«Il n'y a pas de cinéma sans création. Le réalisateur doit y apporter une certaine vision poétique, humaine et personnelle à déceler par le critique». Il est critique spécialiste en matière de cinéma africain et membre de Africultures, une revue généraliste sur les cultures africaines. Il était invité récemment, à animer un atelier sur la critique cinématographique, au Festival du film amazigh qui s'est tenu à Tlemcen du 11 au 15 janvier. Olivier Barlet nous renseigne sur la véritable mission du critique et nous parle de la nécessité de créer, en Algérie, une association des critiques de cinéma qui serait affiliée à la Fédération internationale de cinéma presse de la critique (la Fipresci). L'Expression: Pourriez-vous vous présenter brièvement? Olivier Barlet: Je m'appelle Olivier Barlet, je suis critique de cinéma, je suis président d'une structure qui s'appelle Africultures qui est à la fois une revue généraliste sur les cultures africaines et un site Internet www.Africultures.com qui fait référence en France ou dans le monde francophone aux sujets d'expression artistiques africains contemporains. Pourriez-vous nous parler de l'atelier que vous animez ici dans le cadre du Festival du film amazigh à Tlemcen? On m'a demandé de venir en tant que critique qui travaille particulièrement sur les cinémas d'Afrique, pour apporter un éclairage sur la critique, une formation qui se répercute de festival en festival et qui, jusqu'à présent, est axée sur la technique de l'image, sur la réalisation etc. Vous déplorez, en fait, le manque de critique du Sud vers le Nord... Il y a des critiques partout, tout comme il y a des médias partout. Le problème est une question de visibilité. C'est-à-dire un des rôles de la Fédération africaine de la critique cinématographique dans laquelle je suis impliqué avec la structure française, est de donner une visibilité à l'écriture du Sud et, bien sûr, d'avoir un processus de formation qui n'est pas l'instauration d'un savoir qui viendrait d'en haut, mais tout simplement un échange pour arriver à une synergie, pour se former les uns, les autres, pour se donner des éclairages et travailler ensemble sur les mêmes films, comparer nos papiers et faire, en sorte, qu'il y ait dialogue. Un dialogue qui est important dans le monde d'aujourd'hui, parce que si on est enfermé dans son petit coin, eh bien, on ne fait pas beaucoup d'effort. Par contre, si ce qu'on écrit est lu par un public plus large, international, eh bien, il y aura une certaine émulation. On fera plus attention à ce qu'on écrit. On va mettre le paquet pour que cela ait de la gueule et que ça tienne le choc. Finalement, d'après-vous, qu'est-ce que la critique? C'est la question qu'on a essayé de cerner durant quatre heures cet après-midi. Une question qui est complexe. J'ai essayé d'insister sur le discernement. C'est-à-dire que tout le monde peut être critique, peut avoir une opinion. Un citoyen dans une société responsable est appelé à avoir une opinion sur le débat public, sur les oeuvres qui lui sont présentées etc. Tout le monde peut être critique. Par contre, il y a des gens qui vont mettre un peu plus de forme. C'est-à-dire qui vont se poser beaucoup de questions au niveau culturel. Ils vont se former et pouvoir amener les éléments de la comparaison, donc connaître les oeuvres des cinéastes, passer leur temps finalement à lire des livres, à voir des films, à se poser toutes les questions correspondant à la question de l'image. Sans être des savants, parce qu'il n'y a pas de savoir critique a priori, mais c'est une culture personnelle. Ce qui fait que peu à peu, on fait les liens et qu'on apporte quelque chose à un lecteur. Qu'en est-t-il de la critique journalistique, alors? C'est un peu cela, en fait... Oui. C'est un peu cela toute la critique. Quand je parlais de discernement, c'est pour pouvoir dire: Tiens, dans ce film, une fois que j'en arrive à analyser les mécanismes, et de me demander quelle est la question que pose ce film et la pertinence de cette question dans le monde d'aujourd'hui, à ce moment-là, je me pose la question: y réussira-t-il? Le processus esthétique du film correspond-il à cette volonté du réalisateur? Quelquefois, il va aller à l'encontre de son propre discours, car il fait des erreurs. Le cinéma est un art difficile, de création. Ce n'est pas une application de règles de mathématiques. Il n'y a pas de cinéma sans création. C'est toujours une certaine vision. Celle-ci ne peut passer que si elle y émet une certaine part poétique et cela est profondément humain et personnel. C'est cette part poétique que la critique va essayer de mettre en avant, sachant que le poète n'est pas forcément quelqu'un qui est conscient de ce qu'il fait. Quand on discute avec des réalisateurs, très souvent, ils disent ne pas savoir pourquoi ils ont mis tel objet à l'écran. Le rôle du critique va être de décrypter cette intention et de montrer que ce réalisateur va beaucoup plus loin que son propre propos, qu'il y a une part invisible dans sa création qu'on peut contribuer à éclairer.. Je crois savoir que vous avez l'ambition, avec Tahar Houchi, journaliste algérien qui évolue à Genève, de lancer une association des critiques de cinéma en Algérie. Peut-on en savoir plus? Ce n'est pas notre intention à proprement parler. C'est une invitation. Nous deux, nous faisons partie d'une fédération africaine de la critique de cinéma qui est un processus qui nous réjouit et où on aimerait bien que l'Algérie y soit présente. La Tunisie et le Maroc sont présents pour le Maghreb, des pays de l'Afrique noire notamment. C'est en train de s'élargir dans tous les sens. Ça s'ouvre à la zone anglophone aussi. La destination est de structurer, bien sûr, cette visibilité d'une écriture du Sud dans les médias internationaux et dans l'écriture sur le cinéma dans le monde, de faire partie aussi de la Fédération internationale de la critique de cinéma (Fipresci). Tout cela est bien pour qu'il y ait une visibilité et une importance, et je dirais même un contrepouvoir, quelque part, parce que quand on parle des films du cinéma mondial, et en particulier les films du Sud, c'est toujours les gens du Nord qui donnent le la. Ce serait bien qu'aujourd'hui, il y ait, peu à peu, des critiques du Sud qui émergent et donnent le la, aussi, dans une véritable égalité. Il y a un site Internet qui s'appelle africine.org qui comporte des centaines de textes déjà, une base de données sur le cinéma avec plus de 2000 films. Tous cela est un début de démarche. La Fédération a été créée en 2004, à Tunis, au moment des journées cinématographiques de Carthage, avec des délégués des différents pays. Tout cela se structurera peu à peu. Cette étape de structuration se passe dans chaque pays, c'est-à-dire que les pays puissent agir en tant qu'association nationale pour pouvoir faire partie, juridiquement parlant, de la Fipresci, de la Fédération panafricaine aussi. Cela signifie également un travail associatif, en commun. Au sein de la fédération, par exemple, nous avons une production de contenus. On fait des dossiers pour le site Internet qui portent sur de grands sujets, notamment la violence au cinéma, la reconstitution historique au cinéma. Le prochain sujet portera sur la télévision et le cinéma, ensuite ce sera cinéma d'auteur/cinéma populaire...Il faut que chaque pays puisse analyser ses propres cinématographies dans ce sens pour apporter sa vision actuelle et faire, peu à peu, une documentation, parce qu'écrire sur le cinéma, c'est important. Un art n'existe pas s'il n'y a pas cette écriture qui l'accompagne.