Il est incontestable que cet athlète est soumis à une énorme pression. Héros national et champion olympique en titre du 110 m haies, Liu Xiang entre en piste aujourd'hui à Pékin et c'est toute la Chine qui retient son souffle pour un rendez-vous attendu depuis quatre ans. Son image et son nom sont partout: l'icône sportive et commerciale trône dans la capitale chinoise. Impossible d'échapper au visage souriant ou concentré de ce jeune homme de 25 ans, qui a des contrats avec près de 20 marques. Ce record pour un athlète chinois en fait l'un des athlètes les mieux payés au monde. Le sportif de Chine le plus célèbre avec le basketteur Yao Ming est ainsi présent sur les boîtes de lait, les canettes de Coca ou les cartes de crédit. Il est aussi un enfant fidèle du régime communiste, par choix ou obligation, membre d'une chambre consultative du Parlement chinois. Il n'y a pas un jour sans que les médias chinois n'en parlent. Récemment sur une page entière, photos à l'appui, un journal a retracé l'évolution immobilière du champion, depuis le modeste trois pièces de l'enfance à Shanghai au 400m2 luxueux d'aujourd'hui. Dans un centre commercial haut de gamme de Pékin, les badauds se font photographier près de statues de Liu mises en place par un célèbre équipementier. Le vrai, lui, qui a fêté sobrement son anniversaire le 13 juillet, est arrivé en toute discrétion, pendant le week-end au village olympique. Il participera aux séries qualificatives lundi. Sa mère, qui ne l'a guère vu ces derniers temps en raison de la préparation, a également rejoint la ville, à la tête d'une délégation de 47 personnes, famille et amis. De quoi augmenter la pression déjà très forte pour le jeune homme dont la forme physique reste une énigme. Son entraîneur Sun Haiping craint encore les effets de la blessure aux adducteurs que son athlète traîne depuis le printemps. «Pour les séries, cela ne devrait pas être un gros problème, mais s'il n'y a pas d'amélioration, cela aura certainement une influence», a-t-il dit. Info ou intox? En tout cas, officiellement, massage et échauffement renforcé avant l'entraînement sont au programme. Chacun y va de son commentaire. Pourra-t-il conserver son titre et remporter une nouvelle médaille d'or dont la Chine est si friande? «C'est mon espoir qu'il remporte cette médaille, la Chine a la capacité d'être une grande puissance», juge Mme Wei Zhenxiang, une femme de 62 ans, qui vend ses cerfs-volants dans un parc de Pékin où a été aménagé un espace «olympique» avec activités et expositions. Et si le héros national, «l'homme volant», le premier Chinois à avoir emporté une épreuve reine de l'athlétisme, perdait face au Cubain Dayron Robles le 21 août, se demandent certains? «Si Liu Xiang ne décroche pas l'or, il restera pour toujours notre héros», estime un éditorialiste du Journal de la Jeunesse de Pékin, Cai Fanghua. «Ce n'est pas une formule de politesse, c'est le sentiment profond de beaucoup de gens. Victoire ou défaite, nous serons heureux, les Jeux olympiques ne peuvent que nous rendre encore plus heureux», ajoute Cai. Malgré l'heure tardive (21h45, 13h45 GMT), l'audience télévisée devrait être bonne, même si les records ne seront pas battus en Chine. «Cela sera sûrement le record de l'athlétisme, mais cela sera difficile d'atteindre les audiences obtenues en prime time avec des épreuves comme le tennis de table avec des Chinois», juge Pierre Justo, directeur général des médias et des sports à la société d'études de marché CSM Media Research/TNS Sport (groupe TNS). Autre record, celui du marché noir. Non loin du «Nid d'Oiseau», des revendeurs proposent des billets pour le 21, jour de la finale du 110 m haies, à 5000 yuans (près de 500 euros). Six fois le prix légal le plus élevé. Selon des médias chinois, des sites Internet demanderaient jusqu'à 7000 dollars (plus de 4750 euros).