Deuxième partie de l'entretien de Sid-Ali Abdelhamid, qui a traversé les pages les plus denses et les plus déterminantes de l'histoire moderne de l'Algérie témoignant du bouillonnement politique qui a donné un essor puissant à l'idée nationale et à la naissance d'un patriotisme. Un patriotisme qui marquera le Maghreb et le continent, lorsqu'il s'exprimera dans les années 1950 en choisissant pour texte la guerre révolutionnaire totale dans toutes ses dimensions, militaire, politique et diplomatique contre l'occupant. Cette époque porteuse de grandes espérances, Sid-Ali Abdelhamid l'a vécue comme acteur sur le proscenium aux côtés de compagnons d'une rare valeur qui préfiguraient déjà les héros des années de braise. Quels enseignements tirer des élections de 1946 à l'assemblée française ? Après les élections à l'assemblée française de novembre 1946, une conférence a réuni les cadres du Parti à Bouzaréah, au cours de laquelle des militants ont formulé de vives critiques à l'endroit de la direction. Ces observations énoncées particulièrement, mais pas exclusivement, par des militants de Kabylie, portaient notamment sur la participation ou non aux élections à l'assemblée. Les uns privilégiaient en effet un processus graduel qui commencerait par les municipalités pour finir à l'assemblée. C'est également à cette occasion que fut retenue la décision de convoquer un congrès pour le mois de février 1947. Lequel devait redéfinir la stratégie du Parti qui a opté pour trois formes d'action : La première, légale, représentée par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) qui avait été créé en octobre 1946. La deuxième avec le PPA qui demeurera et activera dans l'ombre. La troisième sous l'aspect d'une Organisation spéciale (OS) (et non secrète comme on le lit et dit souvent), agissant dans la clandestinité absolue qui a été chargée de la formation des cadres militaires pour répondre à toute éventualité. Certains avancent que la décision, créer l'OS, a été retenue en raison du trucage des élections par le gouverneur Naegelen. C'est faux, l'initiative a été prise en 1947, alors que les élections n'avaient pas encore eu lieu. Elles se sont déroulées en octobre 1947 et avril 1948. L'idée a germé, car nous pensions qu'il devenait nécessaire de songer à l'hypothèse du passage à l'action militaire. D'aucuns affirment également que la création de l'OS serait le résultat d'un compromis entre ceux qui préconisaient la participation aux élections et ceux qui envisageaient l'éventualité de la solution armée. Une sorte de donnant, donnant. Est-ce plausible ? C'est faux, il ne s'agissait pas d'un marchandage quelconque. Le rapport a été présenté par Lahouel. L'idée vient de la direction. Elle s'est présentée avec ce rapport qui contenait la proposition, et Lahouel, qui en était le rapporteur, a parlé au nom de cette même direction. Je tiens également à souligner que parallèlement le Parti a suscité et encouragé la création d'une multitude d'associations dans des domaines aussi variés que les sports et la jeunesse, par la fondation, notamment de clubs de football ; la culture et l'éducation par l'ouverture de médersas ; la consolidation du mouvement des scouts qui étaient, certes des nationalistes, mais pas des indépendantistes. Le Parti a également présidé à la formation de nombreux syndicats et unions dans tous les secteurs d'activité. Les commerçants, les boulangers, les restaurateurs, les coiffeurs, les épiciers, les marchands de légumes bref, toutes les activités économiques et commerciales étaient réunies dans des associations que nous voulions apolitiques afin de n'effaroucher personne et de ne pas attirer sur elles l'attention des autorités coloniales. Ce fin maillage organique nous permettait de pénétrer dans l'univers économique et social et d'être en contact étroit et permanent avec, à peu près, toutes les couches de la population. Beaucoup parmi ces syndicalistes ou animateurs de la vie associative deviendront sinon des militants, mais à tout le moins des sympathisants qui feront des leurs, les idées et les mots d'ordre du PPA-MTLD. En outre, et ce n'est pas la moindre de leur action, ils apporteront au Parti une aide financière appréciable. Comment avez-vous inscrit votre action partisane dans cette effervescence nationaliste ? Depuis 1946, c'est-à-dire après ma sortie de la clandestinité à la faveur de l'amnistie, jusqu'après le Congrès de février 1947, j'étais responsable de l'organisation du Grand Alger. Lorsqu'en novembre 1947, j'ai été intégré au Bureau politique avec la fonction de trésorier du Parti, succédant à Aït Ahmed, et non pas Filali comme il soutient dans son livre (Mémoires d'un combattant ndlr.), je fus moi-même remplacé par Omar Oussedik. Tout en assurant mes nouvelles fonctions d'argentier du Parti, j'étais en contact avec l'Organisation spéciale. J'ai d'ailleurs désigné les premiers éléments qui devaient figurer dans l'OS, dont Djilali Reguimi qui l'a été à la demande de Belouizdad et non sur celle d'Aït Ahmed. Est-ce qu'on n'a pas exagéré dans la description qui est faite de l'entraînement de membres de l'OS. On a l'impression quand on lit ou on entend parler que c'était une formation de commandos d'élite. N'était-ce pas plutôt sommaire comme formation ? Non, il y eut des entraînements, ils en ont notamment fait dans l'Ouarsenis. Ils consistaient en des séances de longues marches, de la reconnaissance de terrain, du repérage de lieux, de recherche de points d'eau, etc. Un des formateurs sera Djilali Belhadj, qui trahira la cause pour devenir le tristement célèbre « Kobus » de la « Force K », un élément formé à Cherchell. Cet entraînement a été dispensé pour l'encadrement seulement, par pour tout le monde. Est-ce que nous pouvons dire qu'en 1947, la solution commune maghrébine était définitivement écartée et qu'une lutte des trois pays pour leur indépendance avait irrévocablement quitté les esprits ? Nous avons toujours parlé d'unité maghrébine, le Parti a lutté pour cet objectif. Malheureusement nous nous sommes toujours heurtés au même discours marocain et tunisien. Ils ont invariablement soutenu que leur situation n'est pas analogue à la nôtre. Comprenez par là qu'ils invoquaient constamment l'argument qu'ils vivaient sous le régime du protectorat, et nous de la colonie. Toutefois, l'idéal nord-africaniste est demeuré vivace. Le PPA-MTLD, conservait-il malgré tout l'espoir qu'un jour... Il y avait des contacts, mais nous n'y comptions pas trop. Depuis 1945, ce sont les nôtres qui se déplaçaient. Pour rappel, il y a eu notamment la mission de Lamine Debaghine, par la suite celle de Hocine Lahouel et de plusieurs autres responsables. Cependant, nous devons à la vérité reconnaître qu'il y a eu des réticences et que nos partenaires étaient réfractaires à l'idée d'une action commune. Nous ne pouvions pas en parler officiellement à l'époque. Quoique la Tunisie et le Maroc aient été d'un grand apport à notre lutte, nul ne peut soutenir le contraire. On reproche au PPA-MTLD d'avoir été un parti « monoprogrammatique », c'est-à-dire qu'il n'avait qu'un seul objectif : l'indépendance à l'exclusion de toute idéologie ou doctrine. Pas même une politique. Que son programme se réduisait à un mot d'ordre, qu'en pensez-vous ? Et vous qu'est-ce que vous en pensez ? L'indépendance était l'idée fondatrice et fondamentale. Il ne pouvait pas y en avoir une autre sans mettre en péril l'existence même du Parti. C'est la seule idée qui est restée jusqu'à 1962. L'introduction d'un débat idéologique de quelque nature qu'il fut aurait signifié la mort du Parti et de son idéal. Nous n'avons jamais voulu le soulever, nous l'avons même soigneusement évité. Même pendant la révolution. Si nous avions soulevé ces questions au sein du Parti, nous l'aurions divisé. Parce que, justement au sein du Parti, se côtoyaient toutes les idées et idéologies. Il y en avait qui voulaient le socialisme, d'autres le libéralisme, il y avait les islamisants... ... A tout le moins un projet de société... Le projet de société avait été quelque peu abordé par le Congrès de 1953 qui en a esquissé les contours généraux. Il y avait globalement l'idée de « démocratie sociale », laquelle d'ailleurs sera reprise, à peu de choses près, par le Congrès de la Soummam. Les grands principes de liberté, de droits de l'homme, sans que tout cela ne soit approfondi, je le concède, existaient. Il n'y avait ni coloration islamique, ni socialiste, ni caractère capitaliste, communiste ou libéral. On parlait de social, des réformes économiques nécessaires, etc., sans opter pour une idéologie précise. Beaucoup de jeunes étaient imprégnés de la doctrine marxiste. A l'époque, tous les intellectuels étaient imprégnés d'idées marxistes. J'en ai rencontré qui se sont retrouvés dans l'UDMA, alors qu'ils étaient communistes au départ. D'un mot, comment avez-vous vécu ce que l'on a appelé « la crise berbériste » ? Les éléments étaient influencés par les idées marxistes... Lorsqu'on lit leur programme contenu dans Vive l'Algérie signé par Idir El Watani... Nous ne l'avions pas lu à l'époque. Au Congrès de 1947 déjà ils avaient lancé une attaque contre la Direction. Ils ont tenu une réunion entre eux. Qu'ils se réunissent entre eux, entre responsables, cela ne prêtait pas à conséquences. Mais ils ont soudoyé deux de mes responsables : celui d'Alger-Casbah et celui de Belcourt, ils les ont invités à une réunion fractionnelle. Chose qu'ils n'auraient pas dû faire. Qu'ils se réunissent en tant que responsables de la Kabylie, c'est leur affaire. Pourquoi ont-ils invité des éléments de Belcourt et d'Alger-Casbah ? Il y avait déjà une orientation systématique contre la Direction, ce qui peut à la rigueur passer, c'est là un moindre mal. Mais l'idée, qui a été initiée par Ali Yahia de reprendre la Direction du parti en commençant d'abord par la France, puis passer ensuite à Alger, n'était pas admissible. Ce qui les intéressait, c'était la direction du Parti. En éliminant tout ce qui avait trait à l'Arabe et à l'Islam, etc. En ce qui concerne Ali Yahia, il aurait selon ces militants agi pratiquement en solitaire... Croyez-vous cela ? Qui a recommandé à Ali Yahia de se rendre en France ? N'est-ce pas Ouali Bennaï ? N'est-ce pas lui qui est venu voir Bouda pour soutenir qu'il s'agissait d'un étudiant qu'il fallait aider ? Naïvement, Ahmed Bouda a donné des instructions à la Fédération de France afin que celle-ci lui apporte toute l'assistance nécessaire pour qu'il puisse accomplir ses études dans de bonnes conditions. Je ne me fais l'avocat de personne, mais selon toute vraisemblance et d'autres sources, il aurait agi de son propre chef... J'ai moi-même intercepté une lettre de Omar Oussedik adressée à Bennaï dans laquelle il parlait du PPK. C'est moi qui l'ai interceptée. Je l'ai montrée à la Direction. Elle faisait mention du PPK, le Parti populaire kabyle...Textuellement. Le PPK, soutiennent les mis en cause, serait une invention de la presse colonialiste de l'époque ? J'engage ma parole, c'est moi qui ai intercepté la lettre en question. Je suis convaincu qu'il y a eu un mouvement qui visait à renverser la direction du Parti. Cette correspondance, je l'ai interceptée parce que j'étais responsable. J'en ai pris connaissance et je l'ai montrée à la Direction. Malheureusement, il n'y avait pas de photocopieuses à l'époque. D'ailleurs, Aït Ahmed reconnaît dans son livre avoir essayé de défendre cette idée. A ce moment-là, nous lui avons envoyé Cherchalli et Bouda, me semble-t-il, il avait à l'époque condamné cette action. La crise existait, ses auteurs avaient un objectif. Pour en revenir à vous, quand avez-vous été arrêté ? En 1950, j'étais responsable de l'organisation du Parti. C'est comme ça que j'ai eu pendant trois ans sous mes ordres Krim Belkacem et Amar Ouamrane. Ce dernier je l'avais déjà connu en 1944, lorsqu'il était à Cherchell. Les réunions avec Krim et Ouamrane se déroulaient en dehors des autres, car ils étaient recherchés et condamnés à mort. Chaque mois, nous tenions une réunion du comité d'organisation, dès que je terminais avec les membres des autres wilayas, je partais à la réunion avec eux à La Casbah. Pour des raisons de sécurité, ce sont eux qui choisissaient le lieu qui leur convenait, et accompagné d'un agent de liaison je les rejoignais et nous passions la journée ensemble. Arrive le 8 avril 1951. La veille, j'étais en réunion avec eux et heureusement que j'ai pris le soin et eu le temps de remettre les rapports à la rue Marengo. Mais il y avait un petit bout de papier sur lequel on m'avait inscrit des noms de personnes qu'ils voulaient éliminer parce que très dangereux pour le Parti. Les policiers ont trouvé la liste en question, ils ont subodoré que ces gens étaient destinés à être éliminés. J'ai fermement soutenu que nous voulions simplement les dénoncer dans notre journal. Là, j'ai subi les tortures que tous les militants ont subies et Dieu merci, rien n'est sorti puisque je n'ai même pas reconnu être membre de l'organisation. J'ai affirmé face à leur insistance être effectivement le secrétaire des élus municipaux d'Alger dépendant de Lahouel Hocine. J'ai été torturé cinq séances durant. J'ai, du reste sans me faire trop d'illusions, déposé une plainte devant le Procureur général (voir encadré). Ayant subi de mauvais traitement, ma mère en a fait autant. Transféré à la prison de Tizi Ouzou, j'y ai rencontré Mohand Saïd Mazouzi et plusieurs autres personnes incarcérées suite aux événements de mai 1945. Quelque temps après, ils nous ont transférés dans la nuit vers la prison de Blida où tous les éléments impliqués dans l'affaire de l'OS ont été regroupés. On nous appelait « les 56 ». Là, il y avait Ben Bella, Mahsas, Yousfi, Belhadj, Bougara (le futur colonel Si M'hamed), tous les éléments de l'OS du département d'Alger. Aucun militant de l'OS de la Kabylie n'a été arrêté, il en a été de même à Alger, les quelques éléments arrêtés étaient en relation avec les responsables de Chlef. Aucun militant des Aurès n'a été arrêté non plus. Pendant quelque temps après le coup de filet de la police, le Parti a débattu de la position à adopter. Il a décidé de nier l'existence de l'OS pour éviter sa propre dissolution. Avec une solide campagne de propagande animée par les autres mouvements comme l'UDMA, les Ouléma, le Parti communiste algérien, et la presse libérale française, l'idée de la dissolution du Parti avait été écartée. Le procès a connu un grand retentissement avec la venue de France d'avocats célèbres et de personnalités en vue. Toute cette agitation s'est finalement retournée contre le plan de liquidation du Parti échafaudé par les autorités coloniales. Combien de temps êtes-vous resté en prison ? Après six mois de détention, j'ai bénéficié de la liberté provisoire avec d'autres militants, dont Djilali Reguimi. J'ai immédiatement repris mes fonctions de chef de l'organisation au niveau national. Au lendemain de ces événements, il y a eu le problème des militants recherchés. J'ai alors pris l'initiative de suggérer à la direction de les intégrer dans l'organisation qui était gelée, de même que les éléments de l'OS encore en liberté. J'oppose un démenti ferme à ceux qui soutiennent que nous les avons marginalisés. Bien au contraire, le Parti leur a donné la possibilité d'activer, de rencontrer et de connaître encore d'autres militants, ce qui devait leur servir au moment du déclenchement et même après. C'est en demeurant opérationnels qu'ils ont conservé leur liberté de mouvement avec le soutien financier du Parti. J'insiste sur cet aspect de la question parce que Mohamed Harbi et Benjamin Stora affirment tous deux dans leurs écrits que ces militants ont été marginalisés, aiguillés sur une voie de garage. Tous les éléments de l'OS ont été élevés au niveau des daïras politiques. Il en a été ainsi pour Ramdane Ben Abdelmalek, Larbi Ben M'hidi, Rabah Bitat, Abdelhafidh Boussouf, Brahim Chergui et Mourad Didouche. Restaient deux éléments qui étaient du niveau de chefs de wilaya, à savoir Mohamed Boudiaf et Mohamed Maroc. Ils ont tous deux été intégrés avec moi et j'étais directement en contact avec eux. Je leur donnais à étudier les rapports organiques et financiers que nous adressaient mensuellement les kasmas, les daïras et les wilayas, ils en faisaient des synthèses. Ce travail leur a permis de se tenir au courant de tout ce qui se passait dans l'organisation au niveau national, de la base au sommet. C'était un moyen de leur éviter de rester inactifs. Ce n'était pas suffisant, mais comme ils étaient recherchés on ne pouvait pas trop les charger, ce qui augmenterait les risques de les voir se faire prendre. Quelque temps après, Boudiaf, qui venait de se marier, j'avais eu le privilège d'assister à la « Fatiha », nous n'étions que quatre personnes en le comptant, a été envoyé en France. A ce propos, je tiens à préciser que c'est le Parti qui l'a envoyé. Ce n'est pas pour s'en débarrasser, mais bien au contraire afin de renforcer l'organisation qui montrait des signes de faiblesse dans le domaine de l'organique. La fédération prenait de l'ampleur, c'est pour cette raison que Boudiaf a été dépêché, tout comme par la suite le Parti dépêchera Didouche. C'est Omar Belouchrani qui l'a accueilli ayant été chargé par M'hamed Yazid. En 1951, nous avons participé aux élections. Comme d'habitude, nous nous sommes heurtés aux combines du gouverneur général Naegelen. En quoi le Congrès de 1953 devait-il être différent du précédent ? En 1952, début 1953, Lahouel et moi-même avons tenu des réunions préparatoires à travers tout le territoire en vue du Congrès prévu en avril 1953. Nous développions le programme du Parti contre lequel de sévères critiques ont souvent été adressées. Pour la première fois, nous voulions organiser un Congrès démocratique qui ne ressemblerait pas à celui de 1947. Les militants devaient eux-mêmes désigner leurs représentants aux assises, à l'inverse de 1947 où c'était le Parti qui avait désigné les congressistes. Le 2e Congrès du PPA-MTLD (officiellement du MTLD seulement), s'est tenu les 4, 5, et 6 avril 1953. Latente, la crise était désormais ouverte. Le Congrès a néanmoins précisé un certain nombre de concepts et affiné son programme, notamment son projet de société. Au plan organique, les wilayas qui étaient au nombre de 10 ont vu leur nombre réduit. Le point 11 devait aborder le relance de l'OS. Laquelle relance a été votée par le Congrès. Un vote à bulletin secret a désigné la commission qui devait participer à la refondation de l'organisation spéciale. Les noms n'étaient connus que par le secrétariat général composé de 5 personnes qui comptait outre Hadj Messali, Mostefa Ben Boulaïd, Benyoucef Ben Khedda, Mohamed Dekhli et Hocine Lahouel. En 1953, nous nous sommes présentés aux élections municipales. J'ai été élu comme adjoint au maire d'Alger. Le Parti, à travers le Comité central, a décidé de réviser sa façon d'aborder sa participation à la gestion des affaires publiques. Il s'agissait de réfléchir à une nouvelle approche et penser à ne pas observer une politique d'opposition systématique, mais d'étudier une stratégie participative dans l'intérêt des populations dans les domaines sociaux sensibles comme le logement, le travail, l'éducation, la santé etc. C'est ce qu'a fait le CC, et la direction a exécuté cette politique. Mais le spectre de la scission était déjà apparu ? Effectivement, de graves difficultés avaient surgi. Elles se dessinaient déjà entre Messali et le Comité central. Son exil à Niort, en mai 1952, n'avait rien arrangé côté communication. Plus tard, il finira par se démarquer du Comité central et en contester la composition. En septembre 1953, Messali retirait sa confiance au secrétaire général du CC. En février 1954, il appelle les militants à ne plus obéir à la Direction. La scission est consommée. Il fallait un plan ORSEC pour sauver la situation Il fallait agir en urgence pour éviter l'éclatement définitif. C'est cela qui nous a amenés à réfléchir pour trouver une solution qui permettrait la reprise immédiate des activités. Lahouel et moi-même avons eu l'idée avec Boudiaf de créer le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action, le CRUA. Son programme est contenu dans son intitulé. L'Unité puis l'Action. La première réunion Lahouel a appelé Boudiaf, elle s'est tenue 11 rue Marengo. En mars 1954, nous avons parlé des problèmes qui se posaient puis on a décidé de reprendre la réunion à la Medersa Er Rashed le 23 mars, et là on s'est adjoint Dekhli et Bouchebouba. Nous avons décidé de créer le CRUA le 23 mars 1954 à la Medersa Er Rashed. Il ne s'agissait pas au départ de passer immédiatement à l'action. Dans notre esprit, il était d'abord nécessaire d'unifier les forces et seulement ensuite passer à l'action. Malheureusement, nous ne nous sommes pas entendus, Lahouel et moi-même, autrement dit « les centralistes » bien que nous ayons agi à l'insu du Comité central, d'un côté et Boudiaf, Bouchebouba, Ben Boulaïd et Dekhli d'un autre. Le CRUA a donc été créé le 23 mars 1954 à la medersa Er Rashed ... Le 23 mars 1954 à la médersa Er Rashed. J'ai d'ailleurs évoqué ce souvenir avec le défunt Boudiaf sur les Lieux Saints en 1988 et lorsqu'il est venu pour prendre la tête du pays en 1992 au Palais présidentiel. Je disais donc, qu'à la suite de cette mésentente, eux ont continué avec d'autres militants et ils ont accéléré le processus du déclenchement alors que nous, nous continuions à nous efforcer de réunifier les rangs. Il faut dire qu'à l'époque, la masse des militants était beaucoup plus favorable à Messali plutôt qu'au Comité central qui se retrouvait sans troupe. Nous avions avec nous les dirigeants. Alors nous avons fait paraître dans le journal La Nation Algérienne qui avait paru en 1946 déjà, un journal semi-légal, imprimé à ce temps-là à El Harrach et dont le responsable était Abdallah Filali. Nous avons tenu une réunion du Comité central en septembre et nous avons envoyé Lahouel et M'hammed Yazid au Caire pour voir quels étaient les moyens que les Egyptiens avaient l'intention de mettre pour nous aider. Nous savions que les autres préparaient quelque chose, mais nous étions prudents. Entre temps, ils ont activé de leur côté, ce qui fait que lorsque Lahouel et Yazid sont arrivés au Caire, la guerre de Libération nationale était déjà déclenchée. Etiez-vous au courant des préparatifs, comme la réunion des 22 etc. ? Nous n'étions pas au courant de leurs réunions. Mais nous savions qu'ils activaient, puisque il y a eu même une réunion où il y avait un débat entre Boudiaf et Lahouel, au cours de laquelle chacun défendait ses idées. L'un était pour l'action immédiate et l'autre pour une meilleure préparation. Comment les considériez-vous ? Comme des dissidents ? Non, pas comme tels, puisque nous avions travaillé ensemble et nous les avons aidés. Comme c'était Hocine Lahouel qui tenait l'argent, il en a mis à leur disposition finalement. C'était un groupe résolu, très actif. Plus rapide que nous. Il réfléchissait beaucoup. Parce que pour passer à l'action, c'était plus difficile pour nous, gens de la Direction qui étaient connus que pour eux qui l'étaient moins. En outre, l'expérience de 1945 et le souvenir des massacres étaient encore si vifs et si présents dans les esprits. Moralement, nous ne pouvions pas prendre une décision de cette ampleur. Dès le déclenchement, il y a eu des arrestations, Ben Khedda était le premier arrêté, ensuite il y a eu nous du Comité central, et des centaines d'autres. Nous avons été libérés en mai 1955. Au départ, nous voulions intégrer le FLN en tant que Comité central. Il y a eu des discussions finalement le CC s'est autodissous. Nous avons rejoint individuellement le FLN. J'ai été arrêté une nouvelle fois le 24 mai 1956 avec les syndicalistes de l'UGTA. J'ai fait plusieurs camps : Berrouaghia, Bossuet, Arcole, Douéra, Paul Cazelle et ce jusqu'à fin octobre 1960, date à laquelle j'avais été libéré.