Qu'est-ce qu'un critique et comment critiquer surtout? Vaste débat sur ce sujet qui a réuni un ensemble de spécialistes arabes et étrangers, les 26 et 27 février derniers, à l'hôtel Sheraton... «La critique d'art et plus particulièrement adapté à la télévision et au cinéma» a été le thème d'un symposium entamé mardi matin à l'hôtel Sheraton et devant se clôturer hier. Plusieurs invités arabes et internationaux ont été conviés à prendre part à ce séminaire devant un parterre de gens des médias, du cinéma et d'étudiants en communication. «La critique est-elle une science ou un art» est le premier axe débattu lors de l'ouverture officielle mardi, notamment par le docteur Rafik Al Saabn de Syrie. Mohamed Bensalah, enseignant à l'Institut des sciences de l'information et de la communication, l'Institut des arts, lettres et langues (sémiologie de l'image) à l'université d'Oran et à l'Institut des arts, lettres et langues (Master-Cinéma) à l'université de Mostaganem et chercheur au Crasc, expliquera, pour sa part, comment développer le sens critique et faire naître une vraie critique. Pour notre conférencier, il s'agit, d'emblée, de «comprendre une oeuvre d'art, critiquer sa construction, sa rationalité avec la pensée, car expliquer les mécanismes de sa création, n'est pas à la portée de tout le monde. Le critique a pour tâche de signifier, d'expliquer et non d'être pour ou contre une création ou un créateur. La critique reste une discipline qui fait appel à des habiletés et à un grand savoir qui demande moult labeurs et heures de travail». Et de relever: «A l'heure actuelle malheureusement, le métier est dévalorisé. Les médias ne cessent de propulser des critiques autoproclamés qui ne sont, en fait que des publicistes. Les plumes acides, les critiques acerbes et sans fondement, sont tout autant nuisibles que les textes complaisants et les louanges inconditionnelles. (...) Le critique se doit d'informer, c'est-à-dire de prévenir le spectateur éventuel d'un fait artistique». Or, avoue-t-il en prenant le cas des cahiers du cinéma, force est de constater le parti pris de certains critiques qui cassent sciemment certains films car ils ne rentrent pas dans leurs critères ou sous l'influence des préjugés. Il reconnaît après que le critique d'art «vit par nature entre l'information et le jugement de goût». Il s'agit, en effet, de faire appel à sa culture de cinéphile, mais aussi d'analyser un film en le déconstruisant en plusieurs éléments et à le reconstruire à la fin et ce, tout en restant objectif en vue de former le goût du spectateur et la culture de l'amateur. S'agissant de la critique de la télé, celle-ci est loin d'être idéale ou même satisfaisante. «On peut dire qu'elle cherche toujours sa voie, en attendant la création d'institution à même d'organiser le métier», soulignera-t-il. Et de conclure: «Le projet d'un critique ne doit pas imposer une opinion, mais éclairer le spectateur. La chance que je vais voir un film est plus grande quand j'ai lu deux critiques se contredire, car cela me provoque à former mon jugement.» Abondant dans le sens, le critique de cinéma marocain Mohamed Chouika s'attellera, quant à lui, à définir ce qu'est critiquer, en se demandant si la critique cinématographique est la première impression ou une deuxième lecture du film. Il est clair que pour lui il faut dépasser l'impression qui se nourrit de sensations et de réactions psychologiques pour aller au fond du sujet qui, cependant, peut prendre deux directions: la critique libre et celle dirigée qui tend à traduire les intentions du réalisateur. Au-delà des considérations mercantiles de certaines revues de cinéma qui prétendent faire de la critique mais plutôt de la promotion et tel ou tel film à partir d'une star, il convient pour Mohamed Chouika de faire la part des choses afin de déceler le vrai travail d'un cinéaste en décortiquant son film sur des bases objectives. Enfin, pour Olivier Barlet, critique de cinéma français et spécialiste dans le cinéma africain, sa communication portera essentiellement sur la critique cinématographique africaine face au regard de l'Occident. Pour lui «si les critiques africains tiennent à se regrouper en association, c'est bien s'ils se sentent terriblement isolés». M.Olivier Barlet brossera un tableau assez désolant de la situation du cinéma en pays africains, et partant, du manque de salles de cinéma et de politique de soutien au 7e art. Cela pousse aussi les journalises africains à moins s'intéresser à la culture dans les journaux. La plupart sont aussi de simples journalistes non spécialisés comme c'est le cas en Algérie, faut- il le noter. Un ensemble de témoignages étayera l'argumentaire de notre critique qui rapportera différentes manières de critiquer selon un groupe de journalistes africains et plus particulièrement maghrébins. Il sera questions de langage ordurier pour critiquer tel ou tel film ou au contraire, de faire l'éloge d'un réalisateur pour paraître un bon critique à ses yeux...Que des vérités hélas, qui s'appliquent aussi en Algérie. Certains dénoncent carrément «l'indigence de la culture cinématographique». C'est pourquoi l'Association Africiné existe, explique Olivier Barlet: «Pour le Nord, parce qu'il s'agit de lutter contre la méconnaissance et les clichés qui réduisent et dévient la compréhension des cinématographies africaines. Pour le Sud, pour toutes les raisons évoquées mais aussi l'inscription africaine dans le grand dialogue mondial de l'écriture sur le cinéma». Il finira enfin sa communication en faisant appel à cette citation de Godard: «Il faut que l'oeil écoute avant de regarder», et comme disait le critique Jean-Louis Bory: «Le cinéma c'est comme l'amour, il est beaucoup plus que ce qu'il est.» Plusieurs interventions ont également émaillé ce séminaire à l'instar de celle du réalisateur et président de l'Arpa (Association des réalisateurs professionnels) Belkacem Hadjdaj, qui fera remarquer, à juste titre, que l'éducation à l'image commence dès l'école. D'autres regretteront que certains critiques confondent critiquer et dénigrer...Un vaste débat en somme!