«Le théâtre régional existe avec des difficultés mais aussi beaucoup d'espoir». Aller à la rencontre du théâtre parait chez nous, en ces temps de disette culturelle, une gageure. C'est vrai hélas que les fast-foods ont remplacé les bibliothèques et, pour certains de nos responsables et souvent pas des moindres, la culture est le dernier des besoins à satisfaire. Le peuple, un terme que l'on utilise à tort et à travers pour justifier souvent l'injustifiable, a d'autres besoins, selon certains. Une réplique qui se rapproche, qu'on le veuille ou non, de cette «philosophie» aussi morbide que mortifère, portée en bandoulière par les intégristes. Donc, aller à la rencontre des hommes et des femmes de culture n'est pas chose aisée, dit-on. Mais pour peu que l'on se décide à ausculter le pouls du pays, on apprend que ces gens existent, souvent cachés dans l'anonymat, mais ils sont là à travailler, à essayer de produire, souvent envers et contre tous, dans le dénuement total et qui fait mal au coeur. La rencontre avec Mme Fouzia Aït El Hadj, directrice du Théâtre régional de Tizi Ouzou, est l'un de ces moments qui revigore l'esprit et vous réconcilie avec le pays. Certes, la grande dame du théâtre nous reçoit dans un petit bureau prêté par la Maison de la culture Mouloud-Mammeri. Un lieu qui, malgré son exiguïté, respire l'effort, la convivialité et aussi l'espoir des lendemains meilleurs. Mme Aït El Hadj sourit en montrant son «palais», en fait, quatre murs avec vue sur mur. Tout cela dans l'attente d'intégrer son chez soi: le théâtre Kateb-Yacine au centre-ville, un lieu en pleine réhabilitation et qui est promis pour fin juillet, du moins pour la partie bloc administratif. Entourée d'un homme de culture et une des chevilles ouvrières du Théâtre régional de Tizi Ouzou, un ancien compagnon du théâtre katébien, M.Aït Mouloud, Mme Fouzia Aït El Hadj nous fait part de ses problèmes, elle rectifie d'ailleurs en disant plutôt handicaps, et de ses espoirs, et les espoirs sont beaux car elle rêve de faire du théâtre de Tizi Ouzou, une étoile rayonnant sur la région et le pays. Belle perspective, mais comme tout est à faire pratiquement du début, il y a, et c'est le moins que l'on puisse dire, du travail en perspective. On a demandé à Mme Aït El Hadj de nous parler du Théâtre régional de Tizi Ouzou. Le théâtre existe mais le public non, selon elle, et c'est une triste vérité. Elle évoque les deux pièces créées par le Théâtre régional dans le cadre «Alger, capitale de la culture arabe 2007», Achik Aouicha ouel herraz et Douaâ El Hammam qui ont connu un succès certain à travers le territoire national. Comme elle revient sur le fait que dans la région, une pièce fut-elle la plus réussie, n'enregistre que 200 entrées. Elle explique que cela est dû à l'absence de théâtre régional, car ce qui se fait au niveau de certaines associations, même si ces efforts sont à encourager, restent faibles au niveau de la pratique théâtrale. Officiellement créé depuis deux ans, le Théâtre régional de Tizi Ouzou est en principe logé au niveau du théâtre Kateb-Yacine qui est en pleine rénovation. En effet, le théâtre Kateb-Yacine, créé en 1972, n'est pas achevé et est, avec le temps, transformé en salle de cinéma, et peu après en salle de meetings et autres manifestations. Cette salle installée en plein coeur de la cité, Mme Aït El Hadj se désole du fait que le transformateur électrique prévu pour le théâtre, risque fort d'être installé devant le théâtre dans ce minuscule espace vert qui devrait servir les familles. Son actuel souci, quasi primordial est tout bonnement matériel. Où placer ce transformateur. Une façon de retarder la production quand les hommes et les femmes de culture sont absorbés par ces tâches souvent ingrates d'intendance. Sur les possibilités de la région, Mme Aït El Hadj s'est montrée intarissable. Une pépinière existe. Elle affirme que lors d'un récent casting, elle aurait reçu plus de 450 demandes, mais hélas n'est pas du théâtre qui veut, mais qui fait ainsi que sur ces 450 personnes entendues, trois seulement ont été prises, ce qui démontre, si besoin est, le sérieux accordé à la formation et à la chose par le théâtre régional. Pour cette institution et c'est heureux de le souligner, la qualité doit primer sur la quantité. Mme Aït El Hadj entend faire avec son équipe du Théâtre régional de Tizi Ouzou, un théâtre d'avant-garde. Pour elle, les innovations seront les bienvenues, Tizi Ouzou est là pour les aider et essayer de les propulser sur la voie de l'avenir. Pour elle, les auteurs dramatiques existent à l'échelle nationale et locale. Ce sont ces auteurs qu'elle appelle les créateurs dans l'ombre. Aussi, elle envisage ce qu'elle voudrait appeler «le club des plumes de l'ombre». Des rencontres au moins trimestrielles sont ainsi prévues pour justement faire en sorte que ces gens puissent s'exprimer et faire connaître leur production. A propos de théâtre populaire, Mme Aït El Hadj dira que le théâtre s'adresse au peuple, en réalité les élites boudent le théâtre. Dans nos salles, nous n'avons que le peuple, donc vu sous cet angle, le théâtre que nous revendiquons est populaire. Elle a des mots olympiens en parlant de Kateb Yacine, cet auteur qui a eu recours au théâtre pour toucher le plus large public et ainsi véhiculer ses idées et son message qui étaient et resteront politiques. A l'époque, le théâtre était la seule tribune possible pour qu'il livre son message. Aujourd'hui, les tribunes pour ce genre d'exercice existent. Il faut dire que Kateb a tout simplement propulsé le théâtre en Algérie et nous nous l'honorons autrement et dans la quotidienneté en nous installant dans ce théâtre qui porte son nom, Mme Aït El Hadj insiste sur le fait que le Théâtre régional de Tizi Ouzou ouvre ses portes car on a besoin de développer l'acte de formation, mais il nous faut de l'argent, beaucoup d'argent. Certes, on est aidé par le ministère, mais localement pour l'heure, il y a des promesses. En guise de conclusion, Mme Aït El Hadj se dit pressée d'occuper le théâtre régional, une façon de se libérer des contingences matérielles pour se mettre réellement au travail.