La cinéaste s'est munie d'un «troisième oeil», pour interroger du «regard» ces Iraniens de plus en plus désenchantés. Cela va devenir de plus en plus problématique pour les adeptes de «Big Brother», cet oeil qui surveille tout, créature sortie tout droit de l'imaginaire de George Orwell («1984») de pouvoir tout régenter. Et surtout l'image! Aujourd'hui, des films de long métrage (fictions et documentaires) se font, un peu partout dans le monde, à l'aide d'un simple téléphone portable, faisant fi des contraintes financières et autres filtres de contrôle. Il existe même un festival «Pocket Films» qui se tient à Paris, en juin, dédié à ce genre de supports. Une fois kinétoscopées, ces oeuvres ont toute leur place sur n'importe quel écran de cinéma. Ici, à Locarno, le public qui est venu en nombre voir le film de la jeune cinéaste iranienne Sepideh Farsi Téhéran sans permission (Tehran bedoune mojavez), a eu le temps de le vérifier, durant presque quatre-vingt-dix minutes. De retour dans sa ville natale, la cinéaste s'est munie d'un «troisième oeil», pour circuler dans les ruelles bitumées, ou poussiéreuses, à l'intérieur des mausolées ou dans les soirées branchées pour interroger du «regard» ces Iraniens de plus en plus désenchantés par une idéologie de moins en moins prométhéenne. Le temps d'une génération, semble nous dire la rue téhéranaise, et voilà que le réveil semble de plus en plus dur. On est loin des images véhiculées par la grâce des chaînes satellitaires. Celles qui défilent devant nos yeux sont indicatrices d'un désappointement de plus en plus tactile, au sens premier du terme. Les Iraniens renouent avec le «Beau». Les vêtements sont choisis avec goût, même si le foulard, coiffe réglementaire, a réussi à développer un tic quasi permanent: une main toujours en alerte pour le remettre en position réglementaire au cas où un bassidji viendrait à passer par là. Ces gardiens du temple et de ce qui reste du régime des mollahs, filmés par cette caméra-téléphone, paraissent de plus en plus blasés. Sauf depuis la dernière élection, en juin dernier, et dont les images d'une rare violence, rajoutées à la dernière minute ont servi à clore le générique de la fin de Téhéran sans permission. Mais, avant, on aura eu droit à des scènes surréalistes même, comme celles prises dans un salon de coiffure pour dames, où les chevelures (enfin) libérées semblent onduler à coeur joie, loin des frustrations des milices de la morale et de la vertu. Tout y passe: tatouage sur l'épaule, oxydation du cheveu, manucure. Pendant ce temps, un vieux chauffeur de taxi raconte comment son véhicule sert à abriter des rencontres chastes entre jeunes gens et jeunes filles, privés de lieux publics pour s'y côtoyer en toute simplicité...Le taxi sert, parfois, de cabine d'essayage, où les filles se débarrassent de leur jogging pour vêtir des robes qui conviennent à leur féminité, à leur âge...Autre moment surréaliste, filmé en son témoin, sans commentaires, la visite d'une station de sports d'hiver, où l'on distingue des jeunes femmes en tchador skiant ou essayant d'y parvenir, avec le tchador, gonflant au gré du vent... Alors que les jeunes gens skient à leur aise, eux... La cassure est de plus en plus perceptible, aussi bien chez les jeunes qui se réfugient dans le rap, la drogue, l'alcool. Quand ce n'est pas, tout simplement, dans un retour au passé lointain, celui qui remonterait à Cyrus, pendant que, ce qui a dû être, une sorte d'élite intellectuelle, maintenant démunie, se réfugie dans d'interminables parties d'échecs, dans des espaces qui s'apparentent à ces «pavillons des cancéreux» décrits par Alexandre Soljenitsyne. Le film de Sepideh n'est pas à charge. Il se veut aussi proche de ceux qui vont chercher dans les rituels chiites ou bien dans le soufisme, un réconfort dans une spiritualité qui fleure, presque à chaque coin de rue, comme chez ce vendeur de poèmes qui laissera sa perruche tirer, au hasard, pour le client, les vers pliés en amulette de Shams-Eddine Muhammad dit «Hafiz» (Celui qui connaît le Coran par coeur).