Deux heures seulement séparent les îles des côtes espagnoles. Le visage hâlé par le soleil, Mohamed, la trentaine dépassée, accepte poliment d'embarquer 8 personnes à bord de son Zodiac accosté à la plage dite «Le corp-à-l'aise!» Cette appellation un peu curieuse remonte à l'époque coloniale. Les habitants de la corniche d'Oran racontent qu'un passant étranger se sentant mal dans sa peau et exténué par le voyage, s'était arrêté et assoupi près du rivage. A son réveil, il sera tellement déconcerté et fou de joie qu'il criera en sursautant à tue-tête «corps à l'aise! corps à l'aise...!». Revenons à notre petite escapade vers les îles de «la tentation», les Habbibas, îlots entourés de mystère à tel point que quelques Oranais croient qu'elles sont hantées. Le Zodiac (une légère embarcation), le calme parfait de la mer aidant, avalait rapidement des miles marins à une allure avoisinant les 35 noeuds dira notre guide qui n'a cependant aucun tableau d'indication à bord. Vingt minutes à peine, et on est déjà sur «Paloma», une petite île déserte dominée par un phare. De la barque qui faisait un sillon presque parallèle avec les rivages de Aïn El-Turck on n'aperçoit déjà plus la terre battue laissée derrière nous. Une heure après, on est déjà sur les rivages des Habbibas. Ces îlots rocheux peuplés par des mouettes sont également un havre de passage pour les oiseaux migrateurs. Ici la présence humaine, essentiellement des pêcheurs et leurs proches, qui peuvent cependant se transformer en passeurs, est indiquée par quelques baraques et tentes de toile dressées en des endroits. Une distance de près de 35 km sépare ces îlots de la côte. Même des réservoirs pour recueillir les eaux pluviales existent au sommet des montagnes rocheuses de ces îlots. Un comptoir en ruine, témoin de l'époque romaine, sert présentement de quai pour les embarcations de pêcheurs mais aussi pour les Zodiac des harraga. La dernière prise des gardes-côtes aux Habbibas était composée de 18 personnes dont deux femmes. En un mois et demi, 31 harraga ont été interceptés au large par les gardes-côtes et arrêtés par les gendarmes dans 14 affaires traitées. S'y ajoutent 57 autres personnes, arrêtées pour tentative d'émigration clandestine selon le bilan de la Gendarmerie nationale. Il faut dire que le Zodiac de notre guide est relativement puissant puisque doté d'un moteur de 85 CV. Cependant, celui utilisé par les harraga est plus souvent de type «25 CV». Mais, les côtes espagnoles ne sont qu'à deux heures de temps des Habbibas, c'est ce qu'on dit, d'où sa fréquentation assidue par les passeurs et les harraga. Si ces îles relèvent du domaine international, puisque classées récemment comme patrimoine protégé, elles sont toutefois surveillées par les gardes-côtes. En revanche la corniche oranaise est étroitement surveillée par la Gendarmerie nationale. Aussi, un mois et demi seulement après l'application du Plan Delphine, 335 personnes ont été arrêtées dont 229 écrouées et 106 laissées en liberté provisoire dans 163 affaires traitées. Pour arriver à cerner la criminalité, il fallait des moyens humains et matériels conséquents. Ainsi, dans le cadre de l'application du Plan Delphine, «l'effectif du groupement de la gendarmerie d'Oran devait être appuyé par un renfort de 133 élèves et 120 motocyclistes», selon le commandant du groupement, le colonel Bidel Aïssa. La commune de Aïn El Turck abritant près de 8000 habitants, est un pôle touristique «accueillant pas moins de 3 millions d'estivants par an et 25.000 véhicules par jour», selon M.Kebaïli Mohamed commandant de la compagnie sus- indiquée. Dix-neuf points de contrôle routier constituent le dispositif de sécurité mis au niveau du tronçon routier de la «Corniche», s'étalant de la pêcherie à Madagh et ce, de 10h du matin à minuit et exceptionnellement jusqu'à 2h du matin pour les week-ends. Sur les 23 plages autorisées à la baignade, 19 dont 11 à la «Corniche», sont surveillées par la Gendarmerie nationale. Des repentis investissent la frontière Ouest L'ingéniosité et l'habilité, à chaque fois redoublées des réseaux et bandes criminelles, donnent du fil à retordre aux gendarmes qui agissent le plus souvent le visage masqué et sous couverture légale. Selon quelques sources bien informées, un groupe de repentis et élargis, issus des fiefs terroristes de l'ex-Gspc, ayant vite repris leurs activités, se sont déjà installés dans diverses localités de Tlemcen notamment à Maghnia. Ils tentent de mettre main basse sur la bande frontalière de l'Ouest en contrôlant le marché juteux des filières de contrebande agissant le long de la frontière algéro-marocaine. La drogue et les psychotropes font le lit de la prostitution en plus des agressions au couteau. Lors de notre virée oranaise, alors que la porte d'entrée du fameux complexe des Andalouses est à peine franchie que les résidants ont été bousculés par une bande d'adolescents qui couraient dans tous les sens. Renseignements pris, il s'agissait d'un gang qui tentait de commettre un vol par effraction sur un véhicule d'un client qui serait fonctionnaire à la Présidence de la République. L'alcool et la prostitution Lors d'une descente nocturne des éléments de la brigade de la gendarmerie de Aïn El Turck, appuyés par les renforts de la section spéciale d'intervention (SSI), pas moins de 14 kiosques attribués il y a quelques années dans le cadre du filet social et actuellement dans un état d'abandon, servaient de repaires pour les prostituées, constate-t-on sur les lieux. Les autorités locales refusent de procéder à la démolition de ce gîte situé de l'autre côté de la route en face du complexe touristique «Les Dunes», indique-t-on encore. Selon le chef de brigade, deux femmes ont été arrêtées récemment en flagrant délit de prostitution. Par ailleurs, la consommation d'alcool dans les lieux publics s'intensifie pendant la saison estivale. Ainsi, la patrouille de la gendarmerie qui s'est rendue par la suite au quartier dit Bouzonville a pu arrêter 4 jeunes âgés entre 22 ans et 37 ans, pour consommation de boissons alcoolisées sur des lieux publics. C'est sous la fenêtre de leur domicile, au pied d'un immeuble résidentiel que ces jeunes chômeurs s'adonnaient à la consommation de la bière. Un peu plus loin, deux autres adultes ont été arrêtés pour le même motif, dans un terrain vague situé à proximité de la base militaire de l'Armée de l'air. Crimes sordides et agressions caractérisées EL Hamri, Sidi El Houari, Hassi Boussif, Les Planteurs, Chtaïbou, Haï El Bahdja, la forêt de M'sila pour ne citer que ceux-là, sont autant de points chauds au centre-ville d'Oran où fleurit la criminalité, loin des regards. La «Corniche», qui s'étale sur une quinzaine de kilomètres et abritant près de 100.000 âmes, est placée à la même enseigne. Une dizaine de boîtes de nuit attirent la bonne et la mauvaise clientèle venant des quatre coins du pays. Cela dit, cet amalgame donne du fil à retordre aux services de sécurité. Le cas des agressions au sabre contre les automobilistes se rendant vers ou quittant la «Corniche» est édifiant: les «coupeurs de route» agissant en bandes organisées, armés de sabres et autres armes blanches opèrent au niveau d'une baie rocheuse appelée communément «La Monta». Cette plage féerique au pied d'une falaise est l'ex-crique de Monte Christo. Ces malfrats escaladaient un mur rocheux en forme d'escaliers pour atteindre la route et du coup contourner le dispositif sécuritaire mis en place par la Gendarmerie nationale pour s'adonner ensuite à leur sale besogne à savoir, dépouiller leurs victimes de leurs objets de valeur. Fort heureusement ce groupe de malfaiteurs a été démantelé suite à l'arrestation des membres le constituant lors d'une embuscade dressée récemment par les gendarmes. Toutefois et selon quelques témoignages, Oran détrônée de son piédestal de capitale du crime, la cote d'El Bahia remonte aussi bien dans les sondages populaires que dans l'appréciation de la clientèle aisée: «Celui qui est passionné par la joie de vivre se rend à Wahren El Bahia.» Ceci n'est pas un spot publicitaire mais une citation populaire ayant un écho national. Les personnes les plus pessimistes reconnaissent que des efforts ont été accomplis par les services de sécurité dans ce domaine. Selon les divers témoignages des estivants habitués des plages, «pour des motifs difficiles à cerner, l'affluence des estivants a diminué cet été par rapport à la saison estivale écoulée». «Oran est une hydre et la Corniche, son venin» Ce diction populaire résume et met en relief la trajectoire de l'avidité et les excès des barons des lieux et leur clientèle souvent déplumée et laissée sur le carreau. Cette citation nous a été confiée par un veilleur de nuit d'un des hôtels de la «Corniche» mais également un abonné des lieux, désabusé, qui en sait quelque chose. La prostitution de luxe, les «lobbies de la drogue» utilisant les boîtes de nuit et les lieux de loisir et distraction comme simple couverture, sont la face cachée de la Corniche. «Wahren aff'aâ, la Corniche sem'ha» dira notre interlocuteur qui ne tarit pas d'exemples sur des cas de «dérives» de ce genre.