La malnutrition a des conséquences désastreuses sur le développement mental et physique des enfants. Les habitudes alimentaires de notre société ont connu de grands chamboulements ces dernières années. L'érosion du pouvoir d'achat et l'introduction de nouveaux modes de consommation, étrangers aux traditions culinaires locales, sont les principaux facteurs de cette métamorphose. La question qui s'impose, en cette période de transmutation, est de savoir si les Algériens mangent correctement? Autrement dit, la santé publique est-elle à l'abri des conséquences graves de la malnutrition? «La mal-bouffe est bonne» Le vocabulaire culinaire national s'enrichit. Pizza, manchon, hamburger, panini, salés, etc. garnissent les présentoirs de points de vente de la «bouffe moderne». Le client dispose d'un grand éventail de choix! Les pizzerias et autres fast-foods grouillent de monde. L'emballement des consommateurs indique que les Algériens n'ont pas perdu l'appétit. Ce sont les tranches de pizzas qui circulent le plus, au milieu des cris des clients, réclamant la harissa et la mayonnaise. D'autres, plus ou moins nantis, se permettent des «complets» ou des hamburgers. Des «casse-dalles» dont la composante (viande, salade et pain) est plus riche. Des fricots que l'on a appris à consommer depuis un peu plus d'une décennie et qui continuent de prendre de l'espace dans le paysage alimentaire national. Certains clients estiment que ces sandwichs sont «minuscules et chers». La boulette de viande hachée et le petit bout de fromage, ajoutés à la croûte, valent généralement plus de 100DA. «Ça me permet juste de calmer ma faim en attendant de rentrer chez moi, en fin de journée», affirme un jeune homme qui a achevé son «complet metlouaâ (rond)», en deux bouchées. La restauration rapide est en plein essor, notamment dans les villes. Les gens, paraît-il, n'ont pas le temps de s'attabler et de bien mâcher. Il est vrai aussi, que prendre son déjeuner debout, une bouteille de soda à la main, donne l'impression de vivre son temps. Les questions d'hygiène sont rarement abordées par les consommateurs. «La mal-bouffe est bonne», soutient une habituée de ces commerces. «Je suis consciente que l'huile est utilisée des dizaines de fois et la propreté n'est pas leur point fort mais, que veux-tu, je suis obligée de manger dehors», ajoute-t-elle. Chaque année, entre 3000 et 5000 cas d'intoxication alimentaire sont enregistrés en Algérie. Un chiffre inquiétant qui dénote la gravité des manquements à l'hygiène. Résultat de l'insouciance des citoyens et de l'inefficacité des services chargés du contrôle de la qualité. Les restaurants «classiques» ont perdu du terrain face à la montée de la restauration rapide. Cependant, ils sont loin de disparaître. Certains quartiers populaires, à l'exemple de la rue Tanger à Alger, pullulent de ces restaurants spécialisés dans la Loubia (haricots secs) et la sardine. Les prix appliqués sont moins chers que dans les fast-foods. Un plat de lentilles, bien chaud, est servi en contrepartie de 70 dinars et le plat de sardines à 90 dinars. Les habitués de ces lieux sont issus, pour la majorité, des régions de l'intérieur où les habitudes alimentaires n'ont pas subi de changements substantiels. L'autre aliment qui garde intacte sa popularité, en ces temps de carence alimentaire, reste la «garantita». Un gratin préparé à base de pois chiches, introduit dans notre pays au XVI siècle quand la ville d'Oran fut occupée par les Espagnols. Vendu à hauteur de 20 dinars le sandwich, la garantita est, par excellence, la bouffe des pauvres. Il convient de souligner que l'art culinaire local n'est pas passif. Il affiche une certaine résistance à la poussée des modes alimentaires occidentaux et orientaux qui envahissent nos tables. Outre les foyers qui continuent à perpétuer des traditions millénaires en matière de cuisine, certains restaurateurs ont lancé le défi de promouvoir la bouffe algérienne. Les restaurants spécialisés dans le couscous, les galettes de blé se font de plus en plus remarquer dans les grandes villes. Dans ces commerces, les amateurs des mets traditionnels peuvent déguster des plats du terroir. Galettes de tout genre, lait caillé, dattes, figues sèches et autres beurres et mehadjebs sont proposés. «Les prix ne sont pas vraiment abordables mais ici, du moins, on mange sainement», nous confie un jeune fonctionnaire rencontré dans l'un de ces restos qui draine des foules à Ben Aknoun. Cette activité ne cesse de prendre de l'ampleur et semble avoir de beaux jours devant elle. Le consommateur algérien se montre de plus en plus friand à ces produits de chez-nous. La santé de nos enfants en danger Nonobstant ces transmutations que certains inscrivent dans le registre de la modernité, les habitudes alimentaires des Algériens sont souvent liées à leur pouvoir d'achat. La hausse des prix qui a touché notamment les prix du lait et des céréales sur les marchés internationaux, a fortement secoué le couffin de la ménagère algérienne. «Depuis septembre dernier, j'ai décidé de supprimer le yaourt et le fromage de la liste de mes achats», nous confie un père de famille. «Il faut faire face à la folie qui a atteint les prix du lait, de l'huile et des légumes», ajoutera-t-il. Nostalgique des années 80, notre interlocuteur nous révélera aussi que «les oranges restent le seul fruit que je me permets d'acheter régulièrement». Les mesures drastiques prises par les familles algériennes dans la gestion de leur maigre budget, influent directement sur la santé publique. Une étude réalisée en 2006 par l'Institut national de la santé publique a révélé que la malnutrition est à l'origine de nombreuse maladies dont l'hypertension et le diabète. Selon l'enquête, les Algériens consomment 0,6 fruit alors que la norme est de 2 fruits minimum, 0,2 légume au lieu de 3. Pour ce qui est des produits laitiers, on consomme 1,3 alors que la norme étant de 2. La consommation du poisson et des viandes rouges est aussi, de loin inférieure à la norme. L'Algérien ne consomme que 5 kilos de poisson par an alors que la norme internationale est de 7kg. La moyenne de viande rouge dans notre pays est de 11kg tandis que celle de la viande blanche est de 8 kg par an. Un Français, à titre indicatif, consomme en moyenne 27kg de viande rouge par an. Les enquêtes réalisées récemment dans ce domaine, ont fait ressortir des résultats inquiétants. Selon la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche, (Forem), pas moins de 500.000 enfants souffrent de malnutrition dans l'Algérie de 2007. Un chiffre alarmant, établi sur la base des résultats d'enquêtes effectuées par le MICS-OMD, l'EDG et le Ceneap. Près de 106.000 enfants, précise-t-on encore, souffrent d'une insuffisance pondérale. C'est-à-dire une malnutrition aiguë et chronique. 322.000 autres présentent un retard de croissance d'un taux de 11,3% dont 3% de formes sévères. Un fait induit par l'absence d'une nutrition adéquate pendant une longue période. La malnutrition, insiste les spécialistes, a des conséquences désastreuses sur le développement mental et physique des enfants. Il faut dire enfin que l'éradication des symptômes de la malnutrition est tributaire de la sécurité alimentaire de notre pays, fortement dépendant des importations. L'accès à une nourriture de qualité permettant de mener une vie saine et active est l'un des droits les plus élémentaires de l'être humain.