Alors que les citoyens se succédaient dans le bureau de vote du lycée Emir-Abd El-Kader, à Bab El Oued lors du scrutin, certains jeunes tournaient le dos aux urnes ce jour-là. Dans la cour de l'ancien lycée Bugeaud, à Bab El Oued, un timide défilé d'Algérois se dessine. En ce matin du vote, Zahia, mère de famille descendue de la rue de la Marine pour accomplir consciencieusement son devoir, est suivie par trois fillettes aux pulls identiques, barrés du mot «Happy». Mère de sept enfants, cette femme de ménage éprise de son pays dit voter avant tout «pour ses gosses». «La première chose à changer pour le Président sera le pouvoir d'achat, estime-t-elle, mais je crois que Bouteflika va améliorer les choses, comme il a amélioré la paix dans le pays». Bien que sa famille habite dans un trois-pièces à quinze et pâtit plus que jamais de la hausse des prix, la femme à l'épais châle marron parvient à imaginer un avenir meilleur. Près du bureau n°8, c'est au tour de Zohra, descendue de la Casbah, de s'approcher des urnes. «Je suis venue voter pour que l'Algérie soit stable, et que nos jeunes trouvent leur voie», avance cette autre femme qui n'a jamais raté un seul rendez-vous électoral, comme l'attestent les tampons sur sa carte, qu'elle désigne un à un de ses mains fatiguées. «Mon bulletin va à Bouteflika pour qu'il continue son oeuvre en faveur de l'apaisement et de la sécurité, même si je ne crois qu'à moitié à ses promesses, ajoute-t-elle. J'attends de voir.» Dans sa famille et son entourage, les jeunes ne votent pas, désabusés. Les dix jeunes filles assises à quelques mètres de là, à l'entrée de la cour ombragée, en font partie. La plupart ont connu l'expérience précaire des emplois-jeunes et se sentent sacrifiées. «La moindre des choses, c'est d'avoir un travail! Voter ne sert à rien tant que nous subirons cette injustice!», clament-elles en choeur, rêvant tout haut de l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération. Accréditées pour travailler dès sept heures au sein des bureaux de vote, elles ont été rayées des listes au dernier moment. «Nous sommes toutes licenciées et la plupart au chômage! Tout cela parce qu'aujourd'hui seul le piston fonctionne dans notre système!», répètent-elles dans une même amertume. Au milieu du groupe, Hiziya, jeune mère d'un enfant, se met à détailler ses galères ordinaires. Elle a perdu ses parents. Son mari a déjà enduré deux ans de chômage. «J'ai mené mes études à l'université et cela fait neuf ans que je suis en pré-emploi, soupire-t-elle, sachant que mon salaire est versé bien souvent en retard». Sa voisine évoque des conditions de vie rudes. «C'est la catastrophe! lance abruptement Selma, au visage fin encadré d'un foulard orangé. Là où je loge dans la Casbah, l'eau s'infiltre quand il pleut, c'est sale, on dort mal et on est obligé de se relayer pour se coucher par manque de place!» Raison de plus qui la pousse à rester assise, soupirant face à un avenir qu'elle envisage à peine. D'autant que dans sa fratrie, seul l'un de ses frères travaille pour les nourrir avec une maigre paie de 9000 dinars. Raison de plus qui la fait s'éloigner bientôt, tournant le dos aux bureaux de vote. Sans y être entrée.