L'homme était discret, militant du PPA et plus tard de l'OS. Une chose est sûre, on ne peut parler de libération nationale sans évoquer le rôle cardinal qu'a eu à jouer Mohamed Boudiaf dans les préparatifs et l'organisation du 1er Novembre 1954. L'homme était discret, disciple du PPA et plus tard de l'OS. Contrairement à la «nouvelle vague» de lettrés qui envahira les bancs du PPA-MTLD à partir de 1948, Boudiaf, le taciturne, était plutôt un homme d'action. C'est à lui et à Mourad Didouche qu'on doit le découpage géographique du territoire algérien en zones de combat qui deviendront, après le Congrès de la Soummam, des wilayas. Né le 23 juin 1919 à Ouled Madi (wilaya de M'sila), il adhère au PPA en 1942, un parti activant alors dans la clandestinité depuis 1937. Intervenant à la suite du hold-up de la poste d'Oran en 1949 par une équipe de militants aguerris du MTLD, le démantèlement de l'OS, une opération destinée à renflouer les caisses du parti, entraînera des dizaines d'arrestations, dont celle de Mohamed Boudiaf qui écope de trois mois de prison en 1950. En 1953, il gagne la France et à partir de là, il ne quitte plus les rangs du parti jusqu'au mois de mars 1954 où il assiste, impuissant, à la scission du MTLD: d'un côté, les pro-Messali Hadj, de l'autre les partisans du comité central dont l'étoile montante à ce moment-là porte le nom de Benyoucef Benkhedda. Actif et convaincu de la chance qu'il y avait à bouleverser l'ordre des choses, Boudiaf s'ouvre de son idée de passer à l'action directe à Mourad Didouche, un «pestiféré» de l'OS comme lui et avec lequel il s'entendait comme larrons en foire. Mourad Didouche, sans hésitation, accepte le deal. La scission culmine alors lorsque les «centralistes» se retirent de la foire d'empoigne qu'était devenu le parti. Assigné à résidence à Niort, dans le nord de la France, Messali Hadj, qui était fidèlement informé des activités du parti et du comportement de ses militants par son homme de confiance, Moulay Merbah, donna des instructions à ce dernier pour réunir un congrès de circonstance à Hornu où, du 14 au 17 juin, il ne fut question que du comité central et de «son travail fractionnel, de sa tendance petite-bourgeoise et de son goût pervers pour le réformisme». Un langage aux relents marxistes. La scission était sans appel. Messali est alors élu chef à vie du MNA, un parti né au forceps dans le grand bouleversement des ruptures. Quelques semaines plus tard à Alger, naît le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua) complété par le lancement d'un journal qui aura pour titre le Patriote et dont les rédacteurs ont été chargés de clarifier la position de ceux qui n'avaient été attirés ni par les «centralistes» ni par les messalistes du congrès d'Hornu. Boudiaf faisait partie de ce groupe de «pestiférés» qui, en dernier ressort, aura à prendre la décision de conserver le Crua pour donner le change, un organe largement infiltré par les RG (Renseignements généraux) du commissaire Forcciolli et par les hommes du préfet Vanjour, comme Kobbus (Belhadj) et Slimane El-Djoudane qui devait représenter le Sud algérien pour le compte du FLN, mais qui, après avoir été retourné par les services du Bureau national des renseignements et d'action (Bcra) de Jacques Soustelle contribuera largement à l'arrestation de Rabah Bitat en 1955. Le Crua servira alors d'écran de fumée derrière lequel, et dans la clandestinité la plus totale, oeuvrera dans le secret le plus hermétique, le Comité révolutionnaire au sein duquel Mohamed Boudiaf jouera un rôle de premier plan. Trois jours avant le jour «J», Boudiaf s'envole à destination du Caire avec dans l'attaché-case la proclamation du 1er Novembre fraîchement sortie de la ronéo, un document en deux volets qu'un journaliste répondant au nom de Mohamed El-Aïchaoui était allé tirer à Ighil Imoula. Boudiaf, dont la vie de militant sera pourtant semée de chausse-trapes, sera l'objet d'une grosse embrouille avec ses compagnons quand, confiants en la parole du roi Mohamed V qu'ils devaient accompagner à Tunis pour assister à une conférence sur la paix au Maghreb, une conférence encouragée secrètement par Guy Mollet, alors président du Conseil des ministres français, l'avion d'Air Atlas (futur Royal Air Maroc) qui les transportait fut arraisonné et forcé d'atterrir sur le tarmac de l'aéroport d'Alger. On connaît la suite.