Le ton est monté hier entre les deux capitales au lendemain d'un discours vindicatif du président afghan. Hamid Karzaï avait revendiqué, en effet, le droit d'intervenir au Pakistan pour y détruire les bases-arrières des talibans, et après de récentes frappes américaines meurtrières. Islamabad a annoncé avoir fait part à l'ambassadeur afghan de la «protestation énergique» du Pakistan après les déclarations du président Karzaï. «Le Pakistan défendra sa souveraineté territoriale», a martelé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mohammed Sadiq. «Nous espérons qu'il ne s'agit pas d'une réédition du petit jeu qui consiste pour l'Afghanistan à se défausser de ses responsabilités en accusant les autres», a-t-il ajouté en évoquant les déclarations de M.Karzaï. Les deux pays voisins, alliés-clés des Etats-Unis dans leur «guerre contre le terrorisme», s'accusent régulièrement des maux qui les accablent: Kaboul estime qu'Islamabad ferme les yeux sur les repaires des talibans et d'Al Qaîda dans ses zones tribales du nord-ouest et leurs incursions en Afghanistan. En retour, Islamabad blâme Kaboul, mais aussi Washington, de ne pas être en mesure de vaincre les talibans, repoussant ces derniers au Pakistan à la faveur d'une frontière difficile à contrôler. Selon Islamabad, plus de 1000 de ses soldats sont morts parmi les quelque 90.000 déployés à la frontière depuis que la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis a chassé les talibans du pouvoir, fin 2001 en Afghanistan. En outre, la participation d'Islamabad à la «guerre contre le terrorisme» lui a valu récemment une vague sans précédent d'attentats qui a fait plus de 1100 morts en un peu plus d'un an dans tout le pays. La très grande majorité des chefs opérationnels d'Al Qaîda ont été capturés au Pakistan depuis le 11 septembre 2001, rappelle à l'envi Islamabad. Les éditorialistes et intellectuels pakistanais, mais aussi une frange importante des 160 millions d'habitants de la République islamique du Pakistan, ne tarissent pas de critiques à l'égard de Washington, estimant qu'ils n'ont pas à payer un tel prix humain pour «la sécurité des Américains»: «La guerre contre le terrorisme n'est pas la nôtre», lit-on sur de nombreuses banderoles ou dans les journaux. Le Pakistan reconnaît «clairement» la nécessité et le droit pour l'armée afghane et les forces internationales de «mener des actions militaires» en Afghanistan mais les troupes pakistanaises sont les seules à pouvoir le faire en territoire pakistanais, a martelé M.Sadiq. «Toute déclaration qui nie ce principe et ne respecte pas celui de la souveraineté territoriale est contre-productive dans la guerre contre le terrorisme», a conclu le porte-parole de la diplomatie pakistanaise. Dimanche, le Premier ministre pakistanais, Yousuf Raza Gilani, avait déjà prévenu qu'Islamabad ne «laissera personne interférer» dans ses affaires. «Au nom de la légitime défense, l'Afghanistan a le droit d'aller détruire les repaires de terroristes de l'autre côté de la frontière», avait affirmé, dimanche, M.Karzaï. Parallèlement, les relations entre Washington et Islamabad se sont également dégradées. Les Etats-Unis ont critiqué ces derniers temps le nouveau gouvernement issu des législatives du 18 février, parce qu'il négocie un accord de paix avec les talibans pakistanais, dont certains, proches d'AlQaîda, ont juré de poursuivre le «jihad» en Afghanistan. Depuis l'Afghanistan, l'armée américaine tire de plus en plus souvent, dans les zones tribales pakistanaises, des missiles visant, selon elle, des combattants talibans ou d'Al Qaîda. Jusque récemment, Islamabad ne protestait pas mais le nouveau gouvernement, opposé au président Pervez Musharraf, ne s'en prive plus. Dans la nuit de mardi à mercredi, des frappes américaines ont tué 11 soldats pakistanais dans les zones tribales.