La souffrance et la solitude de la femme kabyle sont reflétées dans les chansons de plusieurs femmes artistes qui ont payé de leur vie pour dire l'indicible. La chanson kabyle féminine reste très timide en dépit du fait qu'elle soit traversée par des étoiles ayant marqué plusieurs générations. De Hanifa à Yasmina, en passant par Chérifa, Djamila, Nouara, Zohra, Malika Domrane, Massa Bouchafa, la chanson féminine a réussi à résumer le vécu de la femme rurale kabyle. Une vie souvent empreinte de solitude et d'abandon. Mais il est à déplorer que le nombre de chanteuses reste en deçà des espérances. Chanter en Kabylie reste un tabou. Dans le contexte de crise de relève que traverse la chanson kabyle depuis 1998, la chanson d'expression féminine reste la plus touchée. Quelques femmes artistes tentent d'émerger, à l'instar de Siham Stiti, de Ratiba, Ferroudja et autres, mais il demeure difficile à ces dernières d'arracher des places dans un domaine ravagé par la concurrence déloyale. Il est incontestable que Yasmina soit actuellement la chanteuse la plus populaire dans la région. Sa voix retentit un peu partout dans les lieux publics. Les particularités de Yasmina sont multiples. Cette artiste a su s'imposer loin des feux de la rampe. C'est l'une des rares chanteuses kabyles qui n'a pas eu les faveurs de la télévision. Quand elle est passée pour la première fois à la Télévision algérienne, elle était déjà célèbre et elle avait produit déjà plus d'une dizaine d'albums ayant tous connu des succès. Contrairement aux autres artistes kabyles femmes, Yasmina a su conquérir même le public masculin. Rien qu'à assister à ses spectacles, on a toujours constaté que dans les salles, il y a avait plus d'hommes que de femmes. Pourtant, dans ses chansons à textes, Yasmina n'épargne guère l'autre sexe. Yasmina a l'avantage d'avoir la sincérité et la spontanéité comme béquilles. Donc, elle laisse son coeur dévaler ses peines et ses remontrances. Elle ne met pas de gants en vilipendant l'homme qu'elle rend responsable de toutes ses douleurs. Malgré un langage franc, le public masculin a adopté cette chanteuse. Les femmes sont certainement plus touchées par ce que chante Yasmina mais les hommes, non plus, ne sont pas en reste. La voix de Yasmina est ointe de chagrin. C'est pourquoi, on n'hésite pas à l'affubler du sobriquet de «Yasmina, l'angoisse». Pourtant, Yasmina est loin d'être une artiste quelconque. Ses chansons sont d'une profondeur inouïe. Ses textes sont métaphoriques. Il ne s'agit point de paroles de chansonnettes mais bel et bien de véritables poèmes. Une diversité thématique exceptionnelle caractérise les chansons de Yasmina. En plus de l'inénarrable sujet de l'amour qui occupe la part du lion dans son répertoire, on retrouve d'autres sujets de société que d'autres artistes ont rarement abordés. Yasmina, dans ses chansons, a aussi osé s'en prendre à l'ordre établi. La responsabilité des parents dans le malheur de leurs filles est longuement chantée et dénoncée par Yasmina. Avant de jeter la fille dans la gueule du loup, les parents vont jusqu'à imposer, sans discuter, le mari. Mais une fois que le mariage aboutit à un échec, les parents s'en lavent les mains et laissent leur fille affronter seule les fruits amers de cette mésaventure. Yasmina chante cette situation parce qu'elle l'a d'abord vécue dans sa chair, mais aussi parce qu'elle revient de plus en plus dans la société kabyle. Yasmina va loin dans la chanson autobiographique puisqu'elle ose clamer haut le «je» pour mettre à nu un vécu fait de toutes les turpitudes. Yasmina n'a pas peur de dire la vérité, aussi négative soit-elle. Elle le fait avec spontanéité et talent. Yasmina regarde la vie avec un réalisme déconcertant. Sa vie tumultueuse a fait d'elle l'artiste de talent qu'elle est aujourd'hui. Si on ne peut pas dire qu'elle est la plus grande chanteuse kabyle, car des critères objectifs pour avancer un tel diagnostic n'étant pas clairement définis, on ne peut toutefois nier qu'elle demeure l'artiste kabyle la plus prolifique. Depuis une quinzaine d'années, elle est la seule chanteuse kabyle à produire un album par année. Yasmina, contrairement à ce que pourraient penser les profanes, ne ressasse pas les mêmes histoires. Ses albums sont loin de tomber dans la redondance. Chaque année, elle présente de nouvelles situations à décrire. Même quand il s'agit, par exemple, de dire le même chagrin d'amour, Yasmina trouve des images poétiques adéquates, des citations, des métaphores nouvelles qui font que chacun de ses albums est loin de ressembler à l'autre. Dans son dernier album, elle décrit une histoire originale. Deux personnes, qui se sont aimées jadis, se retrouvent accidentellement bien des années plus tard et négocient une éventuelle suite à leur idylle qui a tout l'air d'être restée inachevée. Yasmina aussi est l'une des rares chanteuses kabyles à décrire sa vie privée en rendant publics des éléments intimes. Yasmina chante sur ses enfants et sur la difficulté d'une femme à élever ses enfants, seule, dans une société hostile. Yasmina est l'incarnation de la tristesse. Ce n'est pas parce que ses chansons sont tristes qu'on a le droit de dénier son talent incontestable. Les larmes sont souvent faites pour exorciser son mal. Ecouter Yasmina provoque certes des pincements au coeur. Elle nous rappelle ce que nous avons tous envie d'oublier, en vain. L'écouter est une thérapie pour peu qu'on soit capable d'apprécier un talent artistique que des milliers de fans ont déjà adopté au grand bonheur de la chanson kabyle féminine qui a besoin d'autres Yasmina.