Dans cette frénésie de chawarma à perte de vue, c'est tout l'art culinaire national qui prend un sérieux coup. L'Algérien est-il devenu un tube digestif? Il faut réellement le croire quand on voit le nombre exponentiel de fast-foods ces dernières années. La direction des registres du commerce a accordé, dans un intervalle de deux ans, 5213 nouveaux registres pour des activités de restauration rapide, dont 1180 uniquement pour la capitale. Les chiffres sont effarants quand on sait qu'ils «s'épanouissent» au détriment des librairies, des bibliothèques et des lieux de loisir. Mais cela n'alerte ni les citoyens ni les responsables. Pourvu que ça marche! C'est plutôt l'engouement pour ce genre de commerces et tout le bénéfice que les commerçants en tirent qui intéressent en premier lieu. Ce type de restaurants rapides à la McDonald, constitue en quelque sorte une mode, notamment dans les grands centres urbains. Un phénomène qui ne manque pas d'attirer l'attention et de provoquer la curiosité de nos concitoyens qui, au bout de quelques années, ont fini par s'adapter à ce nouveau genre culinaire. C'est cet enthousiasme des consommateurs qui encourage les commerçants à investir dans la restauration rapide en toute quiétude, car c'est un créneau des plus porteurs. On trouve quelque 33.055 fast-foods à l'échelle nationale dont 6910 uniquement pour la wilaya d'Alger. Mais, si les commerçants sont portés sur ce genre d'activité, c'est parce qu'il y a une forte demande. En fait, les fast-foods en Algérie sont une réalité collective relativement nouvelle. Ce sont des endroits où l'on peut manger à n'importe quelle heure de la journée, où l'ambiance est détendue, contrairement aux restaurants qui affichent des prix élevés et découragent les faibles bourses. Cette consommation dénote un nouveau phénomène dans la société algérienne qui n'arrive pas à retrouver ses repères. Nous apprenons à vivre avec cette nouvelle réalité, un peu ballottés entre des valeurs personnelles et le message insistant qui font valoir l'importance, voire l'urgence de gérer ce nouveau comportement culturel. En effet, les chiffres officiels sont là pour confirmer cette tendance. Combien de commerçants se sont-ils reconvertis en cette activité? Ce phénomène ne cesse de gagner du terrain. De nombreux Algériens avouent leur attachement aux opportunités du gain facile, qui font de l'ombre aux critères classiques de la réussite financière. Pour preuve, même les toilettes publiques sont exploitées dans ce sens, et ce, sans parler d'autres espaces commerciaux et culturels tels que librairies et autres. Mais ce qu'il ne faut pas passer sous silence, c'est l'anarchie qui règne au vu et au su des autorités concernées qui octroient des registres du commerce à ces chasseurs de primes, au lieu de trouver des solutions pour les sensibiliser à promouvoir l'art culinaire local. Car il s'agit, aujourd'hui, de faire la promotion du patrimoine culinaire national. Un enjeu fondamental pour l'image du pays au regard des touristes avides de découvrir et de goûter aux délices de nos plats locaux. Le jeune Slimane, diplômé de l'université d'Alger, est un exemple à méditer dans ce sens. Slimane qui était sans emploi est actuellement propriétaire d'une pizzeria. Il gagne bien sa vie grâce justement à cette technique de fast-food. Il explique qu'il s'agissait de décisions très consensuelles qui correspondaient à une attente évidente: «Les Algériens se tournent de plus en plus vers une cuisine rapide, il y a donc une demande qu'il faut satisfaire et c'est comme ça que j'ai ouvert cette pizzeria». Slimane ne mâche pas ses mots: «Si j'avais ouvert une librairie, je me serais roulé les pouces et je n'aurais pas gagné ma vie»; il ajoute: «il faut toujours être réaliste quand il s'agit d'ambition», dit-il. Le réalisme de ce jeune diplômé ne reflète pas pour autant sa situation, il découle en fait de sa conscience profonde que «chacun détient son propre sort entre ses mains», dit-il, et de signaler que «les miracles n'existent pas». En attendant, dans cette frénésie de chawarma à perte de vue, c'est tout l'art culinaire national qui prend un sérieux coup. «Pas possible, il n'y a pas un restaurant au centre-ville d'Alger où on peut s'attabler et prendre un plat traditionnel!» a regretté il y a quelques semaines un diplomate étranger.