«Tenir la crête», c'était le mot d'ordre primordial dans les maquis de la Wilaya IV. C'est un hommage très émouvant que l'ancien officier de l'ALN, Mustapha Tounsi, rend à ses compagnons héros de la guerre de libération en publiant Il était une fois la Wilaya IV, itinéraire d'un rescapé (*). Son préfacier Ali, son frère, actuellement directeur général de la Sûreté nationale, dont la signature n'est pas spécifiée et qui était, lui, à la Wilaya V, écrit: «Le corps des Anciens moudjahidine étant biologiquement en voie d'extinction, il n'est que temps, en effet, pour ceux qui ont quelque chose à dire, de le faire par écrit, pour la postérité. Mon frère Mustapha est de ceux qui sont convaincus de cette évidence. Il me fait l'amitié de me solliciter pour une préface à son premier livre. [...] Je profite de l'occasion de cette préface pour restituer la Wilaya IV dans le contexte du combat général pour la libération du pays.» Le préfacier développe, entre autres idées, de longues observations sur trois points: - «La concentration de la communauté européenne avec pour corollaire une énorme densité de forces militaires coloniales», - «La position géographique de la Wilaya IV, au centre du pays», - «La focalisation dans la capitale de la seule université en Algérie ainsi que de nombreux lycées se révéleront être, en revanche, un atout non négligeable pour la Wilaya IV (et la Wilaya III voisine) surtout au lendemain de la grève des étudiants et lycéens du 19 mai 1956.» L'auteur de la préface termine en citant «des hommes qui marqueront à jamais l'histoire des maquis» et sur une confession libre et digne: «J'ai eu à connaître enfin, la soif, la faim, l'audace et la désinvolture, la bravoure et la peur de mourir, le courage et la lâcheté, sans oublier la chance sans laquelle, je n'aurai pas survécu.» Mais bien évidemment, le récit autobiographique de Mustapha Tounsi est celui d'un Algérien de conscience qui entend faire apprendre un destin, plus qu'un itinéraire, le sien à travers de grands événements historiques contemporains que sa patrie a connus. 13 chapitres, un épilogue et des annexes fixent des faits authentiques et jalonnent en repères importants, à la fois, un parcours personnel situé au coeur du combat national contre les forces d'occupation. L'auteur avait moins de quinze ans, lorsqu'il a pris «réellement conscience». Il raconte, avec beaucoup de détails, son «Enfance entre l'Algérie et le Maroc», et comment sa «famille a atterri à Meknès» et où il a résidé «depuis l'âge de huit ans». Sa prise de «conscience personnelle se situe à l'automne 1955 avec la création d'une section à Meknès, de l'Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA).» Bientôt, après la grève du 19 mai 1956 (l'auteur était âgé de 18 ans) est fixée la date du «Grand départ, août 1957». Ensuite tout s'accélère: «L'Entrée au maquis, octobre 1957», la découverte de la «phonie» et l'évolution de la technologie dans le domaine militaire qui ont élevé, grâce à leur efficacité, «la Wilaya IV à son apogée». L'année 1958 est caractérisée par «l'offensive Challe», mais «ce que les chefs de guerre de l'armée coloniale n'ont jamais saisi et ne saisiront jamais, c'est qu'une révolution en marche est un moteur qui s'emballe»: la démonstration en est faite par des exemples de faits d'armes concrets, puissants, sur le terrain et par des ordres envoyés par «Trans» aux responsables. Au sujet de certains ratages des «transmissions» et tout particulièrement sur la disparition de Amirouche-Haouès, Tounsi fait ce commentaire: «Des années après l'indépendance, en évoquant la mort des deux chefs de wilaya, certains combattants laissèrent insinuer qu'un message radio envoyé aux intéressés par le GPRA et intercepté par l'ennemi aurait permis de situer l'itinéraire du groupe Amirouche-Haouès en partance pour la Tunisie. Pour ceux qui ont le privilège de connaître Si Amirouche, ils sauront qu'un chef de sa trempe ne révélait jamais à l'avance ses intentions et encore moins le ou les itinéraires qu'il voulait emprunter, si bien qu'il est impensable qu'il ait été donné par quelqu'un de son entourage et encore moins par l'extérieur. En fait la disparition de Amirouche-Haouès est due à une opération anodine et de routine de l'armée française, comme l'ennemi avait l'habitude de déclencher par les troupes du secteur quasi quotidiennement.» Mustapha Tounsi poursuit son récit sur les activités des groupes de Moudjahidine contre l'armée française dont les généraux avaient conçu des opérations d'enfer: «Couronne, Courroie, Jumelles, des centaines d'attaques terrestres aériennes, héliportées, des milliers de bombardements tous azimuts...» De nombreux moudjahidine tombèrent au champ d'honneur, et du côté ennemi, on a pu compter de nombreuses pertes en hommes...Le combat idéologique reprend de plus belle, dès l'instant où l'auteur est «aux mains de l'ennemi». Il écrit: «À cet instant, je ne soupçonnais pas que ma capture allait représenter, pour moi, le point de départ de nouvelles épreuves, par moments plus dures que celles que j'avais connues auparavant...» Et ce sera le centre d'intérêt des chapitres intitulés «De la France au retour dans l'ALN», «À l'université», «Le cessez-le-feu et l'indépendance» et «Hommage aux héros» exprimé avec un goût d'amertume: «Il ne s'agit pas de se voiler la face. Notre guerre de libération, qui a été une véritable révolution, n'a pas fait exception à la règle. Les révolutions sont déclenchées par une poignée de personnes qui, généralement, n'en voient pas l'issue. Ensuite elles sont menées par les masses dans leur globalité et enfin, c'est une autre minorité qui en tire profit. L'exemple des anciens de la Wilaya IV est édifiant.» «Les langues commencent à se délier» estime Mustapha Tounsi, ajoutant à sa conclusion: «En témoignant, on ne juge pas. On ne fait qu'apporter l'aide nécessaire dont a besoin un historien.» En somme, les leçons de l'Histoire par des historiens devraient dire comment se sont déterminées les causes des événements plus que leur description et leur relation. Il était une fois la Wilaya IV, itinéraire d'un rescapé de Mustapha Tounsi a la vertu première et spontanée de faire apprendre aux jeunes d'aujourd'hui que c'est pour eux que les jeunes d'autrefois ont souffert, qu'ils sont tombés. (*) IL ETAIT UNE FOIS LA WILAYA IV de Mustapha Tounsi Editions Casbah, Alger, 2008, 204 pages.