L'ancien ministre et compagnon du défunt président Houari Boumediene consacre le second tome de ses mémoires à une période charnière de la construction de l'Etat algérien. Dans ce second tome de ses mémoires - dont la sortie est prévue pour la fin du mois courant à Casbah Editions - le docteur Ahmed Taleb-Ibrahimi revient essentiellement sur une tranche un peu particulière de sa vie publique et politique. Celle-ci a débuté au lendemain de ce qu'il est convenu d'appeler le «redressement» révolutionnaire du 19 juin 1965, et s'achève le jour du décès du président Boumediene, le 27 décembre 1978. Une période s'étalant sur treize ans, courte sans doute, mais combien riche en enseignements. C'est ce vécu en direct de cette période charnière de la construction de l'Etat algérien dont témoigne le Dr Taleb-Ibrahimi, également l'un de ses éminents acteurs. Comment pouvait-il en être autrement lorsque l'on a été aux avant-postes du façonnement de ce que, sans doute, l'auteur aurait voulu qu'il soit cet Etat de droit où les citoyens se reconnaissaient entre eux et dans leurs dirigeants. Il est patent que l'oeuvre du président Boumediene est demeurée inachevée. Mais ce n'est pas tellement ce cas de force majeure - le décès de Houari Boumediene après une courte maladie - qui retient l'attention de l'auteur que les tentatives de faire oublier Boumediene et son oeuvre. «Au lieu de ‘'rectifier'' ce que lui-même (le président Boumediene) aurait fait s'il était resté vivant, on a glissé vers une remise en cause globale de sa politique» écrit, non sans amertume, le Dr Taleb-Ibrahimi dans sa présentation de l'ouvrage. Il est patent que dans cet écrit le docteur Taleb-Ibrahimi tenait, dans ce tome II intitulé La passion de bâtir, à réhabiliter la mémoire du président défunt et faire rétablir l'oeuvre qu'il a laissée derrière lui. «Cet homme qui avait l'Algérie dans les tripes et un sens aigu de la justice sociale, qui a vécu sobrement, était d'une parfaite intégrité. Il n'a jamais accepté que ses proches profitent du pouvoir et il a quitté ce monde subitement, sans postérité et sans prospérités», témoigne le Dr Taleb-Ibrahimi qui a côtoyé le défunt président tout au long de son magistère. D'ailleurs, d'emblée, l'auteur affirme: «Ce second tome couvre mes souvenirs et expériences jalonnant la période qui fut parmi les plus riches et les plus exaltantes de mon existence». Il n'est certes pas toujours aisé ni évident de revenir sur la vie d'un homme de la stature de Boumediene - dont la jeune génération ne connaît que superficiellement le poids dans l'histoire récente de l'Algérie, quand celle qui l'a côtoyé (re)découvre, à la lumière des péripéties de la tragédie nationale, la grandeur de l'oeuvre du président défunt - ce que néanmoins le Dr Taleb-Ibrahimi, qui a été à plusieurs reprises ministre, relate avec un talent certain. L'auteur qui parle très peu de sa personne - il le fait surtout pour expliquer certains de ses choix - comme celui d'avoir accepté de rejoindre l'équipe de Boumediene au lendemain du «coup d'Etat» -, indique avoir eu «la conviction que cette date va marquer le début d'une ère nouvelle, qui mettra fin à une gestion anarchique du pays, miné par les luttes de clans, le dé-sordre et les graves dérives en matière de respect des droits de l'homme». Et l'ancien homme politique de souligner: «Cette conviction a constitué, en fait, une grande motivation dans mon acceptation de faire partie du premier gouvernement constitué après le 19 juin 1965.» Expliquant son parcours et quelques-unes de ses décisions, en tant que ministre de l'Education nationale, notamment celle combien sensible ayant trait à la question berbère, le Dr Taleb-Ibrahimi - qui explicite les conditions dans lesquelles il a nommé Mouloud Mammeri à la tête du Crape (Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques) - écrit: «Pour revenir au débat qui agitait le mouvement national au sujet de la dimension berbère de notre identité, je constate malheureusement qu'au lendemain de l'Indépendance, nous avons commis l'erreur de perpétuer le discours nationaliste basé sur le binôme arabité-islamité au lieu de revenir à notre trilogie identitaire.» En fait, au long des 522 pages de ce deuxième tome des mémoires du docteur Ahmed Taleb-Ibrahimi, il y a beaucoup de révélations et d'explications qui donnent visions et lumières nouvelles sur cette période-clé de l'histoire récente de l'Algérie qui a été occultée et noyée dans les non-dits. Ahmed TALEB-IBRAHIMI Mémoires d'un Algérien Tome 2: La Passion de bâtir Casbah Editions, Alger 2008