Quelques épisodes du feuilleton “Darna lakdima” de Lamine Merbah, qui passait sur la chaîne A3, ont été censurés. Dans cet entretien, le réalisateur outré par cette censure, balance beaucoup de vérités qui vont certainement faire grincer des dents. Liberté : Direct au but, Lamine. Votre feuilleton Darna lakdima est programmé à une heure impossible (23h30), alors que certaines sitcoms de moindre envergure squattent le prime time. Votre réaction ? Lamine Merbah : J'ai fait un film qui a eu l'aval de la commission, après avoir réalisé le feuilleton, comme c'était convenu, et travaillé avec des acteurs algériens qui ont vraiment participé et aimé le scénario. Le film n'était pas du goût de tout le monde, et le budget reçu était inférieur : autant de signes révélateurs qu'on voulait me dissuader de produire ce feuilleton. Les acteurs ont eu des cachets inférieurs à ceux qu'ils touchent habituellement, chose qui ne les a pas découragés de travailler avec moi. Le film traite des sujets d'actualité et des problèmes de société, comme la repentance, laquelle, semble-t-il, dérange et c'est pour cela que le film est diffusé à une heure aussi tardive de la soirée et, avant le film, les émissions qui sont diffusées incitent le téléspectateur à changer de chaîne. Pour moi, ça va être peut-être la dernière fois que je réalise un film et je refuse de me taire. Je ne suis pas en train de faire du tapage. Si je sors de mon silence aujourd'hui c'est qu'on a censuré un film. Que restera-t-il aux générations futures. Si un jeune veut s'élever et contester la censure on lui dira qu'on a censuré Lamine Merbah et il n'a rien dit, alors vous ! Il aurait pu me dire de retravailler certaines scènes, j'ai bien enlevé 30 minutes du film, soit un épisode, le film contenait 15 épisodes au début. Les premier et deuxième épisodes ont été censurés et le 3e carrément zappé, quand j'ai voulu savoir les raisons du passage du 2e vers le 4e épisode, le directeur de l'ENTV m'a expliqué que c'était une erreur du responsable d'antenne et qu'il allait être sanctionné. J'ai cru à ses propos, mais comme j'ai vu que l'épisode ne passait pas et qu'en plus au 5e on avait censuré les 5 minutes les plus importantes : au moment où des syndicalistes étaient réunis et discutaient de l'avenir de l'entreprise et des problèmes que vit l'Algérie. Dans son intervention l'un des syndicalistes déclare : “Vous avez bafoué la Constitution, vous n'avez rien laissé au peuple…”, À cette instant, j'ai tout compris. Ils n'ont qu'à mettre un carton rouge, peut-être mon film porte des scènes pornographiques. De plus, c'est la première fois qu'on me censure un film, même pendant le parti unique. Aujourd'hui où l'Algérie se targue d'être un pays démocratique où il y a le multipartisme, des créateurs sont censurés. Une appréciation alors sur la programmation et le choix des feuilletons retenus ? Les programmes diffusés à la Télévision algérienne en prime time sont de qualité médiocre, enfin moi je ne veux pas débattre ce sujet, car je vais être accusé de vouloir critiquer et je ne suis pas là pour cela, je pense que le public est juge. De plus les personnes qui regardent l'ENTV sont des personnes appartenant à la couche modeste de la société, c'est pour cela que j'ai toujours fait des films qui s'adressent à cette population et qui traitent de la réalité de la vie de ces personnes. Dites-moi, qui va s'intéresser à l'histoire d'une femme qui se réveille du coma après 10 ans ou d'un film qui tourne autour d'un homme qui a perdu une valise pleine d'euros. Depuis que Hamraoui Habib Chawki dirigeait l'ENTV, la télévision a endormi le public. Elle l'a dopé. Le public de l'ENTV est un public ordinaire qui vit les problèmes que connaît la société algérienne et nous, nous traitons des préoccupations de ces gens, alors faut pas nous censurer. Le travail que je fais est vu par des personnes qui savent lire et ceux qui ne savent pas, ceux qui veulent lire et ceux qui ne veulent pas lire. Avez-vous l'impression que la télévision veut se débarrasser des anciens pour faire de la place aux jeunes et aux “amis” ? Depuis 10 ans, HHC a verrouillé la télévision chose qui a poussé les professionnels du métier à quitter le navire bien qu'ils aient contribué à sa réalisation. Les réalisateurs des années 70-80 ne signent plus, de même que les jeunes n'ont pas accès au métier. La télévision est ouverte seulement aux gens qui font un travail qui ne dérange pas. Avant, les réalisateurs travaillaient plus librement, même s'ils ne disaient pas les choses de manière directe. Aujourd'hui, tout est censuré même les vacances de l'inspecteur Tahar. Le film faisait plus de 2h il n'en reste que 1h30. Avec cette politique comment voulez-vous que des gens travaillent ? Concernant mon film et pour avoir le ok pour pouvoir le produire, j'ai dû menacer HHC de monter sur scène le jour de la cérémonie du Fenec d'or et tout déballer en public. Ce n'est qu'à cette condition que j'ai pu avoir gain de cause. Des films ont été produits avec l'aide du ministère de la Culture dans le cadre du Panaf et d'Alger capitale de la culture arabe. Pourquoi ne les voit-on pas sur le petit écran faute d'absence de salles de cinéma ? Les films réalisés durant la manifestation d'“Alger capitale de la culture arabe” ne seront peut-être jamais diffusés. Mouzaoui a été censuré. Son film ne portait aucun message, il parlait d'un conte amazigh. Je suis sûr que ce n'est pas un problème de langue mais que les responsables au niveau de la télévision vont décrypter des connotations et des fonds philosophiques et comme ils sont susceptibles, ils censurent. Le même sort a été réservé à Hadjadj. Le plus grave est que la censure est au niveau de la télévision, car il n'y a pas de censure officielle sinon on aurait eu vent de la présence d'une commission de censure. Ce sont les directeurs de la télévision qui coupent les passages qu'ils jugent dérangeants pour éviter tout problème et assurer leur poste. L'Etat ne peut pas censurer des productions parce qu'il revendique être un Etat démocratique et populaire. Si aujourd'hui nous demandons l'ouverture du champ audiovisuel, c'est justement pour faire face à cette habitude de censure, ce sera la même chose que la presse écrite, ce que les journaux écrivent chaque jour est 10 fois plus percutant par rapport à ce que nous traitons dans nos feuilletons. Par ailleurs, je sais bien que l'ouverture du champ audiovisuel ne se fera pas du jour au lendemain et que ce sera comme pour la presse écrite, il a fallu qu'il y ait les événements d'octobre. C'est pour cela qu'il faut se battre pour atteindre cet objectif. Personnellement, je ne suis pas contre la critique, si on me dit que mon film est mauvais et qu'il faut le revoir, je suis prêt à le faire. Mais avant de juger le film il faut le voir dans son intégralité. A. O. et D. S.