«Je suis en train de réaliser un film sur les problèmes de censure, que j'ai pu rencontrer dans ma vie et de dénoncer les gens qui ont essayé d'empêcher de voir naître mes films...», nous a-t-il confié. Exister ensemble est le leitmotiv, le voeu pieux de cet homme de 80 ans, ce grand cinéaste de combat qu'est René Vautier qui compte dans son palmarès plus de 180 films. Son engagement pour l'Indépendance de l'Algérie lui vaudra d'être emprisonné en France, mais qu'importe. Aujourd'hui, on se souvient encore de Une nation, l'Algérie 1954, L'Algérie en flammes - 1958, Un peuple en marche, film qui fait un bilan de la guerre d'Algérie en retraçant l'histoire de l'ALN et qui montre l'effort populaire de reconstruction du pays, après l'Indépendance, en 1963, Avoir 20 ans dans les Aurès, avec Alexandre Arcady, Yves Branellec, Philippe Léotard. Cet humaniste s'engagera aussi dans la lutte contre le racisme en France, l'apartheid en Afrique du Sud, l'extrême droite française et pour le combat en faveur des femmes, pour la Bretagne, sa région natale, etc. Que des causes justes dont ce papy de la Résistance doit être fier. Aujourd'hui, René Vautier n'aspire qu'à une chose, rassembler tout ce patrimoine cinématographique, éparpillé çà et là pour le restituer et le faire partager aux siens. Infatigable, l'homme prépare aussi un nouveau projet. Ecoutons le maître L'Expression: On célèbre aujourd'hui l'événement grandiose qui rappelle les 68 films réalisés dans le cadre d'«Alger, capitale de la culture arabe 2007». Vous qui êtes l'un des pionniers à avoir contribué à la naissance du cinéma algérien de la Révolution de 1954, dites-nous un mot sur votre présence ici? René vautier: J'ai été très content d'être invité, parce que ça me rappelle un tas de souvenirs. Je retrouve des amis dont j'ai assisté les premiers pas dans le cinéma. Je me sens dans la peau d'un vieil instituteur qui retrouve un peu les élèves qu'il a pu former et qui sont maintenant plus forts que lui... Quelle évaluation faites-vous de cet événement? Pour moi, c'est peut être l'amorce d'une renaissance parce qu'on a laissé, il faut le reconnaître, disparaître le cinéma algérien et avec des gens qui continuent à se battre pour le maintenir, j'espère que ces gens-là maintenant vont former des jeunes et que les propos de Mme la Ministre lorsqu'elle affirme qu'«on va se baser sur l'avenir, en poussant les jeunes», vont se réaliser. Je crois que c'est une action absolument nécessaire pour l'Algérie, pour le reflet, à la fois des efforts de l'Algérie, à l'intérieur aussi bien pour faire connaître ces efforts qu'à l'extérieur, en faisant connaître la vie des gens, non pas pour faire de la propagande, simplement, pour montrer qu'ils existent et qu'ils sont fiers d'exister ensemble. Je crois que c'est formidable cette perspective-là. Encore faut-il qu'elle se réalise. C'est bien qu'il y ait des gens qui plantent aujourd'hui pour qu'il y ait des arbres et des fleurs demain sur les écrans. Justement, il y a un accord de coopération entre l'Algérie et la France. Dans quelle mesure, vous, en tant que grand cinéaste, pourriez-vous donner un coup de main à cette nouvelle génération? Je crois que j'ai essayé plutôt de faire des films qui pouvaient être utiles. Certains ont été primés dans les festivals, l'endroit où je me sens le plus à l'aise pour regarder par-dessus mon épaule. Dans la religion, en Islam, on regarde l'ange par-dessus l'épaule droite et l'épaule gauche et là, quand je regarde devant moi, je suis content de voir l'avenir du cinéma algérien d'après ce que j'ai entendu dire. Ce qui prouve que ce qu'on a semé ici, moi Breton et les amis algériens auprès desquels je me suis retrouvé, montre les images de leur lutte, que ce soit au maquis, en Algérie ou que ce soit ensuite, au Centre de formation de Ben Aknoun ou quand ils m'ont demandé de revenir. Moi je faisais mon cinéma à moi, en Bretagne, mais cela me faisait toujours plaisir de revenir ici et j'espère que demain, effectivement, de part et d'autre de la Méditerranée, entre des gens qui ont la même optique de l'avenir, il y a encore des tas de choses à faire, en particulier des films. Que fait en ce moment René Vautier? René vautier a 80 ans. Il s'est remis, quand on lui annoncé qu'il allait avoir une opération difficile, due à un cancer de la gorge, à ce moment-là, il s'est dit: «bon sang, le Larousse du cinéma dit que j'ai fait 180 films. Comme ces films sont comme des coups de poing contre l'injustice et qu'ils sont un peu éparpillés, alors, je me suis dit qu'il faut encore que je prenne le temps maintenant de les retrouver et de les déposer dans une cinémathèque, la plus proche de chez moi en Bretagne». Il y a aussi des films qui sont ici en Algérie dont je suis fier pour y avoir contribué et je voudrais aussi qu'il y ait des exemplaires de ces films à la cinémathèque de Bretagne pour que les Bretons puissent voir un cinéma d'ailleurs. Je crois le fait d'avoir lutté et continuer à me battre en me disant «tu n'as pas fini ton temps, il faut essayer de retrouver ces films et remettre en ordre ce que tu as fait», ça m'a permis de vaincre le cancer. Maintenant, il y a d'autres problèmes qui se posent dans ma tête. Là aussi, j'essaie chez moi en faisant un film qui permet de dénoncer les adversaires de l'utilisation du cinéma dans un but de fraternité. A tous ceux qui se sont battus contre ça, je veux maintenant, non pas méchamment montrer qu'ils se sont trompés, mais je pense, aujourd'hui, que cela va me permettre de travailler pour sauver les idées qu'il faut aujourd'hui consolider. Et puis montrer aussi à quel point, hier, on a pu faire des choses ensemble et que sur ce chemin-là peut-être qu'il faut continuer au moment où côté français, on est en train de se replier sur une Europe et de laisser tomber les gens des pays qu'on a contribué à appauvrir pendant longtemps par le colonialisme. Maintenant, il y a des choses à faire, ensemble, entre gens de bonne volonté. Vous avez donc un projet de film... Oui, je suis en train de réaliser un film sur les problèmes de censure que j'ai pu rencontrer dans ma vie. Tous les combats qu'on a menés en France contre la censure, nous ont permis de gagner des points contre l'imbécilité, contre la haine et pour la compréhension entre les gens et entre les peuples. J'essaie de le montrer pour que cela ne soit pas perdu. Je suis venu en Algérie parce qu'il y a des éléments des choses que j'ai tournées et que j'aimerais intégrer à la cinémathèque de Bretagne en y apportant une copie. C'est un complément que je ne renie pas du tout, au contraire. Je voudrais non pas construire un monument mais essayer de boucher les trous d'une vie en montrant aussi les images que j'ai tournées ailleurs qu'en Bretagne. L'endroit où peut-être j'ai l'impression d'avoir été utile sur le plan de la compréhension, en voyant le résultat et les amis. Ce sont des amitiés qui sont nées dan un travail en commun. J'essaie de garder les images qu'on a pu tourner ensemble. Aussi, dénoncer les gens qui se sont opposés à ces images. Voilà, j'ai 80 ans. Il me reste encore quelques années pour regrouper tout ça et j'essaie de le faire. J'ai fait des films qui m'ont fait condamner en France, parce que c'étaient des films anticolonialistes, au moment où le pouvoir français était un pouvoir colonial. J'ai fait des films pour dénoncer cette oppression coloniale, aussi des films sur le monde du travail, des films contre les guerres, des films aux côtés des Palestiniens, aux côtés des travailleurs immigrés. Aujourd'hui, j'essaie de regrouper tous ces morceaux parce que c'est toujours difficile de conserver ce genre de films de combat. J'essaie de dénoncer aussi, en regroupant ces films-là, les gens qui ont essayé de les empêcher de naître. Voilà, une bonne fin de vie, honorable, je crois.