«Quitter l'école relève de l'impossible. Je ne le ferai que si mes capacités intellectuelles ne me permettent pas d'atteindre mon objectif», a précisé une lycéenne. Des ambitions mais point de moyens. Qu'il neige, qu'il vente ou qu'il pleuve. Sous une chaleur torride ou un froid glacial, ils sont en éternelle attente. Ce sont plusieurs dizaines de lycéens et collégiens qui peinent à rejoindre leurs établissements respectifs. Tous les matins, comme des vieux maquisards, ils pointent devant un abribus. Des garçons timides, des filles voilées, les yeux baissés par pudeur, attendent le bus. Point de transport. Habitant des localités d'El Djamhouria, Souakria ou autres quartiers relevant de la commune de Meftah, ces collégiens donnent l'impression d'être des rescapés sur une île au risque de périr sans espoir de salut. Leur hameau est dépourvu de lycées et de CEM. L'établissement secondaire construit au cours de l'année écoulée à El Djamhouria n'a pas ouvert ses portes. L'attente risque de durer. Trop durer même. Le problème d'électricité a causé le retard, a-t-on appris de plusieurs témoignages recueillis. Sera-t-il opérationnel pour la prochaine rentrée scolaire? A cette question, nos interlocuteurs nous ont tourné le dos. Pour ces raisons, ces potaches fréquentent les établissements scolaires d'El Harrach ou de Oued Smar. Précisément à Beau lieu. Chaque matin, c'est le même scénario. Attendre le bus à quelques mètres des nuées de moustiques, des murs moisis et lézardés...et des effluves des eaux stagnantes. Sur une dizaine de lycéens interrogés, plus de la moitié souffrent de maladies respiratoires. Islam, inscrit en première année secondaire, imagine mal son avenir. Ses souffrances sont multiples. Gros comme un buffle, portant des vêtements vraisemblablement achetés dans des friperies, vivant dans un bidonville au milieu d'une famille nombreuse...Islam veut relever le défi. Il veut que sa réussite ne soit pas renvoyée aux calendes grecques. A l'instar de ce fils de pauvres, ils sont plusieurs dizaines de lycéens à vivre cette situation. «Je quitte notre domicile sans un sou en poche. Les receveurs de bus ne font pas preuve de pitié». «Il faut qu'un miracle vienne du ciel pour pouvoir être à temps», explique Anissa. Elle aussi, vit dans la pénombre. Ne voulant pas porter le hidjab, son frère aîné, Abdelhamid veut qu'elle quitte les bancs de l'école. Dans l'immédiat. Une épée de Damoclès pèse sur sa tête: quitter l'école ou porter le hijab. Dilemme! Au détour d'une longue phrase, Anissa soutient: «Quitter l'école relève de l'impossible. Je ne le ferai que si mes capacités intellectuelles ne me permettent pas d'atteindre mon objectif. Quant au hijab, il s'agit, à mon sens, d'une conviction personnelle.» Elle respire un bon coup comme si elle avait la tête plongée sous l'eau. La belle fille de Souakria qui n'a pas perdu en capacités ce qu'elle a gagné en raisonnement, elle les répète tel un leitmotiv. Elle fait de ces deux vocables un slogan. L'ensemble des lycéens et collégiens des deux localités sus-citées, sont-ils aussi brillants que leur camarade? Ont-ils un comportement ordinaire? Aux deux interrogations, une enseignante répond par la négative. «Ce sont des lycéens qui s'isolent une fois dans leur établissement. Les filles opposent leur niet de partager la même table avec un garçon. Leurs résultats sont au-dessous de la moyenne.» Et de poursuivre: «Certains d'entre-eux ont besoin d'un suivi psychologique.» Et le rôle de l'APC? «Elle brille par son mutisme. Nos sollicitations sont tombées à l'eau. On refuse même de nous recevoir», a tenu à préciser un quinquagénaire. Son salaire dépasse de peu le Snmg. Il est père de quatre enfants scolarisés. Deux collégiens et deux lycéennes. Leur domicile s'est avéré exiguë pour les contenir. Il se fait de plus en plus étroit, comme une peau de chagrin. Quant au département de la solidarité, «on n'a reçu que des promesses.» Ces souffrances quotidiennes ont engendré des conséquences incommensurables dans le comportement des lycéens et collégiens. «A son meilleur niveau, mon fils a quitté le lycée suite à des obnubilations. Des troubles psychiques...», regrette Ammi Ahmed. Que font ces potaches à la sortie des classes? Visiter des sites utiles sur Internet? Ils ne connaissent qu'un bout. Pratiquent-ils du sport? A Souakria ou à El Djamhouria, ces potaches jouent au football, font du jogging...malheureusement en côtoyant des tas d'ordures. Renvoyé pour des retards répétés, Walid a insisté pour voir le directeur de l'établissement. Il est accompagné de son père si affaibli que le bruit de sa mort a couru à maintes reprises. En vain. Ainsi est le quotidien de ces potaches qui peinent à rejoindre les bancs de leurs écoles respectives. Pour eux, ils ne demandent que le savoir. Une denrée, apparemment, rare en ces temps de misère.