«Les ministres, les militaires et le simple fonctionnaire ont tous bénéficié de cette augmentation. Je ne comprends pas pourquoi la presse focalise sur nous», s'interroge un député. Les députés ont dû interrompre hier leur congé, le temps d'une séance pas comme les autres. Le Ramadhan, prétexte invoqué par les élus du peuple au bureau de l'Assemblée pour ajourner les plénières durant un mois, n'a pas empêché les élus à faire le déplacement à Zighoud-Youcef. Un parcours qui valait la chandelle, parce qu'en rapport direct avec leurs indemnités. Quelques minutes avant le début de la séance, dans les coulisses, l'absence de quorum inquiétait plus d'un. Quelques rares députés ont été croisés dans le hall de l'hémicycle, endroit préféré de beaucoup d'entre eux. L'on comprendra après que cette éclipse fut motivée par le souci d'éviter la presse. A 10h 45, Abdelaziz Ziari, président de l'APN, ouvre la séance devant une forte assistance. 255 députés ont répondu présent, contre 134 absents. «Même les lois de finances n'ont pas attiré autant de députés», commente un journaliste. Les choses sérieuses commencent lorsque M.Mohamed Khoudri, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement entame sa plaidoirie. Ce dernier prend la défense des parlementaires et commente: «L'augmentation des indemnités des élus est une mesure logique, sachant que les hauts cadres de l'Etat et les employés du secteur économique ont tous profité de la réévaluation des salaires, appliquée depuis le mois de janvier.» Pour lui, l'amendement de la loi en question prise à l'initiative du président de la République «ne vise pas uniquement, l'amélioration du côté financier lié à l'activité parlementaire, mais aussi la mise en valeur de la place et du rôle du membre du Parlement dans la société», vu le poids, a-t-il dit, de la responsabilité qui lui incombe en tant que représentant du peuple. «Cette initiative vise également à offrir les conditions nécessaires et adéquates pour permettre au membre du Parlement d'accomplir convenablement sa mission constitutionnelle, notamment en matière de contrôle», a-t-il dit. Khoudri faisait allusion, sans nul doute, à d'autres amendements que le gouvernement envisagerait d'initier peut-être dans le futur dans la mesure où la loi en question, proposée hier à l'adoption, ne concerne que le volet indemnitaire. L'ordonnance considérée prévoit, en effet, le changement du point indiciaire de l'indemnité de base mensuelle du membre du Parlement, qui était de 5438 pour le fixer à 15.505. En aucun cas l'on évoque dans ce texte le mandat du député ou encore son statut. Concrètement, la réévaluation du point indiciaire permet au député de toucher une augmentation avoisinant les 140.000 centimes. Le salaire de base passera de 100.000 à 210.000 DA. En d'autres termes, le député touchera désormais une indemnité mensuelle de 270.000 DA, elle atteindra les 300.000 DA pour les présidents de commission et les membres du bureau de l'APN. L'ordonnance est passée bien sûr comme une lettre à la poste. Seuls les groupes parlementaires du Parti des travailleurs et du Rassemblement pour la culture et la démocratie l'ont rejetée. Ziari lève la séance juste après le vote, affirmant du haut de son perchoir que «cette augmentation est normale et ne nécessite pas de commentaire». Une augmentation «juste et équitable», c'est l'avis aussi de la majorité des députés que nous avons approchés en marge de la séance plénière. Djâadi Menouar, député FLN, estime que «le parlementaire est un citoyen avant tout et a le droit de bénéficier d'une augmentation de son indemnité». «Les ministres, les militaires et le simple fonctionnaire ont tous bénéficié de cette augmentation. Je ne comprends pas pourquoi la presse focalise sur nous», s'interroge-t-il. Djaâdi poursuit son argumentaire, en précisant que le parlementaire algérien est «le plus lésé du globe terrestre». «Nos voisins marocains perçoivent une indemnité de 3300 euros, elle est de 3000 pour les Tunisiens.» Djâadi minimise la position de la rue. Et qualifie de simple fait du hasard la coïncidence entre cette réévaluation et la «très probable soumission vers la fin octobre de l'amendement constitutionnel au Parlement». Le porte-parole du FLN, M.Saïd Bouhadja, estime que le député mérite plus que ce que prévoit cette augmentation. Du côté du RND, l'on s'est montré très peu prolixe. Chihab Seddik a jugé «normal» cette augmentation, démentant sur sa lancée le barème publié par certains titres de presse qui évoquent une indemnité de 3600 000. Harchaoui, l'ex-ministre des Finances, lui, refuse de faire le moindre commentaire: «Aujourd'hui nous avons voté sur les indemnités, nous sommes prêts à débattre à l'avenir des questions liées au statut du député si un texte nous est soumis.» Par ailleurs, les députés du PT ont rejeté catégoriquement cette ordonnance. «L'indice de calcul du salaire passe de 5348 à 15.505 points, soit une augmentation du régime indemnitaire de près de 300% (ce qui ramène le salaire du député à l'équivalent de 30 fois le Snmg). Cette augmentation sans précédent, constitue une provocation à l'encontre de la majorité de la population», précise un communiqué du groupe parlementaire. La majorité de l'APN en votant cette ordonnance discrédite davantage cette Assemblée issue d'un scrutin marqué par un taux d'abstention, poursuit le PT. Louisa Hanoune met les députés devant leur responsabilité: «Cette Assemblée a refusé d'augmenter le Snmg à 2500, d'instituer le revenu minimum d'insertion RMI pour les primo- demandeurs d'emploi et d'augmenter les indemnités des handicapés», soulignant que des familles vivent en Algérie avec des pensions de 3500 DA/mois, soit l'équivalent de 1% des nouveaux salaires des députés. Pour le RCD, le problème du Parlement réside non pas dans la réévaluation du point indiciaire et donc de son salaire, mais plutôt dans l'absence de statut. «Les trois missions génériques du parlementaire-législateur, contrôleur, et médiateur entre la société et les institutions, ne sont pas encore définies», rapporte le communiqué du parti. L'urgence pour le RCD est plutôt à ce niveau. Au train où vont les choses, «le fossé risque de s'étendre d'avantage entre gouvernants et gouvernés», conclut-il. Rappelons que cette augmentation prend effet à compter du 1er janvier 2008. Dans quelques jours, les députés vont débattre du projet de loi de finances. Quels arguments soulèveront-ils pour rejeter les mesures sociales que proposeront les partis de l'opposition?