«Le projet de société des années 30, n'est pas adaptable à la société actuelle» a-t-il déclaré. On attend parfois de l'histoire qu'elle rassemble et monopolise une population et qu'elle enracine un sentiment national comme l'a très vite perçu Joseph Desparmet, a expliqué jeudi au Centre culturel français, l'historien Mohamed Harbi. La conséquence de cela est l'élaboration au prix d'effacements mémoriels et de déni de diversité sociale et culturelle, d'un mythe national qui rejette toute possibilité de constructions plurielles et opposées au passé en même temps qu'il exclut toute forme alternative de récit identitaire. Il en résulte des visions unitaires et unanimistes qui, prenant appui sur la langue et la religion, enjambent des périodes telles que les périodes coloniales. Or, soulignera M.Harbi, nationalisme et histoire sont indissociables. Aussi, dans les années 80, les usages publics de l'histoire montrent leur limites. Face au politique, on assiste au retour du refoulé et à la multiplication des controverses et polémiques sur l'élaboration du mythe national comme sur les trous de mémoire de l'historiographie nationaliste. C'est le moment du renouvellement de l'histoire par la mémoire, de ses apports et de ses abus. Harbi débutera sa conférence en faisant remarquer que le système colonial français justifiait sa présence en étant sur une terre romaine. Se basant ainsi sur le mythe de Rome, considérée à l'époque comme la conquérante de toute l'Afrique du Nord. A cela, soulignera-t-il Moubarek El Mili et Toufik El Madani, deux grands religieux avaient répondu, à l'époque, en brandissant les figures historiques comme Jugurtha pour affirmer un ancrage berbère comme revendication identitaire à l'Algérie. «Cette résistance aux invasions étrangères va parcourir toute l'histoire algérienne, notamment dans les écrits de Ferhat Abbas». La mémoire, selon Harbi fournit à l'histoire en marche ses ingrédients. «Le passé est moyen de discours de libération intellectuelle, une condition pour la libération politique.» Islamité, arabité sont la définition identitaire de la patrie algérienne par Benbadis. L'identité se séparait du dogme islamique comme dans les clercs catholique. C'est le même discours. Or, dira Harbi, au XIXe siècle, la mentalité des Algériens est encore attachée au surnaturel, au merveilleux (les jnoun). Toufik El Madani est le seul, selon lui, à mettre en évidence le terme de «territorialité» pour définir l'Algérie en la plaçant au centre du monde. Il opère une clôture, dans le sens national. Or l'idée de clôture n'est pas de mise dans la pensée religieuse, d'après Harbi. «Une culture patriotique va naître avec des références floues. Messali El Hadj va réussir à inculquer une réalité politique et l'inscrire dans la conscience populaire car celle-ci est beaucoup plus basée sur l'oralité.» Mais il n'y a pas de renouvellement historiographique, nous affirme-t-on. Le passé critique a été galvaudé. Un «blocage» qui n'a pas permis à mettre en place un plan dépassant des idées. Il y a des tentatives de réaménagement avec, notamment Mustapha Lacheraf et Sahli, soutient M.Harbi, mais ils ne se sont jamais attaqués au roman national. Il n'y a pas eu avant 1988 d'ébauches, autres du passé. Résultats: amputation de la mémoire du mouvement national, rétention de l'information et manipulation du vide historique. Ce «refoulement», dira l'invité du CCF, aura des effets pervers et de prendre pour exemple la manière de l'assassinat de Abane Ramdane. «Le réveil des mémoires occultées est un signe de non-identification aux Etats. C'est la guerre des mémoires.» Harbi illustre aussi son propos en se rapprochant de la Russie, dont les acteurs historiques disparaissent au fur et à mesure de leur élimination. Et de relever l'incapacité de déceler aujourd'hui un langage commun à toutes les élites. «Le problème réside dans la réconciliation des Algériens avec eux-mêmes.». Et de faire remarquer: «Le pouvoir garde toutes les données à sa disposition et demande au peuple un enthousiasme passif». Selon Harbi, L'idée aussi d'un état national se veut une revendication d'une intelligentsia citadine marquant ainsi une dichotomie avec les communautés rurales. «Le postulat de l'engagement du supplétif et du harki doit être revu de plus près» argue-t-il, or il n'y a pas de travail sérieux qui permet de vérifier ce problème. «La révision de l'histoire est une manière d'obtenir la cohésion des ensembles. Et si on avait laissé à Benbadis la liberté d'enseigner en arabe et en français? L'objectif de l'histoire n'est pas de juger. Elle permet de définir une responsabilité historique». Le terme de culpabilité d'un peuple est impropre, selon lui. Evoquant la France, Harbi se demande quel serait le rôle de la mémoire de la colonisation «si ce n'est de condamner ses méthodes et la continuité de la domination du plus faible? On serait dans ce cas dans la formation de haine qui ne bénéficie pas aux gens les plus éprouvés». Cependant, Harbi refusera, un peu loin, cette tendance de penser que tous les Français sont coupables. «Je n'accepte pas ça». Il dira que le projet de société des années 30, celui de faire de l'Algérie une nation musulmane, n'est pas adaptable à la société actuelle, tout en soulignant, par ailleurs, que la modernité de l'Algérie est «bâtarde».