InfoSoir : Mustapha Tounsi, Si Abderrahmane pour les frères combattants, peut-il s'adonner à l'exercice périlleux de se raconter ? Mustapha Tounsi : «C'est une autobiographie qui raconte ma vie depuis mon enfance, entre l'Algérie et le Maroc, et le départ au maquis des lycéens dont je faisais partie. J'ai eu un parcours particulier puisque j'ai eu l'occasion de connaître quatre wilayas sur les six que comportait le découpage de l'Algérie à l'époque. J'ai eu également l'honneur de côtoyer de grands chefs de la guerre de libération tels que Si Mohamed Bougara, Omar Seddik et d'autres, Si Salah Zamoum, le commandant Azzedine, Si Lakhdar Mokrani, dont la plupart, bien sûr, n'ont pas survécu à l'indépendance. Personnellement, j'ai jalonné les maquis de la wilaya IV en long et en large où j'étais responsable des transmissions et lors de la grande offensive Challe, j'ai été arrêté pour vivre les geôles des DOP (Détachements opérationnels de protection). Vous avez sillonné les six wilayas que comptait l'Algérie, mais pourquoi spécialement la wilaya IV ? «Parce que la wilaya IV est la wilaya centrale, celle qui ne recevait aucune aide de l'extérieur vu l'éloignement. Ni armement, ni munitions, ni vivres, ni argent. Rien ne parvenait de l'extérieur. Lorsque De Gaulle est arrivé au pouvoir, la guerre d'Algérie a commencé avec ce qu'on appelle les grandes opérations ou le plan Challe où les maquis ont été pratiquement décimés. Il y a eu la création de zones interdites et donc l'approvisionnement qui n'arrivait plus sans compter les milliers de soldats français lancés à nos trousses en permanence avec une logistique gigantesque en artillerie, en hélicoptères, etc. La guerre s'est très sérieusement alors durcie. Il faut reconnaître une chose, c'est que nous n'avions pas la prétention de vaincre la France militairement vu nos moyens, au contraire, la victoire a été politique. À partir de 1959, je peux vous dire que nous étions à terre militairement et les maquis étaient pratiquement décimés. Comment expliquez-vous ce regain d'écriture de l'histoire notamment de la guerre de libération, est-ce un besoin vital ou un droit de mémoire ? «Je vais être franc avec vous en vous disant que je n'avais nullement l'intention d'écrire. Seulement, depuis un certain nombre d'années il y a eu des publications que j'ai eu l'occasion de lire et certaines m'ont pratiquement scandalisé. On a l'impression que certaines personnes se sont d'abord inventé l'histoire toujours en brodant autour d'elles-mêmes, certains faits importants de la guerre de libération ont été tronqués et falsifiés. C'est un peu tout cela qui m'a incité à écrire et à témoigner de ce que j'ai vécu. J'ai compris que le moment était venu de raconter mon itinéraire à travers lequel j'écris une tranche de cette guerre d'Algérie» Y a-t-il certaines vérités qui n'étaient pas connues auparavant et sur lesquelles vous êtes revenu avec force en donnant un nouvel éclairage ? Oui, et cela pour dire qu'il n'y a pas de guerre propre. Ainsi, j'apporte par exemple un éclairage sur l'affaire d'Ali Benmessaoud et sur la mort du colonel Tayeb Djoughlali. Contrairement à ce que disent certains, ce dernier n'est pas mort au combat, mais il a été assassiné. L'auteur de cet assassinat a été par la suite exécuté. Ça, c'est un fait indéniable et je ne suis pas le seul survivant témoin de cette affaire. C'est important, car il ne s'agit pas de falsifier l'histoire. L'affaire Blain également, l'affaire des transmissions où il y a eu différentes interprétations. Moi, j'apporte mon point de vue qui vaut ce qu'il vaut, maintenant aux historiens de trancher. C'est votre premier livre, sera-t-il le dernier ? «Je suppose que ce sera le dernier car ce que j'avais à dire je l'ai dit et je l'ai écrit. J'ai tout simplement un message à passer aux lycéens d'aujourd'hui et les jeunes en général c'est de prendre exemple sur ceux qui ont eu le courage de monter au maquis pour libérer l'Algérie. Au moins ça».