Pauvreté, mendicité, agressions, spéculation, harga, mal-vie...sont autant d'indices qui témoignent d'une société en quête de repères après les avoir tout simplement perdus. Le mois sacré a pour particularité de les mettre en évidence parce que c'est à cette occasion qu'ils s'exaspèrent. Les inégalités apparaissent dans toute leur nudité à travers un mode de consommation qui a pour seul arbitre, le pouvoir d'achat de chaque acteur économique. Il a pour effet de mettre sous les feux de la rampe les différentes catégories sociales. Personne n'est oublié. Les nantis, les riches, les classes moyennes, les défavorisés et les laissés-pour-compte. Et n'en déplaise au ministre des Affaires religieuses et des Wakfs: les pauvres existent bel et bien en Algérie et sont loin d'être une vue de l'esprit ou l'émanation des journalistes de la presse écrite. «Il n'y a pas de pauvres en Algérie. Ce n'est qu'une invention des médias», a déclaré Bouabdallah Ghlamallah, mardi dernier, sur les ondes de la Radio nationale au cours de l'émission Nikat aâlalhourouf. Il en fait la démonstration en ajoutant: «Comment peut-on dire cela puisque 1,5 million d'entre eux partent passer leurs vacances en Tunisie tandis que des millions effectuent les différents pèlerinages chaque année?» Que fait donc le ministre des Affaires religieuses des 1.200.000 familles qui doivent bénéficier du couffin du Ramadhan, des 700.000 Algériens inscrits dans le cadre de l'attribution du filet social reconnus et recensés par les services du ministère de la Solidarité nationale? Que dire des 40.000 enseignants vacataires qui ont attendu le début du mois sacré pour lancer leur cri de détresse afin de revendiquer à leur tour et à leur corps défendant le couffin du Ramadhan? Dans un autre registre, l'on pensait pendant cette période de ferveur religieuse et de pratique du jeûne, que le phénomène des harraga allait au moins baisser d'intensité mais voilà que 18 d'entre eux, en attendant la prochaine vague, ont décidé de braver la Méditerranée et la mort par ricochet. Ils n'ont dû leur salut qu'à l'intervention des bâtiments de la marine italienne. Ces contingents de jeunes Algériens qui fuient leur pays ne le font pas de gaité de coeur ou par manque de patriotisme mais certainement parce qu'ils ne voient rien venir. Rien qui puisse leur garantir une vie décente sur cette terre qui les a vus naître. Au risque d'être broyés par cette misère sociale, cette mal-vie qui les ronge quotidiennement, ils ont décidé d'hypothéquer ce qu'ils ont de plus précieux: leur existence. Et ils l'ont fait durant le mois de Ramadhan. Il n'y aura pas de répit ont-ils décidé, semble-t-il, tant qu'ils porteront en eux cette souffrance, cette forme de culpabilité qui se traduit par le fait de ne pas être nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Personne ne peut prendre le risque d'une telle aventure qui tourne en tragédie humaine à tous les coups, par pur plaisir. Elle ne peut être que l'oeuvre destructrice et la conséquence d'une détresse sociale qui a atteint, dans le subconscient de ceux qui ont décidé de la tenter, son extrême limite. Le mois de Ramadhan a acquis cette vertu qui a comme objectif de mettre à nu les maux d'une société en quête de repères ainsi que d'interpeller les défaillances de son mode de gouvernance. Flambée des prix des produits de consommation, spéculation, érosion du pouvoir d'achat, chômage ont constitué un cocktail explosif qui a conduit à l'apparition de phénomènes jusque-là inconnus de la société algérienne. Ils ont bouleversé son environnement. On se bouscule pour prendre place dans les restaurants de la Rahma. On en arrive presque aux mains quelquefois. On a évacué la pudeur qui, autrefois, servait de paravent à la misère. Aujourd'hui, elle est affichée partout dans les villes et les rues. Des mendiants tendent la main sans complexe. Ils affichent leur misère. Le mois sacré qui est aussi le mois de la piété, de l'entraide et du partage rend encore plus visible ces inégalités. Le passage à l'économie de marché commence à laisser des traces. C'est le propre d'une société de consommation en gestation. Elle laisse les plus faibles sur le carreau. La liste risque de s'allonger plus vite que l'on peut l'imaginer. Cela fait de la place à un autre type de solidarité, marqué par une forte présence des pouvoirs publics. Est-ce un tabou qui vient de tomber? On dira plutôt, qu'un nouveau pas vient d'être franchi dans la gestion de la pauvreté.