Un touriste, ou un étranger de passage, ne trouve pas d'endroit où déguster un plat algérien authentique. La cuisine du terroir algérien semble quelque peu, sinon beaucoup, désarçonnée par le désormais envahissant fast-food qui semble répondre au mieux à la gestion «temps» qui préoccupe l'homme moderne dans sa dimension laborieuse. Une certaine anarchie persiste, cependant, dans la restauration rapide en Algérie où plus de 70% des restaurants fast-foods, ou troquets appelés «Quatre saisons», exercent malgré tout, sans agrément délivré par le ministère du Commerce. L'éloignement des lieux de travail et l'emplacement des «cités dortoirs», édifiées loin des centres urbains pour plus de «confort», le manque de moyens de transport, des horaires de travail souvent mal adaptés, un manque criant de cantines ou de foyers au niveau des établissements employant un grand nombre de travailleurs...la liste des aléas serait trop longue à énumérer. Toujours est-il que ce sont là autant de raisons qui conduisent l'Algérien droit aux fast-foods, dans l'espoir de gagner du temps au détriment de son bien-être et de sa santé. L'exemple alarmant des pays développés (Etats-Unis, Australie, Grande-Bretagne, France...), où le taux d'obésité a grimpé de façon dangereuse, générant diverses maladies liées à une mauvaise alimentation, est présent et constitue comme un avertissement sérieux en direction des générations futures. En Europe, l'on constate la multiplication des cultures et restaurants dits «bio» pour contrer ce phénomène. Le foisonnement chez nous de ces fast-foods, transcrits faussement en «akal khafif», a perturbé les traditions culinaires de l'Algérien, réputé fin gourmet comme tout Maghrébin, du reste. Au Maroc, par exemple, le roi du fast-food, McDonald, vient même d'innover en lançant le «Mc-Arabia». Un hamburger composé de pain local, de boeuf haché relevé avec du cumin et de la coriandre. Tout un programme de mise au goût oriental d'une cuisine fast-food qui a conquis le monde. Pour les économistes algériens, le phénomène a, néanmoins, son importance, dans un pays où la collectivisation de l'agriculture a été un échec cuisant et dont le pays récolte aujourd'hui les effets négatifs. Aussi, optimistes, ils considèrent que la multiplication des chaînes de restauration rapide, qui s'installent en Algérie, couplée à la montée en puissance du secteur agroalimentaire dont le géant industriel Danone est très actif en Algérie, conduisent à la réorganisation des circuits de distribution des produits agricoles. La production avicole est particulièrement présente dans cette nouvelle donne du marché agroalimentaire. Elle amène les petits producteurs à rationaliser leur activité en s'adaptant mieux au marché de la consommation alimentaire. Mais ceci ne devrait pas, à notre avis, occulter les autres impératifs de la restauration, ne serait-ce que ceux liés au tourisme dont on ne cesse de clamer les besoins et les nécessaires aménagements dont il doit se parer, ou tout au moins s'équiper. En effet, l'absence d'une gastronomie nationale en Algérie, telle que considérée sous d'autres cieux, méditerranéens, notamment favorise amplement la prolifération de ces commerces qui dénaturent le profil de la cuisine du terroir. Manger un plat typiquement algérien, hormis le couscous, qui, lui, est maghrébin et qui est servi à toutes les sauces, «dans le pays du burnous et du couscous», comme le dénommait sournoisement, avec une ironie à connotation coloniale, un vieil adage français, relève d'une gageure aujourd'hui à Alger, capitale d'un pays qui se veut ouvert au tourisme international. Ailleurs, dans le pays, l'offre n'est guère meilleure. Une pâle copie de plats prestigieux dans leurs pays ou villes d'origine européennes, notamment dénommés pompeusement ici, steak-sauce Châteaubriand, escalope genevoise, spaghetti à la milanaise...sont servis à tout profane de passage. Mais le fin gourmet, connaisseur et étranger de surcroît, s'aperçoit vite de l'arnaque, lui qui aurait préféré goûter à un plat de «panse d'agneau farcie», le fameux «aâsbane», un mets algérien qui est également préparé et savouré en Ecosse. Donc, hormis les «véritables brochettes» proposées partout, mais qui doivent normalement être préparées avec art, délicatesse et savoir-faire, à base de viande de mouton des Hauts-Plateaux, marinées dans de l'huile d'olive et herbes aromatiques, peu de lieux de restauration convenable existent à Alger ou dans les grandes villes du pays par où transite le plus grand nombre d'étrangers avant d'aller s'éclater dans le sud du pays ou au bord de la mer. Il n'existe hélas! pas de restaurant qui propose un menu simple, sans prétention aucune, de bonne facture seulement...composé de plats traditionnels comme ceux que l'on prépare, chez nous, à la maison. Une «tchekchouka» relevée, une «dolma» à base de divers légumes, un ragoût de pommes de terre au persil ou au «fliou» (menthe sauvage) à la mode de chez nous, une «tchakhtchoukha biskria», un plat aux gombos (ou mouloukhia) plat favori dans le nord-est du pays ou encore un couscous au poisson blanc ou à la sardine selon les différentes régions côtières. Rien de tout cela! Tous nos repères se sont envolés pour se perdre... Ne sont, en effet, aujourd'hui proposés dans les restaurants d'Alger, qu'ils soient ordinaires ou bardés d'étoiles de classification souvent prétentieuse, que des plats qui se conjuguent à l'occidentale. On y relève l'incontournable steak-frites ou le rôti de veau à la sauce béchamel, des pommes de terre boulangères et je ne sais quoi encore... Même les cafés ne proposent pas un service original au touriste à la recherche d'un dépaysement réel. Un café préparé de façon traditionnelle et proposé dans un «fendjel» par un serveur accoutré d'un habit local, ferait le bonheur d'un touriste. Pareil pour le thé. Servi en levant haut sa théière, faisant entendre un agréable bruit de ruissellement dans son verre ou encore le café arrosé d'une goutte de fleurs d'oranger ferait pâlir de plaisir le touriste en quête permanente du changement et de farniente. Il ne reste plus que la «doubara», un plat du Sud très relevé à base de pois-chiches et arrosé d'une larme d'huile d'olives, la «chorba» ou la «h'rira», dont la réussite dépend de la couleur du cordon qui les prépare. Ces plats, on les retrouve un peu partout dans les grands centres urbains comme dans les petites villes du pays. Il est vraiment regrettable que la jeune génération n'ait pas vraiment connu cet art culinaire dont s'enorgueillissaient nos aînés. Les nouvelles familles formées par des couples constitués lors des deux dernières décennies n'ont eu ni le loisir ni le temps de s'imprégner de cette tradition culinaire. Leurs enfants et notre histoire en paient aujourd'hui le tribut...