments de bonheur. “Souvent les singes viennent à ma rencontre en montant sur mon dos ou sur mon boîtier”, témoigne Omar, un photographe de Bouzeguène qui “sévit” dans les lieux depuis 2000. “Quand les gens me demandent le secret, je leur réponds simplement qu'il faut passer quatre années avec eux. Ils se sont familiarisés avec moi. En hiver, ils viennent tous à ma rencontre. En été, ils m'oublient un peu. Beaucoup de gens leur donnent à manger”, ajoute-t-il. Lui aussi, il les connaît fort bien et par leur nom s'ils vous plaît ! Le petit “Bidiche”, “Gourouze”, “Fifi” la femelle… et surtout “Joe”, le chef de bande. “Beaucoup de filles connaissent Joe. Il n'hésite pas à manger dans la main de ses bienfaiteurs. L'important est de ne pas le fixer dans les yeux”, confie Omar. “Ils viennent le matin ou le soir. La mi-journée ils se retirent pour faire la sieste”, ajoute Rachid, un autre habitué des lieux. De l'autre côté de la route, dans un espace quelque peu dégarni mais bien ombragé, des familles pique-niquent en toute quiétude aux pieds des arbres. Ici, la sécurité est totale. Ni agression, ni vol, ni incursion terroriste. “Tu peux laisser ta voiture ouverte et personne n'y touchera. Ici, nous sommes comme une famille. Les voleurs ont peur car ils savent ce qu'ils risquent. Il n'y a ni drogue ni alcool et les couples qui sont tout de même les bienvenus ne sont pas tolérés à faire n'importe quoi. Nos clients sont des familles et nous tenons à ce qu'ils ne soient pas du tout dérangés. Donc, c'est la sécurité la plus totale”, s'épanche fièrement Djamel, commerçant. Un point noir tout de même. Des détritus (des sachets, des bouteilles, des bouteilles de bière, des cartons de pizza…) sont jetés çà et là tout le long de la route, altérant hideusement la beauté des lieux. Une grave atteinte à l'environnement à laquelle les autorités locales doivent mettre un terme. Six poubelles sont, certes, installées mais elles ne sont pas récupérées à temps. La “Fontaine fraîche”, ou le plaisir de la farniente À quelque deux kilmètres plus bas, la “Fontaine fraîche”. Ici, c'est plus bruyant. Un monde impressionnant, des vieilles et des vieux, des jeunes et moins jeunes des deux sexes, des enfants aussi, pour savourer les joies de la farniente. Ils viennent de partout, des communes limitrophes, de Tizi Ouzou, de Béjaïa, d'Alger, de Jijel, d'Oran… et même du Sud. Les émigrés bien sûr sont eux aussi de la partie. On fuit les chaleurs étouffantes des villes et villages en quête de fraîcheur. Et ils sont bien servis. Sur un tronçon d'un kilomètre environ, des étalages remplis d'objets de poterie s'allongent sur les deux côtés de la route. On y vend un peu de tout : bijoux, vêtements, gadgets, cassettes... Un problème toutefois : les étals ont trop grignoté sur les accotements. Aussi, pour la troisième année successive, les autorités locales ont averti les commerçants — ils sont tous des villages voisins (Aït Bouhenni, Azrou, Yakouren…) — que dès l'année prochaine, ils ne seront plus tolérés à le faire avec ferme promesse de leur trouver une solution. “On ne demande pas mieux. Qu'ils nous régularisent et qu'ils nous construisent des cabanes. Nous sommes prêts à payer les impôts. C'est bien pour l'Etat et bien sûr pour nous”, soutient Djamel. Ils se plaignent aussi de la baisse de l'activité, constat que partagent les commerçants d'en haut qui sont presque tous des villages limitrophes qui ramènent leurs marchandises de Bouira et Bordj Bou-Arréridj. “Cet été, l'activité commerciale a connu une baisse drastique d'au moins 50 %. Les émigrés ne sont pas venus en force comme l'année dernière”, lâche dépité le jeune Hadadj, un membre d'une famille de bijoutiers très connue à Azazga. Sa famille a une bijouterie à Yakouren. “Ici, ça marche mieux qu'à Yakouren”, reconnaît-il. Trois fontaines. D'abord, Thala Touizi où est accroché un portrait de Matoub Lounès. Au milieu, l'ancienne fontaine fraîche construite en 1936, agrémentée, elle, d'un portrait du défunt Mohamed Boudiaf. Et enfin celle d'en haut portant elle aussi une effigie de Matoub Lounès. Entre les étals, des estivants flânent, bercés par des flots de musique qui accompagnent leurs pas nonchalants. Par moments, ils s'arrêtent devant un étal pour s'enquérir du prix des objets exposés. À Thala Touizi, construite en pierre taillée, deux files de jerrycans. “Ils viennent d'Azazga, Aït Bouadha, Ifigha et même de Bouzeguène. Il semble que l'eau de la fontaine est bonne pour les reins. Il faut attendre 19 heures pour voir un monde fou s'agglutiner autour la source”, explique “Cavrane”, un employé à Alger qui, en ces vacances d'été, aide un ami gargotier dont la bicoque se trouve juste à côté de la fontaine. Un disquaire de fortune expose une flopée de CD des “dieux” de la chanson kabyle : Matoub, Aït Menguellet, Chérif Kheddam, etc. Un peu plus haut, un parking aménagé par un jeune, Omar de Cheurfa, qui se plaint des jeunes de la région qui rechignent à payer leur place. Sur la partie surplombant le parc, quelques familles se prélassent à l'ombre des arbres, mangeant et écoutant les pépiements des oiseaux. Rachid de Rouiba, originaire de Draâ El Mizan, est assis à côté de son jeune fils. En bas, dans le parc, toute sa famille s'est engouffrée dans le fourgon. “C'est la première fois que je viens ici. Ce sont des amis et mon fils qui a l'habitude d'emprunter cette route pour se rendre à Assif El Hammam qui m'ont forcé la main. Ce qui me plaît ici, c'est la nature et la tranquillité. Il manque toutefois la propreté. Les gens doivent avoir plus de civisme. Sincèrement, nous avons un beau pays.” Et de se rattraper : “Il y a aussi l'absence de vol et le respect des familles.” Un peu plus loin du campement de Rachid, des familles prenaient place sur un autre terrain où trône, au milieu, une poubelle remplie de détritus. Tout autour des bouteilles, des sachets noirs, des papiers... traînent. Un dromadaire qui… “parle” kabyle À la “Fontaine fraîche”, la plus grande attraction, c'est H'ssen avec son beau cheval à la chevelure dorée et fournie, son bélier à quatre cornes et son dromadaire. Ce poète à ses heures — il a composé quarnte huit chansons dont vingt quatre ont des musiques et il compte éditer des cassettes ainsi qu'un recueil de poèmes — affectionne beaucoup ses bêtes qu'il a agrémentées de tendres surnoms : Kaâbouche pour le bélier et Toutou pour le cheval et Lili pour le dromadaire. Armé de deux appareils photo, H'ssen attirent les enfants vers ses “perles” —“il y a quelques jours, ils ont été consultés par un vétérinaire qui leur a prodigué des vaccins” — son cheval, son dromadaire et son bélier à quatre cornes ramené de Bouira. Ce dernier a été troqué contre un vieux dromadaire. Il est tout fier de son dromadaire qui “parle kabyle”. Démonstration ? “Mahiyi negh ak kerchagh” (embrasse-moi ou je te mords) lui ordonne-t-il. Et à la bête de s'exécuter en l'embrassant sur… la bouche. Quand il lui enjoint de s'asseoir pour qu'un enfant puisse être photographié sur son dos, il s'exécute aussi. Une confidence : “Les dromadaires n'aiment pas trop les femmes. Ils sont timides.” Une anecdote, cette fois-ci de l'artiste : “Les filles préfèrent le cheval et les garçons, le bélier ou le petit chameau. Ce dernier n'aime pas beaucoup les filles. Il est timide.” Une autre : “Son dromadaire cédé à quelqu'un de Bouira contre "Kaâbouche", portait le sobriquet de… "Chouchou". “À ce moment-là, je n'étais pas au courant qu'il y a un film de Merzak Allouache dont le personnage principal portait le même nom. Il a fallu la venue d'une Algéroise pour me l'apprendre. On avait ri un bon coup.” Une dernière : “Une fois une Sénégalaise de Paris est venue ici. Elle ne revenait pas de son étonnement en découvrant une telle forêt. Elle croyait que l'Algérie est un pays plat.” En effet, la forêt est d'une beauté envoûtante. On ne peut y venir sans se promettre de revenir. A. c.