Le ministre français des Affaires étrangères ne cesse d'agir comme un éléphant dans une maison de porcelaine. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui s'est fait le promoteur du devoir d'ingérence dans les affaires d'Etats souverains, au nom des «droits de l'homme», à qui Nicolas Sarkozy a confié le Quai d'Orsay au lendemain de son élection, ne cesse d'agir comme un éléphant dans une maison de porcelaine. Il vient encore de se signaler par une déclaration islamophobe. A un quotidien français, dans un débat avec l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, Bernard Kouchner a affirmé, ce 8 février, sans nuances ni retenue, que les valeurs fondatrices des musulmans recèlent des «facilités» pour les déviations: «Je pense que l'utilisation de la religion est pour beaucoup dans le refus de ce monde moderne. Je crois que c'est vraiment une supercherie intellectuelle, une dénaturation, une déviation de la religion islamique qui, avec le Coran, offre peut-être des facilités pour que ces déviations soient populaires. Je pense profondément que la majorité des musulmans a peur de manifester son désaccord avec l'extrémisme...Cela interdit à l'immense majorité des fidèles, des islamistes que j'appelle modérés, de se manifester.» C'est une posture islamophobe, qui dénote une ignorance et des préjugés tenaces. Tout comme l'inquisition n'est pas dans l'Evangile, le goulag n'est pas dans Marx et le sionisme n'est pas dans la Thora, la violence aveugle n'est pas dans le Coran. Ces amalgames et confusions cyniques ne servent pas le rapprochement entre les peuples. L'immense majorité des musulmans prouve tous les jours qu'elle s'oppose à tous les extrémismes. Autant opposée à ceux internes qui se manifestent au sein de leurs sociétés et à ceux étrangers, israéliens et américains, qui agressent, colonisent et occupent de manière brutale, comme en Palestine et en Irak. Les causes du désordre sont politiques avant tout, à cause, à la fois, de la loi du plus fort, de la politique des deux poids, deux mesures et des dérives de la modernité occidentale. Certes, des pesanteurs et formes de fermetures existent au sein de nos sociétés, mais la question est sociopolitique, plus que théologique. Il serait temps que les discours censés êtres de militantisme et de paix arrêtent de stigmatiser, de participer à la désinformation et reviennent à la raison. Les jugements à l'emporte-pièce et les visions arrogantes ruinent toute idée de dialogue, fragilisent toute idée d'Union en Méditerranée, d'Alliance des civilisations, de coexistence et hypothèquent l'avenir commun. Sur le plan mondial, nous sommes dans une phase de méconnaissance de l'autre, du recul du dialogue, et recul du droit. Certains s'inventent de nouveaux ennemis et tentent de semer la peur. Ils ne doivent pas nous pousser au repli, à la lassitude ou au désespoir. Dialoguer, notamment sur le plan culturel, est vital pour au moins trois raisons: -C'est une exigence du bon sens, une exigence de la raison, une exigence de nos références fondatrices- C'est une nécessité pour comprendre et honorer la vie, car rien n'est donné d'avance et personne n'a le monopole de la vérité. L'avenir est incertain. Dialoguer c'est accepter le débat franc, le témoignage de l'autre, les questions et critiques qui interpellent, dans le respect mutuel, voire l'admiration réciproque. Il est immoral et contre-productif de stigmatiser l'autre et d'opérer des amalgames. Le dialogue entre les cultures, prises dans le mouvement d'un seul et problématique monde, est impératif. Les peuples de l'Islam et les peuples européens appartiennent en grande partie à une même histoire. L'Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Les amnésies et les murs de séparation sont voués à l'échec. Nous devons tous nous déclarer acteurs d'une civilisation commune à réinventer: c'est celle d'une culture réelle dans laquelle hier des hommes vécurent ensemble, parlèrent, écrivirent réellement en arabe, en berbère, en hébreu, en grec, en latin, se mêlant sans se confondre, et procédant ainsi à former un creuset de civilisations. Il faut le rappeler, en nous projetant dans l'avenir: car nous sommes, chacun à notre manière, Orient et Occident, Nord et Sud. Par conséquent, un vrai dialogue est possible et nécessaire. Nul ne peut fuir ses responsabilités, ni au ´´Nord´´ ni au ´´Sud´´, en prenant prétexte des dérives de l'autre et en cherchant par là à faire diversion. En effet, sans syncrétisme, ni relativisme, il faut reconnaître qu'il n'y a pas beaucoup de sens à parler d'«Occident» et d'«Orient» -ou de «Nord» et de «Sud». Non seulement à cause du passé imbriqué, mais parce que la vérité aujourd'hui est qu'il y a un mode de vie mondialisé et que ce mode sous les figures du Marché, de la technique et de la rationalité instrumentale, malgré des acquis prodigieux, s'éprouve actuellement lui-même comme une impasse. Dès lors, plutôt que d'accuser l'autre, d'évoquer des affrontements ou des divisions, il devient urgent de travailler ensemble, de penser à ce qui désormais fait question pour tous à partir d'un destin commun. Car les défis culturels de la méconnaissance, et politiques du recul du droit et économiques et écologiques du Marché-Monde, sont les mêmes pour tous, par-delà le degré d'acuité pour telle ou telle région. Puisqu'on ne peut ignorer ni les rencontres bénéfiques du passé, ni les incertitudes communes de notre époque, pourquoi ne serions-nous pas capables de nous penser aujourd'hui peuples euro-méditerranéens comme un nouveau creuset pour une culture universelle encore inédite? Cela est possible, reste à mettre fin à l'islamophobie et au déni de justice que subit le peuple palestinien. (*) Professeur des Universités www.mustapha-cherif.com