Si quelque psychologue tente d'expliquer une enfance, il doit recourir à la sociologie. Dans son recueil de cinq récits sous le titre général Une Enfance dans le M'Zâb (*), Abderrahmane Zakad nous propose une façon de restaurer notre humanité algérienne. Il essaie de nous faire découvrir notre enfance et nous l'expliquer par des exemples. Il en a un fulgurant, d'exemple; il est bien calé dans le classement des cinq récits qui sont pourtant sans rapport commun, sauf leur écriture limpide et la notion de vie sociale qui, celles-ci ensemble, leur donnent une unité de pensée à la fois abstraite et matérielle, et pourtant perfidement vraie. Ce premier récit, intitulé «Une enfance dans le M'Zab» donne le ton du langage utilisé, - un cri, écrit pour dire combien les enfants ont tant d'esprit. Le grand rêve sociologique de l'adulte, tiré de souvenirs retrouvés ou reconstruits de l'enfance humaine, est incontestablement une immense idée à reproduire dans les activités quotidiennes de notre société. Zakad aborde ses «sujets» par tous les sens de l'enfance et les termine par celles de l'adulte. Il a écrit bel et bien des «récits», mais sur la couverture de l'édition, il est indiqué «nouvelles». Beaucoup ont remarqué, comme moi, cette confusion fréquente assez inexplicable entre la notion de «récit» et de «nouvelle» - peut-être faute d'attention de l'édition, enchaînements administratifs fortuits -, et qui n'est certainement pas le fait de l'auteur qui sait à l'évidence quel registre convient à son propos. Je vois pourtant un inconvénient dans cette confusion; hors des genres littéraires, il n'y a pas de pure littérature. Il y a autre chose, sans aucun doute, de grande qualité dans le récit, mais ce n'est pas de la pure littérature. La «nouvelle» est un genre littéraire particulier par sa «facture», qui ne le sait? Tout est construit (l'air du temps, les idées, les personnages, la morale, la politique, l'histoire,...) à l'effet artistique. C'est une «composition» courte et complète, et surtout très solide et parfaitement proportionnée. «Dans la composition tout entière, il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité (Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Poe).» C'est de «l'art pour l'art» diraient justement les spécialistes de la question. De plus, le «recueil de nouvelles» est une oeuvre d'art ayant un thème central dans laquelle généralement le premier texte sert de prétexte, d'argument, de guide, de motrice, aux textes suivants. En revanche, le récit, forme moderne de rapporter avec originalité par l'impression, le réalisme, l'imagination, le style, un fait caractéristique, comporte des réflexions, expose des idées, décrit des événements où des personnages évoluent, éveillant chez le lecteur un intérêt significatif de situation non conventionnelle. Le récit est à lui-même sa propre unité, car il y a toujours un propos objectif de sociologue, c'est-à-dire un propos impersonnel. Zakad est urbaniste de formation. Esprit curieux et chercheur scrupuleux, il s'efforce de faire sortir avec soin, le caractère de ses sujets naturels. Il les prend dans la réalité, dans ses souvenirs, dans ce qu'il observe autour de lui; il se distingue par son style, par son humour mordant dans «le récit», devenu sa spécialité depuis surtout son Vent dans le musée (éd. Alpha, Alger, 2006). Dans Une Enfance dans le M'Zâb, fort de son expérience professionnelle et de celle de la vie tout court, Zakad nous enseigne qu'on ne construit pas l'homme d'après le fou, et de même on ne peut identifier une personne sans ses racines. Zakad a réussi ce tour de prodige dans ces cinq récits dont je recommande vivement la lecture plutôt que de les analyser ici. Des surprises époustouflantes éveilleront le lecteur attentif aux révélations de l'enfant du M'Zâb, à l'histoire, inspirée d'une histoire trop vraie pour former une tempête épique dans la Kabylie profonde des fiers Béni Oughliss, à l'incroyable aventure d'un écrivain d'aujourd'hui, un peu sonné, à La bévue, un fait divers surprenant paru dans la presse, à la cocasse (ou trop sérieuse) passation de consignes: un fonctionnaire, en fin de carrière, qui devient un personnage où la réalité dépasse la fiction. L'Algérie d'aujourd'hui, avec ses bruits, ses rumeurs, ses humeurs, ses ambitions, ses réussites, ses déceptions et ses échecs aussi, brûle les sens de ceux qui retroussent les manches et travaillent, de ceux qui retroussent les manches pour médire, de ceux qui ont les gros bras pareils à ceux qui sont à la recherche d'une part de gloriole dans les coulisses de l'exploit...ation clandestine. On verra que la chute de chaque récit est toujours inattendue, toujours impressionnante. En refermant le livre de Abderrahmane Zakad, on ne sait pas s'il est séant de lâcher ses larmes, car elles sont de rires et de tristesse tout à la fois. Et comme l'ambiguïté est lâcheté aussi, il faut du courage pour dire le temps présent, pour élever le niveau de l'intelligence sociale, pour être un honnête écrivain algérien dans sa chère cité. Ces récits, sous la couverture Une Enfance dans le M'Zâb ne sont pas des contes adorés, des mythologies ambiguës, des rêves qui montent jusqu'aux étoiles. Mais peut-être certains y trouveraient aussi de cela. Ainsi va le monde... (*) UNE ENFANCE DANS LE M'ZÂB de Abderrahmane Zakad Editions Alpha, Alger, 2008, 226 pages.