Considérée, comme un havre de paix, Béjaïa, la capitale des Hammadites, sombre de plus en plus dans la monotonie. Les derniers événements ont, vraisemblablement, eu raison de sa vivacité légendaire...En ce début d'été 2002, la Cité des Hammadites s'apprête à vivre encore une saison estivale «morte» si l'on en juge par la sonnette d'alarme actionnée par les complexes touristiques, camps de toile et autres centres de vacances de la région. Que ce soit sur la côte Est ou Ouest, l'insécurité dont se parent certaines «zones de turbulences» ont fait que les réservations habituelles ont plutôt tendance à se faire rares, quand elles ont ne sont pas tout simplement inexistantes. Les patrons de certains complexes et hôtels de la côte sont unanimes à déclarer que si cela continuait, ce serait inéluctablement la faillite pour eux tandis que le chômage guette leur personnel. «Des années durant, nous dira le patron d'un complexe de Tichy, nous n'arrivions pas à satisfaire toutes les demandes. Les réservations se faisaient des mois à l'avance et durant les trois mois d'été, nous travaillions à plein temps. Il y a eu des saisons, où nous avions même aménagé des camps de toile à proximité de l'hôtel et transformant nos chambres en dortoirs communs pour l'accueil de certaines délégations et associations. L'affluence était tellement importante. En revanche aujourd'hui...». Du haut de ses 660 mètres, Yemma Gouraya, la célèbre sainte de la région semble narguer les visiteurs. Un clin d'oeil engageant et la partie est jouée. Plusieurs fourgons sont mis à la disposition de ceux qui veulent admirer Béjaïa de son plus haut sommet. Le déplacement en vaut la peine, et le panorama pittoresque qui s'étend à vos pieds vous récompensera largement. Contre vents et marées, les pique-niques sont organisés durant les week-ends. Des parties de boules, volley-ball, handball...font partie des programmes de certaines associations ou ouled el-houma, à la recherche d'une détente bien méritée après une semaine de travail. Une aire de jeu est aménagée pour les enfants qui emplissent l'atmosphère de leurs gazouillements. Heureux, ils gambadent et s'adonnent à coeur joie à leurs jeux. L'air vous emplit les poumons évacuant angoisse et stress. Hélas! Le parc international de Gouraya, s'il est renommé pour sa beauté naturelle, n'offre pas les commodités requises. L'endroit impose un entretien régulier, ce qui n'est apparemment pas le cas. Des familles par manque de confort, mangent sur des toiles cirées étalées sur l'herbe. Le charme du pique-nique n'est-il pas ce contact direct avec la nature? Mais, la fausse note dans ce décor, réside dans le fait qu'après toute une journée passée sur les lieux, des restes de repas, papiers d'emballage et autres détritus viennent s'ajouter aux amas d'ordures visibles çà et là, auprès des excréments d'animaux et même humains, qui, par manque de latrines, une autre lacune font leurs besoins n'importe où! Pourtant ici, ce n'est pas l'eau qui manque. Dès la tombée de la nuit, Yemma Gouraya s'illumine de mille feux. A l'époque où la cité des Hammadites respirait le calme et la quiétude, les promenades estivales nocturnes étaient légion et faisaient partie des us de la région. Les amateurs de chasse et de pêche choisissaient la nuit pour faire, à partir du mont Gouraya une virée vers le Pic des singes, ou les Aiguades, quand ce n'est pas aux abords des M'cid El-Bab, Saket, Djerbba, Boulimat, etc. La pêche miraculeuse ayant souvent lieu la nuit. Hélas, le bon vieux temps n'est plus qu'un souvenir. Béjaïa, merveilleuse oeuvre de la nature est aujourd'hui livrée au stress quotidien et à l'inquiétude. Les familles ne savent plus à quel saint se vouer pour faire évacuer du «moi» de leurs chérubins, les aléas d'une année scolaire perturbée par les grèves et malmenée par les événements. Les résultats des examens, s'ils sont attendus avec angoisse, laissent sceptiques. La plupart des parents n'y pensent même plus convaincus que l'année est tout simplement à refaire, d'autant plus que les programmes ne sont pas terminés. «Où va-t-on ainsi, nos enfants deviennent victimes d'une situation dont ils sont loin d'être les artisans, et en payent lourdement et chèrement le prix...», nous dira un père de famille dont les trois enfants viennent de passer le bac et le BEF. 150 km de côtes d'un bleu azur, devant un tapis de verdure qui s'étale à l'infini, et du soleil à en revendre, Béjaïa, la belle sirène sortie tout droit de la mer se morfond, et se replie sur elle-même pour méditer sur la triste réalité d'une époque dont elle se serait volontiers passer. En ville comme ailleurs, l'ombre des derniers événements plane encore. Une indescriptible tension électrise l'atmosphère. La place Gueydon reprend quelque peu vie, en fin de journée. Des bateaux de voyageurs accostent vomissant leur contenu sur l'aire portuaire. Pourtant ici, aussi une nette régression du nombre des voyageurs a été constatée entre 2001 et 2002. Idem pour l'aéroport Abane-Ramdane. Pourtant, les vols réguliers sur les lignes étrangères sont une aubaine pour les émigrés de la région. Finis les longues escales et le transit par Alger...Mais, il semblerait que même pour nos émigrés nostalgiques, le bref et rituel retour au bled pour les vacances d'été ne soient pas, pour cette année aussi, une priorité. La psychose semble en avoir dissuadé plus d'un. «Nous craignons les émeutes nous dira une mère de famille venue seule pour quelques jours. Les événements qu'a connus la région ne sont pas pour nous encourager cette année aussi. Ma famille en France préfère attendre des jours meilleurs. Fini l'engouement du retour estival pour les vacances au bled, personne n'est resté insensible à ce qui s'est passé en Kabylie.» Non loin du port, Radio Soummam imprégnée d'un silence de mort, livre ses locaux au vide et au soleil de l'après-midi. Une autre voix éteinte pour la ville et un deuil pour la culture. Même spectacle du côté du TRB, tandis que la Maison de la culture porte encore les stigmates des incendies et de la casse. De temps à autre, une salle de fête redonne vie à certains quartiers lors d'un mariage ou d'un événement heureux. Des cortèges de mariés sillonnent les grands boulevards, rubans, fleurs, klaxons et youyous forment cette note de gaieté tant recherchée, ne serait-ce que pour un laps de temps très court, dans cet univers de tristesse et de monotonie. Pour terminer, nous bifurquons par la route des Oliviers. Ici, les singes n'ont peur ni des hommes, ni des événements et plusieurs familles de singes-magots arrivent jusqu'au bord de la route pour narguer les automobilistes. Ces derniers leur offrent souvent, du pain, et des friandises, tandis que les enfants leur jettent des poignées de cacahuètes en essayant de les approcher... Un autre monde... une autre vie. A Béjaïa...des vacances dites-vous?