Les Jeux Olympiques sont un rassemblement sportif quadriennal planétaire extraordinaire et engagent d'immenses enjeux économico-politiques. Le retrait de Steven Spielberg, comme conseiller pour les cérémonies d'ouverture et de clôture des J.O. de Pékin s'analyse comme un signal politico-médiatique fort contre la Chine. Spielberg a été accueilli à Pékin, il y a trois mois, comme un véritable chef d'Etat. Sa décision de rejoindre ceux qui accusent la Chine de bafouer les droits humains tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières semble avoir quelque peu dérouté les autorités chinoises. Le président du C.I.O. réagira, bien avant les autorités chinoises, pour souligner que «l'absence de Spielberg ne nuira pas à la qualité des Jeux» et que «le C.I.O. est une association sportive non politique». Il est vrai que toute autre position de sa part aurait débouché sur ‘‘pourquoi avoir choisi Pékin pour 2008''? La Chine, par une déclaration du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, «ne souhaite pas voir un tel événement attendu par le monde entier perturbé par des problèmes politiques. C'est contraire à l'esprit olympique». Oubliant le rôle des USA qui ont poussé au boycott des Jeux de Moscou en 1980 par une cinquantaine de pays, dont notamment la Chine, le Canada et l'ancienne République fédérale d'Allemagne, le président Bush a réagi rapidement en annonçant: «Je vais me rendre aux J.O. de Pékin. Je considère les J.O. comme un événement sportif». Il convient de signaler que la décision de Spielberg prend le relais des critiques de huit anciens prix Nobel de la Paix dont le prélat sud-africain Desmond Tutu et Roberta Menchu, figure emblématique et autorité morale en Amérique latine, de Reporters sans frontières, de Team Darfur, créé par des athlètes d'une douzaine de pays et d'artistes fort connus comme Mia Farrow. Des Jeux de Berlin en 1936 à ceux de Pékin en 2008, les Jeux Olympiques n'ont jamais cessé de baigner dans la géopolitique. Aucune profession de foi ne peut masquer cette réalité. L'environnement géopolitique des J.O., une réalité Quelques exemples méritent d'être rappelés: commençons par la vive réaction d'Avery Brundage, ancien président du C.I.O. contre Tommie Smith et John Carlos, deux athlètes américains, après leur salut des Black Panthers lors des J.O. de Mexico en 1968. Le même Avery Brundage, connu pour ses propos racistes, ira jusqu'à déclarer que «les Jeux de Berlin avaient été les plus beaux de l'histoire moderne». En 1968, huit jours après l'ouverture des Jeux de Mexico, une manifestation d'étudiants se solda par trois cents morts. Lors du congrès du C.I.O. à Neuchâtel, en novembre 1975, Juan Antonio Samaranch, président du C.I.O., déclare «nul doute que les compétitions sportives, et en particulier les Jeux Olympiques, reflètent la réalité du monde et constituent un microcosme des relations internationales». En 1976, 22 pays africains quittent les Jeux de Montréal par solidarité avec le peuple sud-africain. En 1980, les USA, la Chine, le Canada et l'ancienne RFA et une cinquantaine de pays décident de boycotter les Jeux de Moscou en représailles à l'intervention soviétique en Afghanistan. Comment oublier l'image du perchiste polonais fêtant sa médaille d'or, aux J.O. de Moscou, par un bras d'honneur lourd de sens. En 1984, l'ex-URSS et l'ancien bloc de l'Est, à l'exception de la Yougoslavie et de la Roumanie, décident de ne pas participer aux Jeux de Los Angeles. Durant ces dernières décennies, le sport est devenu un phénomène universel. Les manifestations sportives des J.O. sont retransmises dans le monde entier. Cette mondialisation de l'image sans pareille, les immenses enjeux économiques et politiques dans lesquelles baignent les J.O. aiguisent les contradictions et les tensions. Le spectacle sportif, forme moderne des Jeux, est devenu, avec l'internationalisation des médias, l'un des moyens dominants de la communication de masse. Il contribue à façonner l'opinion publique mondiale. Cet enjeu ne peut s'analyser qu'en tenant compte des relations complexes unissant le sport, les médias et les firmes multinationales. La couverture médiatique des J.O., la visibilité sans pareille du pays organisateur ne pouvaient échapper à l'attention des uns et des autres. Le régime chinois le savait et comptait, comme tous les pays organisateurs précédents, faire étalage de sa réussite durant ces Jeux. Il est inévitable que les Etats, tous les Etats politisent les J.O. et que les entreprises sponsors pensent d'abord à leurs intérêts. Cette réalité a maintes fois infirmé le principe de candidatures au niveau des villes et non pas national. La décision de postuler à l'organisation des J.O. est un acte politique important. Le choix de la ville organisatrice est également une décision politique importante tant au niveau national qu'international. Qui peut croire que la candidature et la désignation de Pékin n'étaient pas en elles-mêmes un acte politico-économique? Un caractère politique auquel il convient d'ajouter le rôle, parfois déterminant, des sponsors principaux du C.I.O. tels que Nike, Coca-Cola, McDonald's, Général Electric, Visa, Kodak, Volkswagen, les titulaires des droits de diffusion, etc. La mondialisation des événements sportifs est bien antérieure à celle de l'économie. Argent, corruption et dopage Mais, depuis le début des années 1980, sous la pression d'enjeux commerciaux de plus en plus élevés et de lobbies des plus actifs, cette mondialisation est devenue synonyme de multiples dérives, argent, corruption, dopage, commerce des jeunes talents, sur-compétitions, sophistication et gigantisme des installations, déréglementation...autant de phénomènes qui atteignent progressivement l'ensemble des niveaux et des pratiques, mettant gravement en danger l'éthique sportive. Comment stopper une telle dérive? Peut-on imaginer une mondialisation du sport qui échappe aux logiques de la concurrence économique? Doit-on se doter de nouvelles règles internationales pour préserver l'éthique sportive? Quelles relations doivent guider sport et politique? C'est là un débat de fond extrêmement important qui mérite d'être abordé avec franchise et sérénité: dans toute sa globalité. Il importe de soutenir les Jeux Olympiques et les grandes manifestations sportives internationales. Il n'est pas de meilleur moyen de le faire que de veiller à ce que ces manifestations demeurent, dans leur préparation, leur organisation et leur déroulement, fidèles aux principes de la Charte Olympique. C'est là un débat d'une très grande importance; il faut souhaiter qu'il soit repris par toutes ces éminentes personnalités et les défenseurs des droits humains qui, ainsi, pourront contribuer, grandement, au renforcement de l'humanisme sportif. La décision de M.Spielberg semble annoncer une opération médiatique d'envergure. Attendons pour mieux comprendre s'il ne s'agit pas d'une sorte de remake des J.O. de Moscou et de Los Angeles. (*) Ancien responsable de l'éducation préventive et du sport à l'Unesco, Expert international.