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«Voilà pourquoi je ne participe pas»
Cris de colère de deux intellectuels algériens YASMINA KHADRA
Publié dans L'Expression le 17 - 03 - 2008

Invité à donner son opinion sur le Salon du livre qui se tient à Paris, consacré à Israël, «l'invité d'honneur», l'écrivain algérien Yasmina Khadra nous a fait parvenir un texte que nous publions ci-dessous. Avec son franc-parler habituel, le directeur du Centre culturel algérien à Paris, met les points sur les «i» et appelle un chat, un chat.
«Je ne vais pas au Salon de Paris. Pour des convictions intimes. Rien à voir avec la décision des gouvernants arabes, tonitruante et grossièrement insidieuse. Les gouvernants arabes, c'est connu: ils crient sur les toits leur indignation et baissent le pantalon dans les coulisses. Ils sont à l'origine de tous nos malheurs. C'est parce qu'ils n'ont jamais rien foutu que nos nations reculent, et nos intellectuels se "prostituent" avec zèle sur la place publique. A mon avis, ils feraient mieux de retourner à leur harem et à leur séance de massage que leur prodiguent avec dévotion leurs armées d'eunuques. La décision des gouvernants arabes me donne autant envie de vomir que le discours crétin de Shimon Peres à l'inauguration du Salon de Paris. Ce dernier me réconforte dans ma décision de ne pas participer à cet événement, à ce rendez-vous gâché. En traitant les écrivains arabes "d'ignares", de "scélérats", et en qualifiant leur absence d'"autodafé", allusion faite à l'autodafé nazi, Shimon Peres prouve, qu'effectivement, le Salon est politique, et non littéraire. Sa diatribe menaçante est aux antipodes de la vocation d'un rendez-vous littéraire. Il entend ainsi sanctionner les écrivains récalcitrants, qui seront exclus médiatiquement et, ainsi, brisés dans leur carrière littéraire. Une pratique ordurière, assez courante de nos jours, et sans laquelle 99% des écrivains arabes présents au Salon l'auraient boudé. Mais, souvent, les ambitions sont plus fortes que la dignité. Pour ces gens-là, qui décident de tout, qui font et défont les idoles, qui ont le pouvoir d'élever un charlatan au rang de prophète et de ramener un génie à ras la boue, nous n'avons pas le droit de disposer d'une conscience, encore moins d'une dignité. Nous avons le choix entre deux attitudes: ou être des bougnoules de service, prompts à renier nos valeurs, notre religion et nos nations; ou nous sommes qualifiés de scribouillards de régime. Pour eux, il est inconcevable qu'il y ait des écrivains arabes tout simplement libres, sincères, intègres. La preuve, des journalistes parisiens ont trouvé ma décision "décevante", "instrumentalisée par le Pouvoir algérien" puisque, désormais, je suis le "très officiel directeur du Centre culturel algérien".
C'est cette malhonnêteté intellectuelle dont bénéficient certains journalistes qui me navre. Et me donne aussi la force de demeurer l'homme à principes que je ne cesserai jamais d'être. Je leur ai dit: ma carrière littéraire dépend de Paris et non pas d'Alger. Si j'étais un corrompu, j'aurais naturellement cédé aux pressions des médias parisiens, puisque Alger ne peut ni me protéger ni doper ma verve d'écrivain. Le vrai courage est justement de ne pas plier sous les contraintes éditoriales. Ma décision de ne pas me rendre au Salon de Paris est saine, sans haine et sans subterfuge.
Pour moi, la culture est un territoire de partage et de respect. Il est l'un des rares espaces de liberté et de tolérance, de fraternité et d'admiration mutuelle qui nous reste. Par conséquent, il est impératif de le préserver des manoeuvres politiciennes qui ne sont que récupération, manipulations et trahisons. La politique est une toxine corrodante; elle ronge jusqu'au coeur des hommes. C'est pourquoi je m'interdis de me prosterner devant elle. Je suis un écrivain libre. Je me suis construit seul, au milieu de toutes sortes de chahut.
Lâché par les miens, harcelé par les autres, je reste debout. C'est uniquement de cette façon que j'existe. Je ne suis ni le chiot apprivoisé du Pouvoir, ni l'Arabe de service du sionisme. Je suis ma propre conscience, et je n'ai jamais fait quelque chose contraire à mes principes. Je suis au Centre culturel pour servir la culture de mon pays. Ni plus ni moins.
Le jour où l'on me verra cautionner une saloperie, soutenir une démagogie criarde, fermer les yeux sur une énormité, ce jour-là, on aura le droit de me traiter de tous les noms. Pas avant.»
Amitiés.


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