Quand Yasmina s'est mise à interpréter une chanson de l'inénarrable et immortel Matoub Lounès, la salle s'est enflammée. Yasmina, l'une des plus populaires chanteuses de la région, a animé deux soirées artistiques mémorables. La salle était pleine comme un oeuf ce vendredi soir. Jeudi, elle s'était déjà produite dans la même salle, celle de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. Ce sont donc deux concerts d'affilée que Yasmina a réussis, au moment où le constat fait l'unanimité au sujet du désintérêt que porte la jeunesse d'ici à la chanson thématique. En effet, depuis l'assassinat de Matoub en 1998, la chanson kabyle a connu un recul sidérant. La chanson raï avait envahi la région, suite au vide criant laissé par le Rebelle. Ce n'est que depuis quatre ans que la chanson kabyle a retrouvé la cote avec le nouveau style de chansons dites de fête. Mais Yasmina, en dépit de ces bouleversements ayant touché la chanson kabyle, est restée sur le podium. Ses chansons souvent d'amour, très souvent de déceptions, provenant des tréfonds de l'âme, ont su pénétrer les coeurs d'une jeunesse dont la majorité des histoires d'amour sont brisées. Des amours contrariées pour diverses raisons. Yasmina, en se servant de sa propre expérience, a su résumer plusieurs vies. C'est pourquoi, juste après l'indétrônable Matoub, elle vient au deuxième rang des artistes les plus écoutés à Tizi Ouzou et à Béjaïa. Dans la salle, plusieurs fans répétaient ses textes, en choeur. Des poèmes appris par coeur car venant droit de ce dernier. Son entrée sur scène, en robe blanche, a provoqué un tonnerre d'acclamations. Le public applaudit. Les femmes, très nombreuses, lancent des youyous. Yasmina a choisi d'entamer son spectacle avec A Yitbir, une chanson dédiée aux handicapés. Deux handicapés l'ont accompagnée sur scène ainsi que deux petits enfants, vêtus de costumes. Ces derniers, dira l'artiste un peu plus tard, représentent l'espoir. Cette chanson est un véritable appel du coeur. Yasmina, elle aussi mère de deux enfants handicapés, a donc pris son expérience en exemple afin de chanter sur tous les handicapés du monde. La salle est émue. Un silence sépulcral a dominé les sept minutes qu'a duré l'interprétation de ce titre. La soirée s'annonce de plus en plus captivante. La deuxième chanson que Yasmina entonne, en cette soirée de Ramadhan, est une chanson d'amour au titre évocateur: Kerhegh tin itihemlen (je déteste celle qui l'aime), puis «Ur Zhigh di dunit iw». Dans cette chanson, Yasmina revient sur le regard sévère porté par notre société à l'égard d'une artiste. Les autres textes s'égrènent: «Ayen it khedmed at ghelted», «muqlegh gher wayen iedan» où il est question de trahison amoureuse. L'artiste dit dans ses vers combien la vie n'a pas de goût sans amour. Yasmina évoque aussi les regrets du temps passé et de l'avenir incertain. Elle conclut ce numéro en chantant qu'heureusement, la poésie est un exutoire pour elle. Yasmina a enflammé la salle en interprétant une chanson de Zohra, une chanteuse kabyle talentueuse, la plus douée de sa génération sans doute, décédée dans un accident de la circulation en France, au milieu des années quatre-vingt dix. Dans Kesdagh kid anruh, Yasmina invite le mélomane à faire le deuil du désespoir et à tirer des enseignements à partir des endurances du passé. La soirée a été agrémentée d'une tombola. Yasmina a offert plus de quarante cadeaux aux spectateurs tirés au sort et a terminé son récital en citant le nom de Matoub, qu'il ne faudrait pas oublier, «car sans les hommes comme lui, nous ne serions pas là», a-t-elle clamé. Elle termine avec une chanson du Rebelle sur l'exil et la solitude.