Une probabilité, une seule, sur plusieurs centaines de milliards, pourrait rendre «normaux» ces incidents en série. Les chiffres sont têtus. Les statistiques aussi. Aussi crédule qu'il puisse être, aucun observateur n'aurait réagi autrement qu'avec un rire cynique si on lui avait dit qu'un second incident devait avoir lieu à la prison d'El-Harrach cinq jours à peine après celui de Serkadji, qu'un troisième le suivrait de près au niveau de la prison de Constantine et qu'une tentative de mutinerie soit matée le même jour dans un autre centre, celui d'El-Khroub. Un mois auparavant, le 2 avril précisément, un autre incendie s'était déclaré à Chelghoum Laïd et s'était soldé par un lourd bilan en pertes humaines. Comment croire au simple hasard lorsque les événements se succèdent de cette manière affligeante et que même les autorités se montrent incapables de gérer cette «chose»? Visiblement surpris par ces drames à répétition, Ouyahia a tenté de réagir au quart de tour en improvisant une conférence de presse, à une heure indue de la nuit, à la suite du drame d'El-Harrach pour tenter d'expliquer rationnellement un fait digne des meilleures séries d'anticipation. Pour Ouyahia, l'effet d'entraînement a joué un grand rôle dans la provocation de cet incident. Les mineurs, trop influencés par les graves incidents de Serkadji, auraient pris sur eux de déclencher un second incendie à la suite d'une simple rixe entre deux prisonniers. La thèse peut tenir la route, certes. Sauf qu'Ouyahia lui-même a montré, preuves à l'appui, que les conditions de détention des mineurs à la prison d'El-Harrach étaient nettement plus acceptables. Dans une salle pouvant recevoir jusqu'à une centaine de détenus, seuls 25 y étaient installés, avec des lits relativement acceptables et même une télévision pour ne pas trop sentir passer le temps. A Constantine, aussi, les conditions de détention seraient moins éprouvantes. Le surpeuplement et la promiscuité ne seraient donc pas les causes, ou les seules causes, de cette succession d'actes inexplicables et désespérés. Des actes qui parlent de désespoir, qui tirent la sonnette d'alarme et qui tentent d'attirer l'attention de l'opinion et des décideurs sur les indignes conditions dans lesquelles sont le plus souvent parqués les détenus algériens pour des raisons qui, souvent, dépassent le simple cadre de la stricte loi. La rationalité de l'explication du ministre de la Justice, en outre, ne dit pas pourquoi les mesures strictes prises en vue d'éviter à l'avenir ce genre d'incidents n'ont pas été immédiatement appliquées. En d'autres termes, pourquoi la literie n'a-t-elle pas été changée et, surtout, pourquoi des allumettes se trouvaient-elles encore dans des cellules, qui plus est, appartenant à de jeunes mineurs? Les voix officielles demeurent très discrètes sur ces questions aiguës. Ne sachant peut-être même pas quoi dire encore, Ouyahia est demeuré silencieux sur les deux drames de ce dimanche. On murmure même qu'il aurait l'intention de jeter l'éponge et de se consacrer uniquement à la campagne électorale de son parti. Mais quand bien même ce serait le cas, il y a très peu de chances pour que cette démission soit acceptée par le Président Bouteflika dans l'état actuel des choses. Le chef de l'Etat, en effet, est un homme qui déteste agir et réagir sous la contrainte. C'est d'autant plus certain qu'un remaniement gouvernemental serait prévu immédiatement après les législatives. Celui-ci répondrait, nous dit-on, à la configuration nouvelle de la Chambre basse du Parlement, afin de répondre un peu mieux aux attentes des populations. Ainsi, les questions que sont venus exacerber les propos très durs de Mohand Issad parus le même jour (dimanche) sur les colonnes du journal Le Matin, demeurent-elles sans réponses acceptables. Dans le cadre des activités de la commission de réforme de la justice, pas moins de 13 prisons avaient été visitées. Les conditions de détention déplorables avaient été soulignées avec force et adressées à qui de droit. En clair, des incidents comme ceux de Serkadji et d'El-Harrach avaient été prévus. Mieux encore, le système judicaire algérien ne semble pas être appliqué de manière idoine. Une bonne partie des détenus n'aurait pas sa place dans les prisons. La détention préventive, censée être une exception, aurait été transformée en règle par une sorte d'effet d'entraînement, encore un, de la part de nos magistrats. A moins de croire, donc au surnaturel, force est de constater que les mouvements de révolte, pas toujours très «naturels» quittent les sentiers battus des villes et des villages pour s'attaquer sans vergogne aux établissements pénitentiaires du pays. Aussi, des mesures urgentes sont-elles attendues par les dizaines de milliers de familles des détenus et par les détenus eux-mêmes afin que l'irréparable n'advienne pas encore et encore. Un accident, finalement, est si vite arrivé...